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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

dimanche 22 décembre 2013

Economix, l'histoire de l'économie en BD!

La première histoire de l’économie en BD (lecture engagée, lecture responsable).

Michael Goodwin (textes) et Dan E. Burr (illustrations).



On m’a parlé d’«Economix » en termes élogieux, si bien que je l’ai lu et que c’est à mon tour de défendre ce fantastique ouvrage.

Economix est un ouvrage de vulgarisation, donc d’explication, de simplification qui s’adresse au plus grand nombre. Comme le titre le laisse supposer, il traite d’économie.

C’est bien simple : si l’on veut comprendre quelque chose au monde dans lequel on vit – pourquoi ça va mal, par exemple- ce livre est indispensable. Je dirai qu’il rassemble en moins de trois cents pages tout l’enseignement de Sciences économiques et sociales des classes de seconde, première et terminale, ainsi que la première année d’enseignement de l’économie de Science Po (enseignement assez généraliste mais qui commence à côtoyer la théorie pure et à la questionner).

Autant d’information dans un gros livre paraît impressionnant, présenté comme je viens de le faire succinctement, mais que nenni : dans ce bouquin, que l’essentiel !

Et pas seulement l’essentiel mais aussi de l’humour, de la clarté, du plaisir, le plaisir de comprendre.

Une fois que l’on a compris certaines choses, on ne peut plus agir comme lorsqu’on les ignorait. Une fois lu ce livre, on ne peut plus consommer gentiment les choses les plus triviales qui nous entourent. On ne peut plus penser de manière cynique que les choses vont mal suite au jeu de la fatalité et que rien ne peut plus dévier la course perdue de l’humanité. Une fois lu ce livre, on a au contraire l’envie de prendre ses responsabilités, se retrousser les manches et voir ce que chacun peut faire à sa mesure.

Economix est un ouvrage de vulgarisation époustouflant. Le travail des auteurs est remarquable, leur intention d’apporter l’information, la connaissance, au plus grand nombre de leurs concitoyens est honorable. C’est pour cela que ces concitoyens sont cordialement invités à faire l’effort de lire ce genre d’ouvrages. Il met à la portée de tous une connaissance indispensable à toute personne qui souhaite être responsable et citoyenne.

Ceci étant dit, entrons un peu plus avant dans le bouquin.

Le livre commence sans ménagement en plongeant aux origines occidentales de l’organisation économique capitaliste. Système féodal, colbertisme, mercantilisme, physiocratie avec François Quesnay, on retient en effet l’essentiel de cette histoire de l’économie sans pour autant la questionner. Ce n’est pas le propos de l’auteur que de questionner les origines, cependant ce pourrait être – et ça l’est- très intéressant de le faire. Pour cela, quelques pages wiki sur les termes énoncés juste au-dessus, auxquelles on ajoute si l’on s’est pris au jeu, la lecture de Louis Dumont « Homo aequalis » et de Karl Polanyi « La grande transformation » (ouvrages très accessibles aussi).

Puis on arrive  à Adam Smith qui est à l’origine du courant économique libéral, parlant de marché libre, de main invisible, de laissez-faire, de division du travail. Personnellement, l’auteur m’a réconciliée avec Adam Smith car voyez-vous, j’avais tendance à le mettre dans le lot des penseurs qui nous ont mal inspirés, malgré eux biensûr, mais bon… Smith a été interprété, surinterprété et mal interprété par de nombreux tenants de la science économique classique, mais on ne peut lui tenir rigueur de ce qui a été fait de ses propos. L’auteur de notre fantastique BD Economix réhabilite Smith en citant de son ouvrage « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations » (1776), des passages que l’histoire n’a pas retenus, pourtant incroyablement judicieux et actuels. C’est pourquoi il peut être intéressant de redécouvrir Smith sous un autre œil.


On continue ensuite la visite en passant par la révolution américaine, ses enjeux internationaux, le début de la connivence entre politique et économie autour de la notion de pouvoir que donne l’accumulation d’argent. Puis on arrive aux premiers penseurs qui ont érigé l’économie en dérivée de science mathématique, avec à leur tête David Ricardo (1816). Tout cela est très bien présenté dans le livre alors je n’en dis pas plus.

On avance, révolutions industrielles, Marx et Engels, socialisme, début de la finance, premières crises systémiques. Les corporations grossissent, acquièrent du pouvoir jusqu’à soumettre les décisions politiques à leurs intérêts (on voit comment tout ce système oligarchique a commencé), avec plein d’exemples savoureux, énormément de bon sens et de recul, toujours subtilement illustrés avec humour.

Tout cela exposé dans les trois premiers chapitres sur les huit que compte le livre. A partir du chapitre quatre et jusqu’à la fin, le livre demande un peu plus de concentration. Le lecteur la fournira sans rechigner. On passera un peu plus de temps sur chaque vignette de la BD et le plaisir de comprendre sera encore plus intense. En effet, on continue à suivre l’évolution historique de l’économie mondiale –ou plutôt de l’expansion du modèle capitaliste libéral tous azimuts- mais les détails sont plus fournis, on creuse la logique plus profondément, on décortique de nombreux exemples, on prend le temps de comprendre et d’assimiler les arguments.

On visite ainsi la crise de 1929, le rôle des banques dans le système, les imbrications d’intérêts des uns et des autres, on rencontre – et quelle belle rencontre !- John Maynard Keynes (« Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », 1936 – ouvrage très important !)

