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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 24 novembre 2012

Échelles de perception




"Nous ne percevons de la réalité qui nous entoure que ce qu'il nous est nécessaire d'en percevoir afin d'interagir avec celle-ci pour y vivre, y évoluer"

Voici le postulat principal auquel je suis arrivée. De celui-ci, beaucoup de choses découlent.

Alors expliquons-nous.

1 - Comme toute espèce animale sur notre planète, nous avons des facultés qui sont propres à la nôtre. Des facultés physiques (le toucher, l'odorat, l'ouïe, le goût, la vue)  et des facultés mentales (la conscience réflexive, la raison (petite machine à analyser les informations, en déduire des interprétations, qui s'agite à tout ordonner dans des cases). Nous dirons que ces facultés constituent nos 6 sens fondamentaux. 

2 - L'univers est composé de plus de 80 % de matière qui nous est inconnue car nous n'avons pas les instruments conceptuels adaptés à leur appréhension. De la même manière que nous ne pouvons remonter avant le mur de Planck dans l'étude de la formation de l'univers, avant "l'apparition du temps".

3- Pourquoi affirmons-nous que l'univers a des lois qui se plient à notre entendement? N'est-il pas possible que les lois physiques soient un aspect du fonctionnement et que d'autres aspects nous échappent? Les scientifiques sont à la recherche d’une force unique dont les 4 forces fondamentales en seraient des manifestations. Pour trouver cette force, le principal obstacle à franchir est de rejoindre la physique quantique et la physique classique dont les postulats  les excluent l’une l’autre. Nous avons donc l’intuition que les choses sont reliées mais nous sommes incapables de le comprendre scientifiquement.

4 - Si une fourmi pouvait philosopher sur le monde qui l'entoure, nous ne reconnaîtrions rien de ce qu'elle décrit, pas même un brin d'herbe, pas même la fourmi.

5 - Tout, absolument tout ce que nous avons à notre portée conceptuelle s'inscrit dans un mouvement que nous appelons temps. 
Nous ne pouvons nous extraire physiquement du temps pour prendre ce dernier en objet d’étude tout comme il est très compliqué d’étudier une maison dans son ensemble quand on est enfermé dans la chambre d’ami.
La matière évolue dans le temps, dans un mouvement presque chorégraphié, ce qui forme ce que nous appelons la dimension spatio-temporelle, notre cadre de référence.

6 - Les choses matérielles, les corps physiques sont composés d'atomes et de particules quantiques sans cesse en mouvement, obéissant à des forces d'attraction- répulsion (force électrofaible; nucléaire forte, électromagnétisme). La forme d'une table nous apparaît telle parce que nous la voyons à une certaine échelle qui nous permet, d’ailleurs, d'utiliser cette table pour y poser d'autres objets. Nous ne somme pas capables avec nos seuls sens de voir les particules en constante interaction. Par contre, notre échelle nous permet d'être entourés de matière avec laquelle nous pouvons interagir, construire des maisons.

7 - Le spectre électromagnétique est une échelle de fréquences. Nos yeux sont des capteurs effectifs à une certaine fréquence – celle de la lumière ingénieusement dite « visible ». D’autres récepteurs peuvent capter des fréquences micro-ondes ou ultraviolettes. L’interprétation que nous fabriquons depuis nos perceptions façonne tout l’édifice de notre connaissance, la connaissance de ce qu'est le monde « pour nous », quelque part entre l’objectif et le subjectif, entre le « en soi » et le « pour soi ».

8 – La méthode scientifique (hypothético-déductive, inférences ampliatives, a contrario et toutes les génuflexions dont notre esprit raffole)  nous a permis de voir bien au-delà des apparences. Se peut-il que toutes les choses passées à travers le prisme de notre Raison soient simplement elles-aussi à notre portée et masquent tout un monde que nous ne pouvons percevoir ? Et ce malgré tous nos efforts ?

9  - Il importe de relativiser le monde que nous percevons car nous ne pouvons pas savoir tout ce qui échappe à nos sens, aussi fascinants que soient ces derniers.
N'avons-nous pas cru trop longtemps que le soleil tournait autour de l'une terre supposée plate pendant des siècles? Ne croyons-nous pas qu'un objet lourd tombe plus vite sur le sol qu'un objet léger? Nous savons que ce n'est pas le cas: la terre est ronde et tourne autour du soleil. Deux objets de masses différentes chutent à la même vitesse sous l'effet de la gravitation si l'on soustrait l'effet du frottement de l'air. Nos sens ne nous trompent-ils pas suffisamment souvent dans ce qu'ils perçoivent?

10  – Nous nous méprenons sur notre place dans le monde. Nous ne sommes ni poussières, ni dieux. Nous sommes formidables et formidablement arrogants.

11 -  Nous nous percevons en tant qu’individus particuliers parce que nous ne voyons pas ce qui nous lie les uns aux autres.

12 -  La nature est magnifiquement ordonnée, agencée et nous pouvons lui faire confiance. Malheureusement, nous ne lui faisons pas confiance. 

13 - La rationalité étouffe le bon sens.

14 – Nous devrions davantage faire confiance à notre intuition, notre instinct.

15 – Et si notre cerveau ne fonctionnait qu’à 10% de ses capacités parce que la rationalité se serait développée  au détriment d’autres fonctionnalités cérébrales ? Et si la méditation, l’introspection, la contemplation, la concentration et que sais-je étaient des pratiques permettant d’accéder à une forme de connaissance toute aussi réjouissante que l’exercice de la Raison ?

16 – L’homme pense qu’il doit se protéger de son environnement. La progression de la pensée rationnelle s’est faite au détriment de l’écoute à l’ « extérieur à soi », au détriment de la sensibilité, de l’intuition et de l’instinct. En se rationalisant  la pensée s’est renfermée. Par autoréflexion, elle se contemple et s’admire elle-même en pensant l’homme supérieur à son environnement.

17- L’intuition est une immanence. C’est peut-être le seul moyen que nous ayons pour nous extraire de la temporalité, donc de notre dimension spatio-temporelle. Pourrait-il s’agir de notre 7ème sens ?

18 – Si l’on fait des choses avec enthousiasme plutôt qu’avec crainte, les choses se passent bien.

19 - Il est plus naturel d’embrasser la vie que d’en avoir peur.

20 - L'avancée de nos connaissances devrait nous inciter à plus d'humilité face à l'immensité de notre ignorance.

Nous percevons de notre environnement ce qu'il nous est nécessaire d'en percevoir afin d’interagir avec celui-ci pour y évoluer.

vendredi 23 novembre 2012

Dieu, Amour et autres banalités...


Qu’est-ce que Dieu ?

Dieu est un tiroir.

Dieu est un concept tiroir dans lequel il serait opportun d’aller fouiner, pour voir un peu ce que l’on y trouve.
De nos jours, il est vrai que le terme Dieu ne veut plus dire grand-chose, trop de divergences de point de vue sont regroupées sous ces quatre lettres.

Les athées rejettent l'idée d'un  Dieu, en plus de rejeter l’institution ecclésiastique, et de ce fait ils rejettent toutes les nuances spirituelles qui accompagnent la question métaphysique « qu’y-a-t-il au-delà du monde tangible ? ». Les agnostiques doutent, inconfortablement assis entre deux chaises...

Il apparaît que de nos jours, dans nos sociétés, notre approche de Dieu soit façonnée par de nombreux concepts dépassés, anachroniques et soit source de tensions plus que d’apaisement, sans omettre une certaine confusion.

Bref, retroussons nos manches. 
C’est vrai qu’au moment de s’y mettre, il y a toujours une dernière petite chose, quelque chose d’indispensable à faire avant, comme reprendre une tasse de café, regarder le dernier bulletin d’info sur BFMTV, réorganiser sa penderie de fond en comble. Et puis il faut se lancer. Il serait dommage de s’arrêter à l’incroyable imbroglio de complexité inextricable que ces questions cachent !

Armons-nous de bonne volonté, d’enthousiasme et d’optimisme…

1 – La substance

Qu’est-ce que Dieu ?

De manière synthétique, on peut proposer plusieurs acceptations de l’idée de Dieu.
Dans les religions monothéistes et polythéistes, on l’envisage comme un être un peu à notre image. Qu’il s’agisse de Zeus, Jupiter, Dieu le Père, on le conçoit comme un être parfait, idéal et transcendant.

Les philosophies panthéistes et les spiritualités animistes en ont une autre conception.
Le panthéisme propose une conception immanente d’un dieu présent en toute chose existant dans la nature. Il est l’ordre des choses et se manifeste, par exemple, à travers les lois de la physique. Dieu est une substance, un fluide, un intellect et n’a déjà plus rien à voir avec la figure paternelle qu’on lui attribue autrement.

L’animisme propose de considérer que toute chose vivante dans la nature a conscience d’être. Par exemple, des esprits mystiques possèdent les êtres et toute matière composant le monde tangible. Ces esprits sont supposés agir sur le monde tangible en fonction de cultes qui leur sont dédiés pour les apaiser.

Alors, Dieu est-il un vieil homme habitant les cieux ? Le père de nos pères, créateur et transcendant ? Un grand architecte ou un grand horloger ? Le moteur premier ?  Est-il un fluide, un plan, un canevas, une règle, un dogme, une évidence ?

Face à ces conceptions, les postures idéologiques et intellectuelles sont nombreuses et l’on pourrait consacrer une vie entière à les recenser toutes.

Parmi ces postures intellectuelles, l’athéisme et le déisme sont intéressantes.
L’athéisme est une théorie : c’est la croyance en la non-existence du dieu monothéiste ou panthéiste, en quelque dieu que ce soit. La raison refuse de considérer ce qu’elle ne peut expliquer. Il n’y a pas de « foi » qui s’y substitue. Il n’y a rien au-delà de ce qui « est ».

Le déisme consiste à croire en un dieu, un moteur premier, un grand architecte. C’est une position philosophique qui vise à se détacher de la religion pour ne garder que l’existence du dieu ordonnateur. Voltaire en est un des plus grands tenants. 

Il critique vertement la religion catholique :

« tant qu’il y aura des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde » (Lettre à Frédéric II, Roi de Prusse, datée du 5 janvier 1767).

tout en croyant en Dieu:

"Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis et en détestant la superstition." (Lettre à son secrétaire Wagnière, datée du 28 mars 1778).

Toutes ces définitions, ces théories, ces convictions ne nous apprennent en fait pas grand chose. Il ne s’agit pas de choisir sa croyance parmi plusieurs propositions que l’on trouverait sur un grand catalogue. 
Dans un premier temps, il s’agit de comprendre pourquoi il y a toutes ces croyances.

Pourquoi Dieu ? Pourquoi avons-nous ressenti le besoin d’imaginer tant de visages et de comportements autour de cette substance ?

Si l’on se place du point de vue de la question de notre "Origine" ("d'où vient-on ?", le « point de départ » de la vie, de l’univers...) on peut considérer que Dieu est à l'Origine, que Dieu est l'Origine. Pourquoi pas. C'est la théorie créationniste qui exagère sans doute un peu en niant les plus grandes avancées de la connaissance: pour les tenants de cette théorie, Dieu a créé le monde il y a 6000 ans et l'homme a toujours été tel qu'il est - opposition à la théorie de l'évolution de Darwin et plus prosaïquement, opposition à l'idée que l'homme descende du singe.

En fait, il apparaît que la question de l'Origine, nous ramène davantage à la question de notre perception du temps ; ainsi nous pouvons remonter à 10-42 secondes après le « Big Bang » théorique. L'histoire de l'Univers a commencé 10-42 secondes après de Big Bang. Avant cela, le temps-même, l'espace et la matière "n'existaitent" pas. Il est probable que ce qu’il y a au-delà de cette limite (qu'on appelle le Mur de Planck) remette en cause notre conception du temps et son petit frère Principe de causalité. Mais c'est là un autre débat. Pour comprendre "pourquoi Dieu", ce n’est pas du point de vue de l'Origine qu’il faut regarder.

2- La foi face au principe religieux

Qu’est-ce que la foi ?

La foi naît probablement d’une confrontation.
Cette confrontation provient d’une incompatibilité a priori entre notre raison, notre rationalité, notre logique, notre faculté d’interprétation du monde d’une part, et d’autre part, notre intuition qui se manifeste à travers des sensations ineffables.

De cette confrontation naît la foi qui commence là où s’arrête la raison et qui s’accommode de ces sensations intuitives ineffables.

En gros, nous avons l’intuition qu’il y a quelque chose autour de nous, avant nous, après nous, nous avons l’intuition d’une origine première et nous avons l’intuition que les choses suivent un ordre, respectent des principes –que la raison étudie – nous avons l’intuition qu’il existe quelque chose entre le hasard et la fatalité. Cependant  notre raison est impuissante à confirmer ou infirmer cette intuition. Encore moins à lui donner un contenu.
Nous reviendrons plus loin sur l’« intuition primordiale ».

Il existe en psychologie, une théorie très intéressante. Elle se place au niveau individuel mais on peut –soyons fous- extrapoler le processus au niveau collectif.

La théorie des « modes de réduction de la dissonance cognitive [i]» explique comment un individu fabrique, bricole, mentalement, inconsciemment  une explication légitime à une situation qui ne correspond pas à ce qu’il attendait, souhaitait, prévoyait, pensait ; une situation qui entre en contradiction avec ce qu’il comprend, interprète.

A l’échelle de la collectivité, pour créer un ordre et donner du sens, il a fallu tenter de résoudre le dilemme entre ‘intuition de quelque chose’ et ‘absence de toute preuve de ce quelque chose’. On s’est bricolé des croyances, des réponses pour « faire tenir debout » notre réalité.

Une fois que des réponses ont été proposées, on a établi le principe religieux.

Le principe religieux ?