Quand j’ai découvert Keynes il a des années maintenant, je l’ai adoré. Si l’on met en perspective sa formidable analyse de la « monnaie » avec l’anthropologie du don (Mauss, Lévi Strauss,…), on arrive à quelque chose de très intéressant dont il n’est pas encore question ici mais qui touche à la question de la place de l'argent dans notre société : "intermédiaire" de l'"échange", nature "marchande" des biens et donc "marchandisation galopante", etc...

Economix présente en quelques vignettes toutes les bases du débat qui a opposé tant de fois et les oppose encore, les néoclassiques néolibéraux aux keynésiens (microéconomie/ macroéconomie).

On comprend d’où viennent les politiques dites d’austérité (réduction des dépenses publiques, etc), on révise les politiques monétaires de relance par la consommation (politique de type keynésienne), de stop and go, d’économie mixte. On suit l’évolution du Wellfare State (Etat provodence), du syndicalisme, de la guerre froide, de la bureaucratie-technocratie, de la consommation et production de masse, de l’appauvrissement d’une majorité au profit d’une minorité. On sera ravi de croiser Teddy Roosevelt, Lénine, Gorbatchev, qui se sont remonté les manches pour agir concrêtement et plus honnêtement que beaucoup d’autres. On déplore de voir qu’au final, les quelques très riches ont mis au pas tout un système (politique, média, publicité dans le seul but de faire du profit, ce qu’on peut qualifier de perversion de l’idée originelle du capitalisme, d’ailleurs ce n’est même plus du capitalisme…)
Crises pétrolières, reaganomie ( politique économique de Reagan), guerres d’irak, 11 septembre, subprimes, effondrement des banques, etc… l’essentiel de ce qui constitue notre monde économique est passé au crible de l’explication claire de nos auteurs.

Biensûr, ces deux auteurs Michael Goodwin et Dan E. Burr (le dessinateur Dan est tout aussi important que l’auteur des textes : ses dessins en disent beaucoup plus que les mots parfois), défendent un parti pris. Ils présentent l’histoire de l’économie en se permettant d’émettre une critique qui pourrait se résumer à ceci : on est dans un beau bordel auquel personne ne comprend grand-chose, surement parce que nous sommes dans l'erreur:


Difficile à contredire. Aujourd’hui, il est devenu impossible de trouver un argument en faveur d’un statu-quo du système, ou en faveur de son expansion.

Les auteurs ont parfaitement raison sur un point : personne n’y comprend vraiment grand-chose à tout ce bordel politico-économique, ce qui ne veut pas dire que personne ne peut rien y comprendre. Au contraire, si l’on prend le temps de s’y intéresser, beaucoup de choses deviennent compréhensibles. On peut commencer par la lecture d’Economix, qui, je le répète, est un véritable régal, un ouvrage indispensable.




jeudi 19 décembre 2013

Economix - l'histoire de l'économie en BD!

La première histoire de l’économie en BD (lecture engagée, lecture responsable).

Michael Goodwin (textes) et Dan E. Burr (illustrations).



On m’a parlé d’«Economix » en termes élogieux, si bien que je l’ai lu et que c’est à mon tour de défendre ce fantastique ouvrage.

Economix est un ouvrage de vulgarisation, donc d’explication, de simplification qui s’adresse au plus grand nombre. Comme le titre le laisse supposer, il traite d’économie.

C’est bien simple : si l’on veut comprendre quelque chose au monde dans lequel on vit – pourquoi ça va mal, par exemple- ce livre est indispensable. Je dirai qu’il rassemble en moins de trois cents pages tout l’enseignement de Sciences économiques et sociales des classes de seconde, première et terminale, ainsi que la première année d’enseignement de l’économie de Science Po (enseignement assez généraliste mais qui commence à côtoyer la théorie pure et à la questionner).

Autant d’information dans un gros livre paraît impressionnant, présenté comme je viens de le faire succinctement, mais que nenni : dans ce bouquin, que l’essentiel !

Et pas seulement l’essentiel mais aussi de l’humour, de la clarté, du plaisir, le plaisir de comprendre.

Une fois que l’on a compris certaines choses, on ne peut plus agir comme lorsqu’on les ignorait. Une fois lu ce livre, on ne peut plus consommer gentiment les choses les plus triviales qui nous entourent. On ne peut plus penser de manière cynique que les choses vont mal suite au jeu de la fatalité et que rien ne peut plus dévier la course perdue de l’humanité. Une fois lu ce livre, on a au contraire l’envie de prendre ses responsabilités, se retrousser les manches et voir ce que chacun peut faire à sa mesure.

Economix est un ouvrage de vulgarisation époustouflant. Le travail des auteurs est remarquable, leur intention d’apporter l’information, la connaissance, au plus grand nombre de leurs concitoyens est honorable. C’est pour cela que ces concitoyens sont cordialement invités à faire l’effort de lire ce genre d’ouvrages. Il met à la portée de tous une connaissance indispensable à toute personne qui souhaite être responsable et citoyenne.

Ceci étant dit, entrons un peu plus avant dans ce bouquin merveilleux.