Donner du sens, établir un ordre, voilà pourquoi la religion existe. 
En fonction d’une croyance, d’une « explication » métaphysique, on construit des règles qu’il faut suivre pour être bien. A travers cette croyance, on cherche le fondement du bien, du beau, du juste, de l’éthique et de la morale. 

Les religions construisent des dogmes, des rituels qui permettent aux disciples de s’attirer les bonne grâces du tout puissant, de donner un sens à leur existence, éventuellement de se garantir un avenir post mortem délicieux.

Généralement, dans les religions révélées, le principe religieux est un principe de récompense/punition, en étroite relation avec un principe de surveillance/ jugement divin.

Nous avons besoin que quelqu’un nous dise comment faire.

Alors, un œil bienveillant ou punisseur nous observerait, tout au long de notre vie.
Nous pensons que nos actions sont « observées » et ont des conséquences sur un monde invisible et intangible, en plus d’avoir des conséquences sur notre monde. Si l’on ne respecte pas quelques règles de déférence, de dévotion, - donc des règles d’humilité -  eh bien les instances du monde invisible vont agir sur le monde tangible et son au-delà. 
Nous ploierons sous le poids de la culpabilité de nos actes, nous nous mortifierons d’être si imparfaits. Nous serons jugés puis acceptés au paradis ou relégués en enfer.

Nous croire observés nous rassure.

Nous avons besoin de guides : donnez-nous un sens et nous le suivrons.

Ce même besoin de sens est à la source du pouvoir temporel (c’est-à-dire politique : voir la « servitude volontaire » théorisée par Rousseau). C’est un autre sujet, cependant le côté volontaire de la servitude est légitimé par un accès nécessaire à la connaissance, à l’information, pour se soumettre librement, en toute connaissance, à une règle politique délibérée.

Le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel établissent ainsi un équilibre sociopolitique, plus ou moins tendu certes.

Nous cherchons déjà suffisamment dans le regard des autres une légitimation de nos actes. Ce besoin de se soumettre volontairement à une volonté supérieure n’est-il pas l’expression d’une peur face à notre liberté, une fuite face a nos responsabilités d’êtres vivants, locataires d’une belle planète, poussière d’étoile de l’univers ? Nous avons peur d'être libres, d'être livrés à nous-mêmes. Nous avons peur de l'inconnu et nous nous barricadons dans nos certitudes.

Croire en une présence métaphysique supérieure et concernée par notre sort nous enlève un poids. Si nous suivons les dogmes, nous irons dans la bonne direction, au-delà de tout.
Il est soulageant de poser ce fardeau de responsabilité, d’inquiétude face à l’inconnu, et de s’en remettre à la volonté divine.

Il est certain que nos actions ont des conséquences sur le monde qui nous entoure.
Faire jouer le joug de la récompense paradisiaque et de la punition infernale à travers le manichéisme Paradis/ Enfer  ressemble fortement à ces histoires simplistes que l’on raconte aux enfants, mettant en scène un Saint Nicolas et le père fouettard, pour que les enfants soient « sages ». Ignorants des réalités, ils sont « irresponsables » parce qu’immatures. Il faut leur dire ce qui est bien, bon et juste et punir leurs bêtises.

Nous parlions de la foi, cet espace laissé vacant dans notre esprit par l'inadaptation de l'outil rationnel.
Cette foi est exploitée par la religion. Il faut faire ici l'effort de distinguer la dimension spirituelle fondatrice des religions et leur exploitation institutionnalisée par l'Eglise et ses dignitaires.

Dans de nombreux textes religieux, on trouve une incitation à se trouver soi- même, à acquérir une juste connaissance de soi. Or la religion perverti très souvent ce message. Plutôt que d’en faire un moyen de s’émanciper de son ignorance, on utilise la foi des individus pour les soumettre à un dogme dont il est souvent hérétique de critiquer le fondement.

C’est le principal reproche que l’on peut faire aux religions : elles enferment l’individu, le maintiennent éloigné d’une démarche de questionnement, de remise en cause, de connaissance. Elles sont, au final, contradictoires avec la quête de sérénité que le message initial revendique.

Le rituel enferme le spirituel. 

En conséquence, on à tendance à rejeter, dans notre société, la spiritualité. 
Fatigués de tant de controverses, abusés par les exploitations religieuses de la foi, révoltés par le détournement de pouvoir des religions, nous baissons les bras face au questions spirituelles.

Si l’on considère que la foi est issue d’une intuition primordiale que la raison ne peut appréhender, si l’on considère que Dieu ne veut plus dire grand-chose de nos jours, si l’on considère que nombre de pratiques religieuses sont aujourd’hui dépassées, que reste-t-il ?

3 –L’intuition primordiale.

C’est sur cette intuition qu’il faut se concentrer. Elle est à la base de ce que nous appelons foi, elle est à la base, donc, de nos croyances et de nos intimes convictions.

Cette intuition s’apparente en quelque sorte au rayonnement fossile résiduel qui baigne le fond de l’espace, donc elle est loin, très profondément ancrée et en même temps présente chaque jour. Elle se manifeste à travers des sensations simples.

L’enthousiasme, la confiance, la compassion, l’empathie, la compréhension, l’idéalisme sont des manifestations de ce que l’on définit à l’aide d’un terme devenu aussi fourre-tout que Dieu : l’amour.

L’amour est pourvu de connotations qui desservent la notion-au demeurent fort confuse-  que le terme est sensé porter. Il faut faire l’effort de lui retirer son verni de candeur, de naïveté, parfois de niaiserie que les tenants du matérialisme lui confèrent. Les « bons sentiments » ont une connotation péjorative de nos jours. Une démarche pleine de bons sentiments est jugée impertinente car on estime que les bons sentiments retirent un degré de pertinence aux arguments qui en sont emprunts.

On oppose de nos jours, dans notre société, le réalisme à l’amour, comme on oppose la foi à la raison, l’intuition à la déduction, le cœur à la tête.

On considère que l’enthousiasme, l’idéalisme, la confiance, l’empathie, le désintérêt matériel sont des lubies d’individus « déconnectés de la réalité concrète », seule fiable.

C’est a priori fort dommage. Surtout parce que le réalisme et le matérialisme ne font pas taire notre intuition. Elle se trouve étouffée et n’a plus de canaux pour s’exprimer, à part parfois une pratique artistique ou sportive. Serait-ce là une possible cause de tous ces maux qui nous sont contemporains ? Dépression, maladies… ?

Qu’y a-t-il derrière l’amour et tous ses visages ?

Quelle est cette intuition primordiale ?

Nous avons l’intuition que « nous sommes là », c’est-à dire dans ce monde, nous y sommes et nous allons y passer un certain temps.

Nous avons l’intuition que la nature est « belle » parce qu’elle est harmonieuse. Saison après saison elle évolue, prenant et donnant ce dont elle a besoin pour permettre à tout l’écosystème de la vie de maintenir son équilibre, son harmonie.