Le livre commence sans ménagement en plongeant aux origines occidentales de l’organisation économique capitaliste. Système féodal, colbertisme, mercantilisme, physiocratie avec François Quesnay, on retient en effet l’essentiel de cette histoire de l’économie sans pour autant la questionner. Ce n’est pas le propos de l’auteur que de questionner les origines, cependant ce pourrait être – et ça l’est- très intéressant de le faire. Pour cela, quelques pages wiki sur les termes énoncés juste au-dessus, auxquelles on ajoute si l’on s’est pris au jeu, la lecture de Louis Dumont « Homo aequalis » et de Karl Polanyi « La grande transformation » (ouvrages très accessibles aussi).

Puis on arrive  à Adam Smith qui est à l’origine du courant économique libéral, parlant de marché libre, de main invisible, de laissez-faire, de division du travail. Personnellement, l’auteur m’a réconciliée avec Adam Smith car voyez-vous, j’avais tendance à le mettre dans le lot des penseurs qui nous ont mal inspirés, malgré eux biensûr, mais bon… Smith a été interprété, surinterprété et mal interprété par de nombreux tenants de la science économique classique, mais on ne peut lui tenir rigueur de ce qui a été fait de ses propos. L’auteur de notre fantastique BD Economix réhabilite Smith en citant de son ouvrage « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations » (1776), des passages que l’histoire n’a pas retenus, pourtant incroyablement judicieux et actuels. C’est pourquoi il peut être intéressant de redécouvrir Smith sous un autre œil.


On continue ensuite la visite en passant par la révolution américaine, ses enjeux internationaux, le début de la connivence entre politique et économie autour de la notion de pouvoir que donne l’accumulation d’argent. Puis on arrive aux premiers penseurs qui ont érigé l’économie en dérivée de science mathématique, avec à leur tête David Ricardo (1816). Tout cela est très bien présenté dans le livre alors je n’en dis pas plus.

On avance, révolutions industrielles, Marx et Engels, socialisme, début de la finance, premières crises systémiques. Les corporations grossissent, acquièrent du pouvoir jusqu’à soumettre les décisions politiques à leurs intérêts (on voit comment tout ce système oligarchique a commencé), avec plein d’exemples savoureux, énormément de bon sens et de recul, toujours subtilement illustrés avec humour.

Tout cela exposé dans les trois premiers chapitres sur les huit que compte le livre. A partir du chapitre quatre et jusqu’à la fin, le livre demande un peu plus de concentration. Le lecteur la fournira sans rechigner. On passera un peu plus de temps sur chaque vignette de la BD et le plaisir de comprendre sera encore plus intense. En effet, on continue à suivre l’évolution historique de l’économie mondiale –ou plutôt de l’expansion du modèle capitaliste libéral tous azimuts- mais les détails sont plus fournis, on creuse la logique plus profondément, on décortique de nombreux exemples, on prend le temps de comprendre et d’assimiler les arguments.

On visite ainsi la crise de 1929, le rôle des banques dans le système, les imbrications d’intérêts des uns et des autres, on rencontre – et quelle belle rencontre !- John Maynard Keynes (« Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », 1936 – ouvrage très important !)

Quand j’ai découvert Keynes il a des années maintenant, je l’ai adoré. Si l’on met en perspective sa formidable analyse de la « monnaie » avec l’anthropologie du don (Mauss, Lévi Strauss,…), on arrive à quelque chose de très intéressant dont il n’est pas encore question ici mais qui touche à la question de la place de l'argent dans notre société : "intermédiaire" de l'"échange", nature "marchande" des biens et donc "marchandisation galopante", etc...

Economix présente en quelques vignettes toutes les bases du débat qui a opposé tant de fois et les oppose encore, les néoclassiques néolibéraux aux keynésiens (microéconomie/ macroéconomie).

On comprend d’où viennent les politiques dites d’austérité (réduction des dépenses publiques, etc), on révise les politiques monétaires de relance par la consommation (politique de type keynésienne), de stop and go, d’économie mixte. On suit l’évolution du Wellfare State (Etat provodence), du syndicalisme, de la guerre froide, de la bureaucratie-technocratie, de la consommation et production de masse, de l’appauvrissement d’une majorité au profit d’une minorité. On sera ravi de croiser Teddy Roosevelt, Lénine, Gorbatchev, qui se sont remonté les manches pour agir concrêtement et plus honnêtement que beaucoup d’autres. On déplore de voir qu’au final, les quelques très riches ont mis au pas tout un système (politique, média, publicité dans le seul but de faire du profit, ce qu’on peut qualifier de perversion de l’idée originelle du capitalisme, d’ailleurs ce n’est même plus du capitalisme…)
Crises pétrolières, reaganomie ( politique économique de Reagan), guerres d’irak, 11 septembre, subprimes, effondrement des banques, etc… l’essentiel de ce qui constitue notre monde économique est passé au crible de l’explication claire de nos auteurs.

Biensûr, ces deux auteurs Michael Goodwin et Dan E. Burr (le dessinateur Dan est tout aussi important que l’auteur des textes : ses dessins en disent beaucoup plus que les mots parfois), défendent un parti pris. Ils présentent l’histoire de l’économie en se permettant d’émettre une critique qui pourrait se résumer à ceci : on est dans un beau bordel auquel personne ne comprend grand-chose. Difficile de contredire la légitimité de ce parti pris. Il y a 10 ans, beaucoup de monde se serait opposé au discours de ces auteurs (d’ailleurs, des millions de gens pensent comme eux), mais aujourd’hui, il est devenu impossible de trouver un argument en faveur d’un statu-quo du système, ou en faveur de son expansion.