Cette intuition nous pousse à étudier pour être validée par l’observation et l’expérience empirique. Cette intuition est à la base de notre démarche scientifique qui étudie l’environnement pour le rationaliser, nous le rendre préhensible. La rationalisation grandissante a progressivement relégué l’intuition à un plan secondaire.
Laissons là la rationalité.


L’amour est une dépossession. C’est tout lâcher, ses croyances, ses certitudes, sa maison, pour embrasser l’autre et l’inconnu. C’est faire confiance en la vie et ses mystères. C’est un idéalisme. C’est avoir l’intuition que l’« on va s’en sortir avec le temps » si l’on est enthousiaste.

Le terme enthousiasme est intéressant : étymologiquement, il signifie "transport divin, état de l'homme en qui la divinité est présente pour l'inciter et l'inspirer". Il signifie qu’une personne enthousiaste est motivée par la confiance et l’intime conviction de la « justesse » de sa démarche. La justesse pouvant être entendue comme une adéquation harmonieuse entre l’intériorité de cette personne, ses intentions et ses actes.

L’amour n’est pas une résignation ou une soumission. 
C’est une disposition naturelle que l’on retrouve en soi à chaque fois que l’on accepte d’y plonger, après un travail de quête vers une vérité intime. C’est une disposition que l’on choisit d’entretenir volontairement une fois qu’on la trouvée au fond de soi.

Comme il a été dit tant de fois depuis des siècles, c’est en nous que se trouvent les débuts de réponses, les chemins. Il faut avoir le courage de se plonger dans notre plus belle et grande solitude, avec confiance et enthousiasme, pour y retrouver tout ce qui fait de nous des êtres formidables.

Toute l’énergie que nous dépensons à chercher, à comprendre, à défendre, à nous battre ; toute l’énergie que nous dépensons à nous détester, à nous pardonner, à nous détruire, à douter, tâtonner, persévérer, depuis que la vie nous a amené à faire partie du grand jeu, est incroyablement touchante.

La vie ne nous abandonne pas, bien que nous la malmenions souvent. C’est une réalité qui peut nous effrayer. C’est sûrement cette réalité qui nous inspire l’idée d’un dieu. Cette intuition primordiale que la vie continue, malgré tout, alors même que nous ne savons pas vraiment ce qu’est la vie.

La vie est peut-être persévérance, effort de continuer à être. En tout cas elle est autour de nous et en nous. Elle est réductible, par certains aspects, à la notion de temps : le temps est ce qui permet à une pousse de devenir un arbre, il est ce qui permet à l’information contenue de se déployer dans l’énergie pour réaliser son potentiel. Le temps est le mouvement de la vie.

Le fait que nous ne pourrons jamais savoir, malgré nos efforts, ce qu’il y a au-delà du monde tangible, participe à travailler notre humilité.

C’est en notre for intérieur que nous pouvons développer une philosophie du cœur, dépasser les contraintes du temps et côtoyer nos intuitions. C’est en notre for intérieur que nous trouvons des convictions harmonieuses auxquelles on choisit d’adhérer.

La grandeur d’un homme ne se détermine pas a l’aune de sa capacité à contrôler, maîtriser  soumettre ou asservir mais elle se détermine à l’aune de sa capacité à respecter ce qu’il est : un être puissant qui se doit d’être responsable.

Nous avons encore du travail à faire.



[i] Pour un aperçu de la théorie des modes de réduction de la dissonance cognitive. http://fr.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive

lundi 19 novembre 2012

Les Passeurs de Bon Sens


La question de l’école, de l’instruction publique, est fondamentale lorsque l’on cherche à comprendre notre société.

L’école est le moyen par lequel la société pérennise son modèle :
les jeunes vont à l’école pour avoir une chance de trouver une « bonne » place dans la société par la suite. Ils vont à l’école pour avoir des diplômes et ainsi pouvoir prétendre à une reconnaissance sociale par leurs pairs (via un bon boulot, un bon salaire, etc.).

Les parents ne disent-ils pas toujours qu’il faut bien travailler à l’école, avoir de bonnes notes ? Alors qu’eux même souvent trouvaient l’école pénible, peut-être agréable pour les copains qu’on y fait.

Pourquoi bien travailler: pour avoir une bonne place dans la société ? Ne pas avoir de problème d’argent ? Se trouver soi-même ? Etre libre ?

L’école est loin de n’être qu’un vecteur de réussite sociale. L’école est même beaucoup plus importante que cela. C’est un outil que nous avons à notre disposition pour changer notre société en profondeur.

1- Unilateralité

Lorsque l’on observe le fonctionnement général de l’institution, on arrive à un certain constat :
Le paradigme de transmission des connaissances est unilatéral. On déverse des informations d’un connaisseur à un enfant dont la disposition à recevoir ces connaissances n’est pas prise en compte.

L'instituteur ou le professeur, devant ou derrière son bureau, debout sur l'estrade, à côté de cette dernière ou bien assis sur la chaise de son bureau, domine de manière plutôt austère et solennelle son auditoire ignare. Il dicte, il énonce, en un temps limité, une leçon, un état des lieux sur un sujet précis, dans une matière précise. Face à lui, sa classe de 20 ou 30 élèves, nez sur le cahier et poignets agités, prend des notes, copie ce qui est au tableau ou bien fait semblant et préfère dessiner dans les marges.
Un, deux ou trois élèves sur l'ensemble vont être réceptifs au contenu de la leçon mais pour le reste de l'auditoire, les mots lâchés par la bouche professorale résonneront en toute disharmonie dans leurs oreilles pour filer sans autre truchement vers le poignet.

Cet exemple de comportement est assez fréquent et il illustre la passivité des auditeurs qu'il serait opportun de dénoncer. Bien sûr, en fonction de la fibre pédagogique de certains enseignants, l'élève peut être sollicité à intervenir davantage au cours de la leçon, mais il reste que le modèle de transmission des connaissances est en effet à sens unique - non pas que les élèves aient des leçons à donner aux enseignants - mais dans la nature passive du rôle attribué aux  élèves dans cet échange académique.

Les enfants, lorsqu’ils sont particulièrement jeunes, (3 ans, 7 ans…), ne sont-ils pas naturellement curieux de tout ? Pleins d’énergie, ils courent partout, aiment dessiner, inventer, construire (un peu comme le chante le slogan de Fisher Price…). 
L’école cherche à les discipliner, leur apprendre peu à peu à se concentrer, ne pas s’éparpiller, se calmer pour que vers l’âge de 6 ans ils puissent tenir derrière un pupitre, compter sur leur doigts et tracer de beaux signes alphabétiques en respectant les lignes de la page.

Ce sont des connaissances primordiales : lire, écrire et compter, qui permettent de déchiffrer les codes fondamentaux  régissant les interactions humaines.

2 - Apprentissage

Cependant il pourrait être préférable de penser les choses sous forme d’apprentissage, plus que d’enseignement, pour contrecarrer l’unilatéralité du flux d’informations et peut-être lutter contre l’inadaptation ou le retrait de certains enfants.