Par contre, les auteurs ont parfaitement raison sur un point : personne n’y comprend vraiment grand-chose à tout ce bordel politico-économique, ce qui ne veut pas dire que personne ne peut rien y comprendre. Au contraire, si l’on prend le temps de s’y intéresser, beaucoup de choses deviennent compréhensibles. On peut commencer par la lecture d’Economix, qui, je le répète, est un véritable régal, un ouvrage indispensable.



mercredi 4 décembre 2013

Suspension solidaire: le café suspendu

Parmi les nombreuses initiatives solidaires qui éclosent ici et là, que l’on qualifie d’initiatives citoyennes dans la lignée d’un « consommer autrement », un consommer local ou un consommer moins mais mieux par exemple, une nouvelle pratique se met en place, timidement, qui mérite qu’on y accorde un peu d’attention.

Cette nouvelle pratique consiste, pour un individu quelconque, à se rendre dans une brasserie, un café ou un bar, à y commander son café et à en payer un second que l’on mettra « en attente ». Non pas pour le boire soi-même plus tard mais pour qu’il soit bu, ce café « en attente », par un autre individu que l’on ne connaît pas. Cet autre individu entrera dans le bar, demandera au tenancier s’il y a un café « en attente » et dans l’affirmative, ce café lui sera servi.

A l’entrée de son établissement, sur la porte ou bien sur la vitrine, un logo permet d’informer le passant qu’ici, on sert des cafés « en attente ». Comme cela, tant le « donneur » que le « receveur » savent que la pratique du café dit aussi « suspendu » est bienvenue dans cet établissement.

L’idée qui est derrière cette nouvelle pratique est simple : une personne qui a les moyens de prendre un petit café et qui peut en payer un second, offre ce second café à une personne dont les moyens sont moindres. Ainsi, plutôt que de donner deux euros à une personne sans le sou assise au bord d’un trottoir, on fait un geste beaucoup plus concret.

L’idée est certes intéressante, mais pour que cette pratique se répande, quelques points sont à éclaircir.
Tout d’abord, en observant comment les choses se passent auprès des établissements qui ont mis en place le « café suspendu », on commence à distinguer la forme que prend cette nouvelle solidarité.

Par exemple, on observe qu’il y a, dans tous les cas, plus de donneurs que de gens qui viennent réclamer un café en attente. Et cela est riche de sens.

Pourquoi les gens sont-ils prêts à donner ? Pourquoi s’engouent-ils pour ce genre de pratiques ?

Une partie de la réponse tient à ce que j’appelle, la « propension naturelle des gens à compatir ». Au fond, on est tous plus ou moins sensibles et conscients que certains individus ont « moins de chance » que d’autres. Aussi, le modèle de société que nous avons développé autour de nous est responsable d’une grande partie de la pauvreté, on peut affirmer qu’il en engendre ou génère une grande partie. En contrepartie, alors, à l’initiative des citoyens, d’associations ou groupes divers, des « canaux de charité » sont instaurés pour permettre à ceux qui ont de donner un peu à ce qui n’ont pas. Des canaux de charité, ou bien encore des « prêts à agir ». Les collectes alimentaires, vestimentaires, les centres d’hebergement sociaux, etc… Ces canaux sont nombreux et malheureusement, ils n’éradiquent pas la pauvreté, à peine la jugulent-ils. 

Bon, c’est ainsi.

On se rend compte, avec un peu de bonne volonté que ce n’est pas ainsi que l’on résoudra les problèmes de pauvreté autour de nous, et encore moins les problèmes de pauvreté au bout du monde. En effet, la pauvreté n’est pas un problème de quantité – quand bien même on donnerait tout ce dont on n’a pas besoin et davantage aux organismes caritatifs, on ne résoudrait pas le fond du problème. 
La pauvreté résulte d’un problème de « paradigme », comme le dit Pierre Rahbi. Pour synthétiser son propos auquel nous adhérons, la pauvreté – et bien d’autres maux !- est inhérente au système, donc c’est le système qu’il faut repenser.

La pratique du café suspendu, aussi innocente, petite et insignifiante qu’elle puisse paraître aux yeux de beaucoup, s’inscrit dans une logique qui s’éloigne des logiques du système.
Elle est inscrite dans le système car à la base, il s’agit de « payer » quelque chose dans un petit commerce, donc de consommer de manière « traditionnelle », cependant, autour de cette consommation traditionnelle, il y a autre chose de très important. Si l’on fait attention à quelques points, la pratique peut se généraliser et entrainer dans son sillage beaucoup plus de changement qu’on ne l’imagine.

La chose la plus importante à mes yeux est de ne pas stigmatiser le « receveur » en tant que pauvre en marge du système, assisté. Surtout pas. Cette pratique de café suspendu ne peut marcher que si n’importe quelle personne demandant un café suspendu quand il y en a, a son café. Cela suppose un exercice très compliqué de la confiance. Cela requiert aussi de la part de chacun, d’être responsable. Tant pour le receveur que le donneur ou le cafetier intermédiaire. Ce qui est certain pour l’instant, c’est que les donneurs sont nombreux.

Dans un réflexe de pensée inscrite dans la logique du système, la première chose qui peut venir à l’esprit est qu’il va y avoir des abus car les gens sont supposés être égoistes et se jeter sur toute forme de gratuité. On peut aussi penser que cette pratique de café suspendu ne résout rien car ce n’est pas un café qui va changer la situation d’une personne aux moyens moindres. Ou bien encore que ce n’est qu’un moyen supplémentaire de se donner bonne conscience.