C'est-à-dire instaurer un dialogue continu entre les apprentis et le maître d’école, comme c’est davantage le cas dans les classes maternelles.

Le contact entre un adulte et un enfant est plus souvent profitable à l’adulte. Les souvenirs enfouis d’une spontanéité refoulée, étouffée, d’une liberté intrépide bridée et pliée sous le poids de plus en plus pesant du regard d’autrui (la socialisation), remontent à la surface pour être encore une fois rapidement balayés. Cependant ils laissent généralement une sensation agréable.

Il n’est pas pertinent de considérer qu’un enfant est nécessairement le terme faible dans un échange avec un adulte.

Ce qu’il y a à retenir dans cela, c’est qu’il faut profiter de la disposition naturelle qu’ont les enfants à s’intéresser à tout, pour peu qu’on ne les planque pas devant un écran de télévision, qu’on sache solliciter leur attention. C’est la fonction de l’école. Petits, on leur apprend et ils sont contents. On fait un énorme effort pour susciter leur intérêt. Si on ne leur parle pas avec sincérité, on ne peut les amener à faire une activité. Un enfant respecte un adulte qui, au-delà de savoir faire preuve d’autorité, lui parle avec son cœur.

C’est cela qui se perd lorsque l’on avance dans le cursus.

C’est l’entrée au collège qui marque un grand changement.
C’est donc probablement en 6ème qu’il faut modifier certaines choses.

On peut envisager de modifier certaines choses si l’on se met d’accord, au préalable, sur ce que doit être l’école à partir du moment où les enfants savent lire, écrire, compter et réfléchir un peu, soit, à la sortie du primaire.

Une fois armés du primordial, souhaitons nous en faire de bons petits soldats ou bien des citoyens responsables?

3 - Une école du bon sens

Principalement au collège, les enseignants doivent suivre un programme chargé. La classe est nombreuse. Tant mieux pour les jeunes qui suivent, tant pis pour ceux qui restent à la traîne. On passe d’un cours d’histoire à un cours de maths, un cours de géographie, un cours de français, on court, on court de cours en cours, vers les examens, vers la fin de l’année, vers la fin du cursus et les diplômes – CAP, BTS, BAC, licence,  master,  etc.

Et on ne prend pas le temps…

Quels que soient les tempéraments des uns et des autres, les dispositions que les jeunes manifestent (facilité avec les langues étrangères, goût pour la lecture, grande imagination, préférence pour les activités de plein air, le sport, talent pour l’abstraction mathématique, etc.) il est une chose qui semble fondamentale : pour comprendre quoi que ce soit, il faut savoir pourquoi on doit ou on veut la comprendre.

Comprendre signifie, étymologiquement, prendre avec soi, faire sien. Il y a une démarche volontaire vers la connaissance pour l’intégrer, la digérer. La connaissance émise par une bouche savante, malgré toute la pédagogie de l’émetteur, trouve un écho dans un esprit disposé à la recevoir : attentif, intéressé, volontaire.

On ne donne pas assez de place à la dimension épistémologique des disciplines que l’on enseigne, et encore moins à la question épistémologique de comprendre pourquoi on les enseigne.

On ne va pas seulement à l’école pour avoir de bonnes notes et des diplômes, se faire des amis, respecter l’autorité, ou avoir une bonne culture générale.

On va à l’école pour apprendre à réfléchir, pour apprendre à observer la société, pour développer un sens critique, pour devenir responsable de ses choix, faire des choix en bonne connaissance des causes et conséquences, bref, pour devenir un adulte construit, un citoyen dont la voix est pertinente, réfléchie et légitime.

4 - Propositions

Voici les modifications que l'on pourrait envisager d’apporter à l’école.


Premièrement, pourquoi attendre la classe de seconde pour enseigner la philosophie ?

Parce que l’on estime qu’à 15 ou 16 ans, un jeune est prêt à se frotter à des questions existentielles et métaphysiques.

Parce que la philosophie que l’on enseigne est principalement une histoire des idées.

N’est-il pas pertinent de relever qu’à 15 ou 16 ans, un jeune n’a que faire de ces questions existentielles ? Qu’il est davantage concentré sur l’agitation pubère qui grouille dans son caleçon ? Et il a bien raison !

Ne serait-il pas plus judicieux de profiter de l’enfance qui habite encore les jeunes lorsqu’ils arrivent en 6ème pour les initier à une manière de penser ?

La philosophie n’est pas qu’un corpus d’idées complexes, abstraites, rebutantes et fascinantes. C’est une manière de penser.

Elle consiste à se demander, comme les enfants le font naturellement, pourquoi. Elle consiste à interroger et creuser.

Imaginons que 2 ou 3 heures de la semaine soient consacrées à une introduction à la philosophie. Cette heure, casée entre deux cours magistraux, (de 10h à 11h le lundi, de 14h à 15h le jeudi, par exemple), est une heure de discussion. Un professeur –pas toujours le même à chaque cours- s’assoit avec les élèves et leur pose des questions :

« Savez-vous pourquoi on vous enseigne l’histoire ? A votre avis ? »
« Pourquoi les mathématiques ? »

Une remarque à propos des mathématiques :

N’est-il pas courant d’entendre adultes et enfants dire :
« À quoi ça sert de résoudre des problèmes de baignoires qui se vident au deux tiers quand Pierre a trois fois la moitié de l’âge de son perroquet ? On ne rencontre jamais ces situations dans la vraie vie ».

Ces exercices fastidieux, compliqués, impossibles et ridicules sont un moyen d’exercer notre esprit à concevoir, conceptualiser, visualiser et abstraire. Certaines personnes ont plus de facilité que d’autres à résoudre ces problèmes, mais les mathématiques que l’on nous enseigne jusqu’au baccalauréat sont très très simples par rapport au degré d’abstraction qu’elles revêtent plus loin. Il est nécessaire de maîtriser les bases de cette discipline fondamentale. C’est à partir des maths que l’on apprend à raisonner. Les maths sont considérées comme constituant la science des structures, les grandes structures qui nous permettent de comprendre le monde qui nous entoure, les lois physiques de causalité, etc…

Prenons un autre exemple : l’histoire.

C’est quoi l’histoire ?

-Une succession de faits qui illustrent le passé des hommes ?

Un peu. C’est surtout une analyse. Comprendre comment des hommes, dans un contexte donné, ont réagi, compris, décidé, pensé, vécu. Et pourquoi.

-Un moyen de tirer les leçons de nos erreurs passées ?

Un peu. C’est surtout une leçon d’humilité. Les évènements ne se reproduisent jamais deux fois et nous ne somme jamais à l’abri de faire des erreurs.

Il faut savoir pourquoi on va à l’école, pourquoi on doit suivre des cours d’histoire, de géographie, de science naturelle, etc.

C’est au cours de ces quelques heures par semaine qu’un intervenant devrait sensibiliser les jeunes tant qu’ils sont réceptifs et attiser tout au long de l’année scolaire cette sensibilité, au moyen de discussions, d’échanges partagés, d’une interaction multivoque. La barrière conventionnelle qui distingue le professeur de ses élèves serait déplacée, chacun pourrait s’exprimer et peu à peu le professeur amènerait les jeunes à comprendre l’intérêt des disciplines.