On peut aussi penser « autrement », c’est d’ailleurs à la mode, ce penser « autrement ». Pour commencer, il s’agit de penser en terme de confiance, de responsabilité et d’altruité. Il s’agit aussi de penser « petit », « petit » après « petit », caillou après caillou, ce qui à terme (un long terme que l’on a du mal, en ces temps d’instantanéité, à accepter ou concevoir) permet en fait de déplacer des montagnes. Une somme de petits rien peut faire un grand tout.

Confiance, responsabilité et altruité : voyons cela de plus près.

Si le cafetier voit dans la pratique du café suspendu la possibilité de gagner 10 euros par jour en ne respectant pas la règle, grand bien lui en fasse. S’il respecte la règle, ce qu’il a à gagner n’a rien de pécuniaire. Ce qu’il a à gagner c’est de donner à sa profession son sens originel : tenir un lieu de convivialité au sein duquel les gens viennent se poser quelques instants pour se retrouver entre amis, pour se jeter un petit café au fond du gosier avant de retourner travailler, etc. C’est d’être pleinement un petit commerçant au service des gens qui passent dans son établissement. Que le « merci » du client soit sincère et gratifiant. C’est, au fond, ce qu’il y a de plus important dans son métier. La pratique du café suspendu est l’occasion, pour le commerçant, de redonner du sens à son travail. Dans les établissements qui ont mis en place cette pratique, nombreux sont les cafetiers qui n’hésitent pas à contribuer au geste en complétant de leur poche une monnaie laissée insuffisante. Ils laissent par exemple une petite boîte sur le comptoir pour les monnaies « incomplètes » et ajoutent ce qui manque.

Si une personne se dit que c’est pour elle l’occasion de ne plus avoir à dépenser pour son café et qu’elle décide d’y aller allègrement, régulièrement, elle se rendra compte que le café, quand on en abuse, c’est mauvais pour la santé. C’est surtout irréfléchi que de se dire qu’on peut profiter de la générosité des autres à travers la consommation de café. Il est en fait si peu probable que des gens y voit une réelle opportunité de profit que le nombre d’individus concernés est trop faible pour priver les autres de leur petit café. Rappelons-le, les donneurs sont vraiment nombreux.

Comme je le disais plus haut, le fait qu’ils soient nombreux est révélateur. Non pas du fait que les gens cherchent à se jeter dans des prêt a agir pour se donner bonne conscience, mais révélateur du fait que les gens se sentent concernés et ont besoin de se sentir responsables. Ils ont besoin de faire quelque chose, de savoir ce qu’ils font et comment le faire. Pour cela, agir à petite échelle, à « proximité » est indispensable. C’est une des clés du changement auquel on aspire. Le petit, le local, la proximité vont de paire avec la confiance, la responsabilité et l’altruité (sur laquelle je reviendrai prochainement).

La pratique du café suspendue crée de l’engouement chez les personnes qui en ont entendu parler. Elle s’est ouverte à d’autres biens tout aussi « petits » : la baguette de pain, un sandwich, un repas chaud, un livre de poche. Dans de nombreux cas, le petit commerçant est pro-actif et « complète » le geste du donneur.
Le "petit" est essentiel.

C’est une affaire à suivre et à faire tourner. Encore une fois, penser « autrement », c’est d’abord penser « petit ».





lundi 11 novembre 2013

Chaud devant: les états de la matière

En regardant tomber les premiers flocons de neige de la saison, pas longtemps, juste quelques minutes, le temps de réaliser que l’hiver arrivait, j’ai été prise d’un doute. Un doute très diffus. J’ai quitté des yeux la fenêtre pour m’adresser d’un coup d’un seul à mon ami voisin de table, docteur en biologie, le seul voisin surement capable d'encaisser mes questions pas toujours très digestes:

-     Combien d’états de la matière connaissons-nous ? Par exemple l’eau peut être solide, liquide ou gazeuse, mais est-ce généralisable à toute la matière que nous connaissons ? Une chose est-elle forcément solide, liquide ou gazeuse? 

Mon voisin a gentiment éclairé ma lanterne :

-        Il y a trois états principaux de la matière comme tu viens de le dire, solide, liquide et gazeux, mais on en connaît d’autres ( Plasma, super-fluides...). La matière change d’état en fonction principalement de la température et de la pression. La température de fusion de l’eau est d’environ 0° C et l’eau bout à environ 100°C .
-        Fusion ? Tu veux dire le phénomène de solidification ?
-        Non, l’autre, quand elle passe de l’état solide à l’état liquide.
-        Tiens donc, et comment s’appelle-t-on le changement d’état liquide à état solide ?
-        Solidification, tout simplement, et on appelle sublimation le passage de l’état liquide à gazeux ou solide à gazeux.
-        C’est très intéressant cela, parce que ces termes sont très évocateurs philosophiquement. Fusion, sublimation…
-        Mais ce qui est surtout intéressant, c'est que ces états principaux sont des états dits stables, et que pour passer d’un état stable à un autre état stable, la matière passe par une multitude d’états intermédiaires. Il existe aussi des états dits « métastables », lorsque par exemple, on trouve de l’eau liquide à – 40°C, on parle alors de surfusion. Les facteurs que sont la température et la pression ne sont pas les seuls qui entrent en compte dans les « transitions de phase ».

Nous y voilà : transitions de phase, état et processus, état stable et instabilité, thermodynamique et entropie, et maintenant métastabilité. Tu m’étonnes que le doute ait été diffus. Des concepts, plus que des phénomènes, ô combien intrigants.


1 - la notion de changement d’état 

Lorsqu’on parle d’état de la matière, on suppose une stabilité de la matière, et définir des états stables nous permet de catégoriser la matière en fonction des formes dans lesquelles elle se manifeste (la roche est solide, le lait est liquide, etc). 

On peut considérer que la stabilité d’un état est relative à notre perception et à notre préhension cognitive. Pour passer d’un état théoriquement stable à un autre, la matière transite par de nombreux états intermédiaires que nous ne voyons pas toujours. L'eau ne passe pas de l'état solide à l'état liquide en un claquement de doigt, mais tout au long d'un processus de solidification. Aussi, il existe différents types de solidité, de liquidité, de « gazéité » (pour employer des termes barbares). Un cristal, comme un flocon de neige, n’est pas la même chose qu’un bloc de glace. Une substance colloïdale (gel) n’est ni « vraiment » solide, ni liquide. Mais qu’est-ce que « vraiment » solide veut dire, il y a du solide plus solide que du moins solide, et c’est toujours plus ou moins « solide » par rapport à des éléments extérieurs.

Ce que l’on cherche, ce sont des formes qui ne varient pas beaucoup en fonction de l’environnement extérieur, des formes stables. Imaginons que la roche se mette à fondre dès qu’il fait plus de 30°C, nos montagnes auraient fière allure. Notre quête de stabilité a deux conséquences importantes : d’abord elle nous fait voir l’instabilité comme « mauvaise », porteuse de risque et d’insécurité, une faille dans notre maîtrise de l’environnement ; ensuite, entre stabilité et instabilité, il y a un monde intermédiaire qui n’on ne pense pas à regarder (sauf si on est un scientifique, je veux dire).

C’est lorsque l’on va voir un peu plus en profondeur les secrets de la matière, que l’on constate la relativité des observations et des premiers développements théoriques que les observations ont inspirés. Pour faire simple : l'homme a observé du dur, du moins compact, du liquide, de l’air, puis il a théorisé les différents états répertoriés. C’est ainsi que la science a commencé, par un répertoire d'observations, puis une réflexion qui tente de rendre compte de ces observations.

Aujourd’hui, on pense la matière comme étant « finie », dans le sens « limitée » à ces trois types de manifestations, ou comme pouvant, quoi qu’il arrive – si par exemple, on découvre d’autres formes de matière, on en connaît déjà plus de trois - être catégorisée selon sa forme en états distincts les uns des autres. Distincts dans le sens où l’on fait abstraction des états intermédiaires, des processus. Distincts dans le sens où l’on évacue toute idée d’une continuité de la matière. Une continuité bien évidemment très subtile, latente.
Si l'on "met de côté" les aspects liquide, gazeux, solide et surfusionné de l'eau, que reste-t-il? Dans quel état est notre eau ? La matière est continue dans ses changements d'état, et l'état dans lequel un chose nous apparaît, est en fait l'état le plus visible à nos yeux, parce que plus stable.

Pour en revenir à ma matière « étatistique » (encore un mot barbare), je dirais que nous avons une tendance générale à réifier la matière et que cette tendance devrait être questionnée. Si l’on découvrait par exemple qu’au niveau macroscopique, ou mésoscopique – bref à l’échelle de notre interaction directe (via nos sens) avec la matière- celle ci n’était pas aussi déterminée, voire déterminable, objectivable, discrète, qu’on le pense et qu’on le souhaite, cela inviterait à repenser sérieusement le matérialisme dans toutes ses dimensions (notamment sociologique).

2) L’homme cherche la stabilité au moyen de la métrie, plus que de la mesure.

On pourrait parler d’une "métrication" de la matière, d’une "métrication" des phénomènes, une "métrication" dont l’étalon de mesure est toujours, nécessairement, proportionnel à la condition anthropique. Plus clairement : c’est en rapport avec des observations faites par l’homme que sont établis les étalons de mesure. Par exemple : la thermométrie (mesure de la température).

Je vous raconte et vous me direz.

Je reprends mon voisin de table :

-        Tu me dis donc que la matière change en fonction de la température notamment.
-        Oui, et à des températures proches du zéro absolu, on observe des phénomènes de super-fluidité, ce qui est un autre état de la matière.
-        Le zéro absolu, c’est -273 degrés n’est-ce pas ?
-        C’est ça, - 273,15 degrés Celsius, ou 0 kelvin (0°K), c’est une limite de froid approximative, un peu comme le mur de Planck.
-       Je vois.

Ce que je vois, c’est que nous avons des chiffres étranges pour parler températures. Avant de me jeter sur internet pour avoir des infos sur je ne sais quoi, je réfléchis. Voyons. Degrés Celsius, degrés kelvin, Fahrenheit, et il y en a sûrement d’autres.

Étrangement, l’eau gèle à 0° Celsius et bout à 100 degrés Celsius. Ce ne peut être un hasard. 