Voilà en quoi consisteraient ces discussions : un éveil aux questions importantes.

Deuxièmement, on peut se permettre de modifier l'organisation de la journée scolaire.

Si l’on débute une journée vers 8h30 ou 9h, qu’elle se termine vers 18h, et qu’entre temps elle est remplie, par exemple, comme suit :
des heures de cours optimisées car les élèves sont plus nombreux à être intéressés, une heure ou deux de « discussion », deux heures de pause déjeuner avec jeu en plein air, accès à la bibliothèque, liberté, une ou deux heures de sport… ;

il n’est pas nécessaire qu’il y ait des devoirs à faire à la maison. 

Il suffit de bien remplir la journée. Pour évaluer les connaissances, libre au professeur d’organiser pendant son heure de cours une interrogation écrite. Libre de laisser aux jeunes le temps de réviser avant des examens. La journée pourrait ainsi être mieux remplie, en respectant un principe de diversité dans les activités. La journée d'école terminée, on passe à autre chose.

Faire du sport presque tous les jours est presque indispensable. L'absence d'activité physique est aujourd'hui responsable de sérieux problèmes de santé publique (obésité, entretien du cœur). 

La journée bien remplie jusque 18h, on rentre chez soi l'esprit libre. On résous une partie des problèmes de garde, de désœuvrement des jeunes.

Les professeurs, les maîtres, sont des passeurs de bon sens.

L'apprentissage à l'école vise à donner la chance à chaque futur citoyen de le devenir pleinement, parce qu'au cours de sa jeunesse il aura eu la confiance de se découvrir et de se réaliser.  Un tel modèle permettrait au plus grand nombre d’accéder au bon sens pour décider de ce qui est le mieux pour lui et la communauté.

Il est important de penser l’école.

dimanche 18 novembre 2012

Parlons un peu de charité



En cette fraîche période de l'année, voici les messages que l'on commence, comme chaque année depuis trop longtemps, à entendre.

« Dernière semaine de Novembre, début des collectes alimentaires. Donnez une petite partie de vos courses ».

Parlons un peu de charité puisqu'on nous sollicite sur ce sujet.



1 UN ELAN DE COMPASSION

Encore une fois, bien que l’on prenne les individus pour des moutons ignares, c'est à eux que l’on fait appel pour « aider l’humanité dans le besoin » avec des dons caritatifs. On fait appel à leurs impôts pour  « sauver les banques » touchées par la crise. C’est encore à nous de donner pour la recherche scientifique, alors que des milliards de dollars circulent virtuellement chaque seconde.

Cela me révolte, comme beaucoup de citoyens.

La révolte n’est que vaine agitation si elle ne conduit pas à la réflexion et à des propositions.

Alors réfléchissons.

Face à la détresse de certains, on se donne facilement bonne conscience en donnant une pièce ou un paquet de pâte, dans un élan de charité.

Les associations caritatives sont des pansements qui permettent de tolérer la pauvreté matérielle et alimentaire de bon nombre de nos semblables.

Je pense que nous avons perverti la notion de solidarité.
Il existe en chaque homme, à divers degrés, une propension naturelle à compatir. Elle est  maladroitement exploitée au sein de notre modèle de société.
On apaise notre propension à compatir en laissant des associations, ces « prêts-à-agir », se charger, petitement, du problème de la pauvreté.
On légitime le fonctionnement de notre société qui réciproquement, nous valorise individuellement  en nous offrant des moyens de manifester notre élan caritatif, à travers certains canaux.
On offre ainsi aux gens un moyen de se sentir concerné par la triste condition qui touche bon nombre de nos semblables.

Mais plutôt que de passer par ces « prêts-à-agir » - fort utiles au demeurant, malgré les suspicions de corruption, de détournement-, sortons des sentiers battus.

Biensûr que l’on doit s’aider les uns les autres, intervenir pour aider une population touchée par une catastrophe naturelle, une population en crise (conflit politique, débâcle financière, anarchie économique…), de la même manière que l’on aide parfois une personne âgée à traverser la route, à attraper un pot de confiture placé trop haut pour elle sur un présentoir de supermarché.

En matière de pauvreté et d’intervention humanitaire, on doit s’aider en attendant que notre société relève la tête du guidon, reconnaisse ses erreurs, prenne ses responsabilités et accepte de «changer».


2 LE DRAME ALIMENTAIRE ET ECOLOGIQUE

En matière de crise alimentaire et de modèle agricole,  Marie-Monique Robin et Pierre Rabhi, entre autres, ouvrent la réflexion. Il faudrait que leur message soit entendu par le plus grand nombre de nos concitoyens.

Le travail de ces deux auteurs nous permet de comprendre ce qui suit.
La sous-alimentation qui ravage l’Afrique par exemple provient souvent d’une inadéquation des techniques à un milieu particulièrement  compliqué ( aridité des sols, période de moussons, etc). Les techniques développées sont à la croisée syncrétique de procédés ancestraux et de techniques modernes et séduisantes par la promesse de productivité (relation entre l’effort fourni et le résultat obtenu) le concept retenu de productivité étant d’ordre quantitatif et non qualitatif.

Ces techniques (emploi de pesticides, monocultures, etc) sont occidentales.
Comme dans de très nombreux domaines (politique, économique, agricole), notre tempérament colonialiste ou impérialiste nous pousse à imposer ce qui est parfois « bon chez nous », aux autres. Nous dictons aux autres comment « bien » faire, comment « bien » vivre.
Nous uniformisons le monde à notre image – occidentale, judéo-chrétienne, capitaliste, etc.

Nous sommes trop butés pour accepter que ça ne marche pas. Des millions de gens meurent de faim : serait-ce la faute à la fatalité ? Non, c’est une conséquence.

Nous avons créé, alors, un système parallèle pour tenter de rendre tolérable, en surface, une réalité affligeante, honteuse, inhumaine, dégradante, irrespectueuse, irresponsable et déshonorante et au final nous nous empêtrons dans nos contradictions.

On est en droit de s’interroger sur nos intentions politiques:
Sommes-nous vraiment solidaires ? Souhaitons-nous seulement l’être ? Ne pensons-nous pas, plutôt, que, comme l’illustre la théorie de l’évolution, les plus forts s’en sortent ? Donc tant pis pour ceux qui sont nés ailleurs, car nous sous allons bien, forts que nous sommes grâce à notre matérialisme, à notre technologie, à nos hypermarchés. Nous sommes trop nombreux sur cette planète pour nourrir tout le monde comme nous pensons qu’il doit être nourri ? Qu’à cela ne tienne, la pauvreté exterminera le surplus, au même titre que les maladies pour lesquelles nous estimons qu’il n’est pas rentable de chercher un vaccin.
Le problème se résoudra de lui-même, d’une façon ou d’une autre.

Essayons de voir les choses en face.

Nous avons du sang sur nos mains.

Nous tuons nos enfants en laissant aux générations futures une planète aux sols épuisés, à l’air pollué. 
Nous tuons nos enfants en les nourrissant de produits toxiques.

Nous versons une larmichette sur les cadavres de nos semblables morts de faim. Nous ne nous scandalisons pas. Les tempéraments sont bridés.

Qu’y a-t-il derrière les appels à la mobilisation que lancent nos gouvernants et les associations humanitaires ?
S’il y a de la sincérité dans la préoccupation qui les anime, et il y en a, elle ne masque que partiellement une autre réalité.
Nous prenons de plus en plus conscience des erreurs que nous avons commises. Nous réalisons que les valeurs de notre société, depuis 200 bonnes années, ne sont peut-être pas les plus judicieuses pour l’ensemble de la société. Cependant, parce qu’elles donnent une réponse facile à la question de la richesse et du bonheur – être riche c’est accumuler des biens matériels- ces valeurs nous gouvernent et sont devenues indétrônables. Mais elles ne profitent qu’à un petit nombre, elles engendrent plus de problèmes bien réels qu’elles n’en résolvent de manière illusoire.
Au lieu de nous remettre fondamentalement en cause, on bricole des subterfuges pour pallier au plus urgent, tant bien que mal. 

On se cache derrière le pan de légitimité charitable de nos intentions politiques et individuelles.
On crée des ONG, on veut être plus solidaires de nos pauvres, des handicapés, des personnes âgées, tout cela pour pérenniser un système dont on a peur de se défaire.
Pour apaiser la mauvaise conscience qui ne manque pas de poindre pour peu que l’on regarde autour de soi.

Nous sommes hypocrites car nous savons pourquoi ces millions d'individus meurent de faim. Nous n'avons pas envie de changer les choses.

On s’accroche aux « avantages » de notre système et on en minimise les dégâts «épiphénoménaux» que l’on tente de « corriger ».

L’Etat providence est un bel édifice mais nous nous cachons un peu trop souvent derrière sa jolie façade de solidarité. C’est un édifice sur lequel repose la Vème république et nous n’osons, par déférence, le remettre en cause. Nous enjolivons les encornures, nous repeignons les bords de fenêtres. Certains souhaitent le voir disparaitre intégralement, ce qui n’est pas une solution non plus.

3- ECOUTONS-NOUS

Je ne crois pas que la charité qui consiste à envoyer des convois de surplus de nourriture issus des hypermarchés de nos contrées soit une véritable solution. C’est tout au plus une démarche transitoire, de dépannage pour pallier à l’urgence. Je ne pense pas que ce soit aux citoyens, dans l’intimité de la sphère domestique, à donner une partie de leurs courses à des organismes. 

Non, c’est aux hypermarchés, aux usines, aux grands producteurs de prendre leur responsabilité et de donner leur surplus à des organismes. Quitte à ce que cette pratique soit encadrée par l’Etat. Dans la mesure où l’Etat en manifeste la volonté.

Ensuite, laissons les gens trouver des solutions, ensemble, adaptées à leur région, leur climat, leur culture, leur histoire, leur croyance. Ils ont souvent beaucoup de sagesse et nous devrions les écouter sans préjuger de leur capacité à s’en sortir. 

Prenons l’exemple du Push-Pull, de la Milpa, du no labour et des tekkei du Japon, ne sont-ce pas là les manifestations de l’universalité du bon sens ?

C’est le terme universalité qui est trompeur. Il ne veut pas dire uniformité ou uniformisation.

En quoi consistent ces techniques agro-écologiques que Marie-Monique Robin nous présente ?

Trois plantes, toujours différentes en fonction des régions, répondant aux besoins primaires de l’agriculture (conservation de l’humidité des sols, captation de l’azote de l’air, relation avec les insectes), sont cultivées ensemble. Pas de monoculture : on respecte la nature dans son instinct de diversité. Le résultat coule de source : ça marche très bien.

A chaque fois, les hommes ont inventé ces techniques en observant leur environnement, les particularités de leur territoire.

Ce même bon sens nous apprend que l’on doit se plier aux nécessités de la nature. Il nous faut développer une agriculture locale, il nous faut respecter les cycles des saisons.
Les légumes, les fruits que l’on peut cultiver, par exemple, en octobre, au début de l’automne, sont justement ceux qui ont les propriétés nutritives correspondant à nos besoins physiologiques en cette période de l’année.
Pour notre santé à l’échelle individuelle, sous nos latitudes froides en hiver, mangeons des courges, des lentilles, des pommes et des pois cassés lorsque l’été s’en va. Nous serons contents de retrouver les tomates dans quelques mois… bref, plions-nous aux besoins de notre organisme, prenons ce que la nature nous donne quand elle nous le donne (tant qu’elle nous le donne encore!). 
Nous serons bien dans notre corps, nous serons bien dans notre tête, nous serons en meilleure santé et beaucoup d'autres conséquences en découleront.

Mobilisons-nous, réfléchissons, soyons responsables et honnêtes, discutons, partageons, écoutons-nous.



jeudi 15 novembre 2012

Le temps


Il y a un peu plus d’un an, alors que je réfléchissais à une dimension atemporelle et immanente pour une petite histoire de science fiction, j’ai passé une bonne semaine à questionner la notion de temps, à raison de 8 heures par jour... Il faut dire que je travaillais en tant qu'hôtesse d'accueil dans une grande banque parisienne et que je n'avais rien de plus intéressant à faire...

Depuis des années, je me rangeais aux côtés de Kant en considérant que l’espace et le temps sont des « formes a priori de l’esprit ». La réalité est perçue via le prisme de notre entendement qui l'inscrit naturellement dans l'espace et le temps, comme l’eau - contenu - épouse les contours d’un vase - contenant.


Je n’étais plus satisfaite de cette vision. Je la questionnai donc.


Pourquoi, saperlipopette, ne pouvons-nous concevoir le temps autrement que par une flèche, une ligne, une rivière, linéaire ou circulaire ? Avec les notions de sens  et de direction, de courant, que cela induit ?


Entre les millisecondes, les siècles et l’inconcevable éternité, le temps n’est-il qu’un découpage conventionnel de la réalité afin de nous la rendre rationnellement préhensible?


Une mise en « épochè » du « temps » se révèle être un exercice particulièrement ardu, quand on ne peut, premièrement, délimiter les contours de la notion. 
La mise en "épochè " s'apparente au travail d'un biologiste qui, l'oeil collé au microscope, tente avec une petite pince de séparer la molécule qu'il veut étudier du reste de la substance dont elle est issue. En philo, il s'agit d'une mise entre parenthèses de la réalité pour ne garder que l'"objet" qui nous intrigue. ( Pour en savoir plus, voir la phénoménologie de Husserl)

Dans le cas de l'étude du "temps", il  nous faut alors prendre l’ensemble de la réalité et peu à peu lâcher du lest, comme une montgolfière cherchant à s’élever.