Se peut-il alors qu’on ait arbitrairement pris des phénomènes observés (solidification de l’eau, évaporation) et décrété du poing sur la table que l’un déterminerait une « température » de 0° et l’autre de 100° ? Ensuite par rapport à ces deux bornes, on aurait établi une graduation s’étendant entre et au-delà des bornes, exactement comme on trace une droite passant par deux points A et B, posant A= 0 et B=100, divisant le segment « interponctuel » en 100 sous-parties égales et prolongeant la graduation au-delà des limites du segment, en respectant la « taille » des sous-parties.

Dans ce cas, la taille d’une sous-partie, autrement dit, la taille d’un degré, a quelle valeur ?

Il a une valeur et une valeur certaine : c’est un moyen, un instrument à notre disposition pour mesurer une dimension de notre environnement (dans le but de contrôler et de comprendre cet environnement, etc…) mais en dehors de « nous », la valeur d’un degré est simplement…. hors de toute considération. 

Ensuite j’ai cherché des infos sur le degré Celsius et j’ai été surprise de voir que notre bon monsieur Celsius a procédé, ainsi que ses confrères thermomètres (dans le sens spécialistes de la thermométrie bien sûr), comme je l’imaginais : d’après l’observation de phénomènes. Chaque thermomètre choisissant ses phénomènes, puis se conformant ou non à la coutume centigraduelle. (Fahrenheit avait choisi pour ses bornes 0° F et 12°F, avant de multiplier par 8 ses degrés, établissant les bornes à 0° et 96°F) Notons que Celsius lui-même avait, à l’origine, créé une échelle de mesure inversée, c’est-à-dire que plus on allait vers le froid, plus les nombres augmentaient… C’est un bel exemple de la place qu’occupe la « convention » : le froid est égal à moins, le chaud à plus, mais pas nécessairement.

Amusons-nous un instant:
Si la température la plus froide qui existe est de -273,15 degrés Celsius. Qu'on ait décidé d'en faire le point de départ d'une autre échelle (celle de Lord Kelvin par exemple).  On aurait pu prendre la température du soleil comme borne supérieure (5526°C) on additionne les deux 5526 + 273.15= 5800 (arrondis) Si on veut garder notre symétrie entre positif et négatif on divise par deux et hop, le soleil a une température de 2900 degrés Bellefleur, le zéro absolu est de -2900, l'air printanier frôle les 150° B. Bien sûr, dans ce cas, la valeur d'un degré est la même que pour l'échelle de Celsius ou pour l'échelle de Kelvin. On peut donc faire un bazar plus important en choisissant par exemple que seuls les nombres premiers sont marqueurs de degrés, et que l'écart thermique entre chaque nombre est le même quelque soit la "valeur" de l'écart numérique. On peut faire ce qu'on veut, encore faut-il que le système international soit convaincu de la praticité de votre échelle et qu'elle ne bouscule pas trop les conventions. Ce qui sera commun à toute échelle, a priori et jusque preuve du contraire, c'est son arbitraire, lié au fait que ce sont des "phénomènes physiques à notre portée" qui conditionnent l'échelle.
On sait quelle est la température la plus froide pour l'instant, en dessous de laquelle on ne peut pas descendre, par contre on peut monter très haut, peut-être même approcher de manière asymptotique un infini potentiel! Si l'on considère alors que les températures sont finies, avec un minimum et un maximum, on constate que nous sommes plus près de fond du bocal que du couvercle. Cela en théorie, car la majorité de l'univers baigne dans un froid glacial.

Voici un tableau qui illustre la relativité du degré par rapport à l’homme :











Donc, la température, qu’est-ce que c’est si ce n’est une manifestation diffuse d’énergie sous forme de sensation calorifique (froid, chaleur !) que nous nous sommes amusés à graduer ? 

Le degré n’existe pas dans la nature. Et ce qui est valable pour la thermométrie est sans doute valable pour toute métrie. Cela bien sûr, n’invalide en rien les disciplines et les pratiques de mesure, mais cela les relativise, et cette relativité mérite d’être pensée.


Quelques articles croisés sur internet:
Degré Celsius sur Wikipédia

jeudi 7 novembre 2013

Mais qu'est-ce qui se passe....

Bon, après quelques virages existentiels délicats à négocier, nous voilà arrivés à bon port, c’est-à-dire, devant une belle page blanche que des petits doigts agités vont s’empresser de noircir. 

Je fais actuellement une pause dans les articles-étapes qui s’éparpillent sur la paillasse du laboratoire Shantée Bellefleur. Non pas que j’ai fait le tour de toutes les questions qui m’intéressent, mais je crois qu’il est temps de faire une sorte de « point ». Donc, je travaille depuis quelques semaines sur un article « transversal ». Transversal ? Quoi qu’est-ce ? Eh bien disons qu’il s’agit d’un article synthétique à tendance systémique… si cela vous parle davantage… c’est-à-dire un article qui lie les thèmes qui me sont chers et qui tente, après moult génuflexions mentales, de comprendre ce qui se passe dans ce bas-monde.

Crise, pouvoir, puissance, d’un côté ; complexité chimérique du système et servitude volontaire d’un autre côté, saupoudrés des notions d’atavisme, d’effort, de confiance.
Individualisme, matérialisme, progrès, connaissance, rationalité, processus, condition humaine, altern'action, tout cela passé au crible d’un enthousiaste « penser autrement ». Jusqu'à, pourquoi pas, penser une "condition quantique".

Mmmm, tout un programme excessivement ambitieux. D’autant plus ambitieux que l’ensemble transversal est présenté, tant que faire se peut, sur un ton détendu, avec le moins d’envolées métaphysiques possible, comme des amis discutant autour d’un pack de bières, cherchant à comprendre honnêtement et sincèrement, « qu’est-ce qui se passe »….. !