La première étape par laquelle je suis passée consiste à dépouiller le «temps» des notions de « sens », de « direction » et de ses conventions de mesure. . Pour cela j'ai mis de côté les notions de "passé", de "présent" et de "futur", d'"origine" et d'infini".

Que reste-t-il après cela ? Parmi tant de choses, voici les raisonnements les plus intéressants.

Le temps et la matière sont effectivement indissociables.

La question du « vide » est incontournable pour saisir le lien fondamental qui existe entre l’ « espace » et le « temps ».

Dans la réalité qui nous entoure et que nous connaissons, le vide absolu n’existe pas. A chaque fois que l’on parle de vide, on parle de basses pressions mais aucunement d’absence totale de particules – donc de matière (voir l’invention de Torricelli, par exemple). Les notions de forces, d’énergies, de températures que l’on peut retourner dans tous les sens nous permettent de modifier des processus, de les ralentir (la congélation comme moyen de conservation, par exemple), mais pas de les arrêter de manière absolue.


Concevoir une absence totale de matière demande de concevoir une absence totale de mouvement, donc une extraction du temps.


On voit bien que la matière est en mouvement et ce mouvement-là est nécessairement lié au mouvement que nous appelons « temps ».


On parle donc de la dimension spatio-temporelle pour définir le mouvement dans lequel toute chose s’inscrit, (notamment la «vie»).


Voici quelques propositions auxquelles on abouti :


- Le temps est un mouvement ;


- La matière est indissociable du temps ;


- La matière n’Est que parce qu’elle se manifeste dans le temps.


On arrive donc à cette même conclusion qu’Einstein et d’autres scientifiques : l’espace (la matière dans ses trois dimensions) et le temps sont deux expressions d’un même continuum.


Cela dit, tout cela ne nous avance pas beaucoup plus sur la question du temps, il faut secouer davantage la notion en faisant appel à d’autres disciplines scientifiques pour voir ce que l’on peut en apprendre.


Aux premières heures de l’humanité, les hommes ont observé des récurrences dans la nature : la succession de « jour » et de « nuit » ; de périodes fraiches, de périodes plus chaudes, ou pluvieuses, en tout cas nous avons  observé des changements dans la nature, toujours récurrents. Les choses passaient et revenaient. Comme il devait être effrayant de voir le cycle interrompu par un énorme orage, une éclipse : on devait craindre la fin de son monde tel qu’on l’avait connu.


Pour communiquer entre nous, nous avons fait ce que nous savons aujourd’hui faire de mieux, nous avons établi des conventions. Nous avons conventionné le temps en le découpant. Le découpage du temps est une interprétation de ce que nous avons perçu, observé, de ce qui nous entoure, pour interagir avec cet environnement.


Le temps que nous concevons est forcément le temps «pour nous». Là encore, un petit détour par la physique est éclairant.


Il existe en science physique une grande énigme que nous n’avons pas résolue (parmi beaucoup d’autres, biensûr). Il s’agit de la question de la «discrétion» et de la «continuité».

Nous ne savons pas, par exemple, si la lumière [i]est une onde continue ou un flux de particules discrètes. Nous ne savons pas si une onde continue est composée de particules discrètes. Nous avons beaucoup de mal à concevoir la continuité. Par exemple, on nous enseigne qu'une droite, en géométrie, est un ensemble de points.

Notre rationalité nous pousse à penser, a priori, que la réalité se découpe en petites choses, et ce jusqu’à un infini supposé. C’est ainsi qu’est née la physique quantique, c’est ainsi que Newton a inventé le calcul différentiel utilisé en mécanique des fluides, par exemple. C’est aussi pour cela que l’on utilise la notion de fréquence : nombre de mouvements dans un laps de temps défini, et ce découpage est à la base de la science des structures : les mathématiques. ( Voir aussi le concept de monade chez Husserl et Leibnitz)

Nous structurons notre réalité à l’aide de conventions basées sur le postulat de la «discrétion» de notre réalité. Le temps est ainsi divisé en éléments discrets que l'on appelle "instant". Les instants sont placés les uns devant ou derrière les autres, pourquoi pas côte à côte, mais toujours selon une logique spatiale. Puis l'écoulement du temps dans l'espace amène un "instant" à succéder à un autre. C'est comme cela que nous percevons le temps, de notre point de vue.


La physique quantique est, elle aussi, confrontée à un problème irrésolu, passionnant et révélateur: la place de l’observateur par rapport à l’objet observé. 
En effet, il apparaît que le simple fait d’observer un objet modifie le comportement de cet objet. Une particule observée peut être, pour l’observateur, « partout » à la fois, devenant une onde, mais restant particule… un vrai casse-tête… (Voir le chat de Schrödinger et l'indétermination quantique).

En physique classique, on sait que notre temps se dilate ou se condense en fonction de l’endroit où se trouve l’observateur et de ce qu’il observe. Depuis un point situé au niveau de la mer et un point, au même moment, situé sur le sommet d’une montagne, il y a quelques microsecondes de différence. De même que le montre la force gravitationnelle, le temps se « courbe » sous l’effet de la masse physique d’un corps.


La question de l’objectivité et de la subjectivité est présente dans toutes les disciplines. C’est même une part très importante de la réflexion épistémologique.


Je pense que l’objectivité est un idéal qu’on peut s’efforcer d’approcher mais qu’on ne peut atteindre. On parle alors d'objectivation pour qualifier cet effort cognitif  de distanciation et d'abstraction.[ii]

Toujours est-il qu’en matière de temps, on peut partir de la proposition suivante :


Le temps que nous percevons est le temps « pour nous », le temps de la matière, le temps physique, le mouvement de la vie. Un temps qui est rationnel autant que subjectivement – individuellement- vécu. Notre temps est un instrument. Un instrument de mesure. Mais il ne se réduit probablement pas à n’être que cela.


Je pense que l’intuition est une immanence, une extraction de notre temps donnant accès à un autre temps, à une multitude de temps…


Toutes ces réflexions en amènent d'autres: la relation entre le temps et la vie implique une réflexion sur la relation entre le temps et la mort, par exemple. On peut également penser les notions d'infini, de passé, présent, futur, d'origine, etc...

A partir de là, je pouvais commencer à imaginer ma dimension atemporelle et immanente.




[i] La lumière : encore un passionnant sujet ! Elle est le vecteur de notre connaissance de l’univers éloigné mais néanmoins observable ; elle inspire aussi la métaphore de la connaissance spirituelle – philosophie des lumières, des hommes « éclairés ». A suivre.

[ii] Exemples sur la quête d’objectivité dans la méthode scientifique : Un anthropologue arrivant dans une tribu isolée n’influence-t-il pas le comportement des autochtones par le simple fait de les observer ? Il lui faut en tenir compte dans son analyse. Lorsqu’un institut de sondage interroge un panel « représentatif » de la population sur une question de société, ne pondère-t-il pas les résultats obtenus afin de les homogénéiser pour qu’ils se rapprochent d’un point de vue « objectif » et général ?