Un de mes professeurs répétait souvent qu’en plaçant la barre haut, bien qu’il soit peu probable de l’atteindre, les efforts faits pour tenter d’atteindre cette barre nous mèneraient plus haut que si la barre avait été moins haute… Etait-ce mon professeur de sport ? Je ne sais plus.

Bon, assez de bavardage, il est temps de s’y remettre.

mardi 5 novembre 2013

Noces Rebelles



J’ai regardé les Noces Rebelles hier, film de Sam Mendes dans la veine d’American Beauty qui est aussi un superbe film, soit dit en passant.

Les Noces Rebelles, je ne connaissais pas du tout. Je ne savais pas, au moment où j’ai commencé à le regarder, qu’il était du même réalisateur qu’American Beauty, et encore moins qu’il traitait un peu du même sujet (à savoir une critique des mœurs de la classe moyenne américaine).

Après les premières minutes de ce film, voyant que le couple de l’histoire se déchire terriblement, je me lève pour éteindre la télé, bien consciente qu’un drame sentimental est la dernière chose qu’il me faille voir en ce moment. Mais j’attends quand même un peu : si le film commence aussi mal pour les personnages, ça va forcément aller mieux, auquel cas je ferais mieux de regarder.

En effet, un peu plus loin dans le film, les deux jeunes mariés prennent une décision surprenante : ils vont tout laisser tomber, maison, boulot, amis, pour aller vivre une vie qui ait du sens, se donner les moyens de prendre le temps, les moyens de faire des choses intensément, trouver leur voie, explorer leur richesse intérieure, etc. 

Lui : « - Mais qu’est-ce que j’ai de si exceptionnel qui vaille la peine que je le cherche ?
Elle : -  Tu es la chose la plus merveilleuse au monde : tu es un homme. »

Évidemment, ce genre de réplique ne peut pas me laisser indifférente et je me dis à ce moment du film que c’est absolument fantastique. S’ils partent à la poursuite de leur rêve et envoient tout balader, cela veut dire que c’est possible et qu’il y a de l’espoir.

Je me rassois dans une confiance inconfortable, espérant voir la suite que je souhaite voir, mais tout de même légèrement sceptique. J’ai beau avoir confiance en la vie et être enthousiaste, je sais que rien ne se passe jamais comme on le souhaiterait…

 A ce moment-là, je partais pour voir le film dans son intégralité. Quelque soit l’évolution, heureuse ou triste, je ne couperais pas l’histoire puisque je venais d’y associer une question existentielle toute personnelle.

En effet, précisons sans nous appesantir sur la question, que j’ai récemment fait quelques choix de vie qui s’apparentent au « allons en Europe vivre une vie qui ait du sens ! » du film. Je m’accroche de toutes mes forces à l’espoir qu’il est possible de mener une existence honnête envers soi-même, à l’espoir que si l’on se donne les moyens de se connaître et se trouver, on pourra éventuellement s’épanouir et vivre intensément, quitte à ce que, pour que cela se fasse, il faille mener une vie allant à contre courant de la norme. Pourtant, tout autour de moi tend à me convaincre du contraire. Surtout ces jours-ci ou mes espoirs sont terriblement mis à mal.

Si je parle aujourd’hui de ce film, les Noces Rebelles, c’est parce qu’il a réussi à anéantir tous mes espoirs, à ne laisser qu’un vide insipide au fond de mon cœur ou de ma tête, le truc qui fait qu’on sent et qu’on comprend.

Ce film est d’une justesse incroyable. Il est horriblement vrai.

Quelle insolence que de croire que la vie est faite pour être menée intensément. Quelle inconscience de chercher le sens que sa propre existence peut avoir. La vie est faite pour être traversée tête baissée, discrètement, en faisant le moins de vague possible, en respectant toutes les règles pour être agréable aux autres. Les rêves ne sont que des poisons qui entretiennent un espoir qui sera nécessairement déçu. Il vaut mieux les ignorer et le plus tôt est le mieux. Toute confiance, tout enthousiasme, tout rêve d’amour véritable, tout cela n’est voué qu’à être dévasté, brûlé, piétiné, et pas forcément par les autres mais aussi, simplement, par les évènements, le cours de la vie…

Ce film fait écho à de nombreux discours qui me sont répétés depuis des années, notamment par mes parents, qui me le répètent encore, et que je m’évertuais alors à ne pas écouter. « Ne pas être normale c’est une folie, une maladie et la vie se chargera de te le faire comprendre. »

Maintenant je l’entends très clairement.

C'est tellement rassurant de voir les rêveurs se casser la gueule et agoniser dans leur désespoir.

Ce n’est pas la première fois que je me prends la réalité en pleine figure. J’ai toujours continué à avancer, cependant, même très lentement, voire de plus en plus lentement. Aurai-je aimé être différente et avoir d’autres attentes de la vie : bien-sûr, mais je ne peux pas changer.

Alors, comme notre chère April dans le film, j’ai bien peur de ne voir qu’une issue possible. A moins qu’une fois de plus, encore une fois, une petite étincelle s’embrase à nouveau, un petit espoir… Mais pour l’instant, je ne vois rien se profiler à l’horizon.

Je suis curieuse de voir si je vais m’en sortir cette fois-ci.