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samedi 14 septembre 2013

De quoi parle "La discretion de l'homme moderne"



La philosophie est un vaste domaine.
Elle prend aussi différents visages. Parfois, elle prend celui d’un historien qui retrace le fil des idées philosophiques et de leurs auteurs depuis un passé lointain jusqu’à aujourd’hui. D’autres fois, la philosophie questionne. 

Lorsque la philosophie questionne, elle s’intéresse à des sujets à l’abord compliqué, c’est-à-dire des sujets que notre quotidien ne nous met pas sous le nez régulièrement. Pourtant ces sujets sont très importants : il peut s’agir de la condition humaine, du sens de la vie, de la foi et des idéologies, de la nature de la réalité.

Grâce à ce questionnement, la philosophie garde l’esprit en alerte. Elle tente de ne rien considérer comme « allant de soi ». Elle permet de remettre en cause des idées reçues et de se projeter dans un « autrement » potentiel.

Elle cherche avant tout à réconcilier l’homme avec lui-même.

Il est une question qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai abordé certains concepts mathématiques. Pour être plus précise, disons que certains concepts mathématiques m’ont permis de poser une question dont les termes avaient déjà été soulevés au cours de réflexions sur le temps et la rationalité.

Voici de quoi il retourne.

En mathématiques, il existe un problème très important sur lequel de très grands esprits se sont penché (Newton, Leibnitz, Cantor et beaucoup d'autres) : c’est l’opposition entre discret et continu. Il apparaît que notre esprit ne peut concevoir quelque chose de continu autrement que comme une succession d’éléments discrets. 
Un élément discret est simplement un élément dénombrable, séparable, unitaire, distinct d’autres éléments. Le caractère discret, c’est- à-dire séparable, dénombrable, est applicable à toute sorte de choses. Par exemple, un gaz est constitué de particules, l’eau est aussi constituée de particules. En mathématiques, Newton et Leibnitz ont inventé une manière d’étudier le mouvement d’un fluide qui consiste à dire, dans un premier temps, que le fluide est constitué d’une infinité de points. Ensuite, il s’agit de calculer la position, la vitesse, de chaque point en chaque endroit pour prévoir l’écoulement du fluide étudié.

Ceci n’est qu’un exemple de la difficulté qui existe dans la conception de choses discrètes (distinctes) et de choses continues.

Je me suis demandée pourquoi nous rencontrions une telle difficulté à concevoir le continu autrement que comme le mouvement de choses discrètes. 

Tout d’abord, je me suis confrontée à l’intraitable rationalité. 

La rationalité est une faculté qui nous est chère. Ici, dans les pays occidentaux plus qu’ailleurs. Nous avons une histoire des idées qui nous a présenté la Raison comme étant ce que l’homme avait de plus efficace pour acquérir des connaissances, pour comprendre. La rationalité repose sur des processus logiques rigoureux. Elle est objective, c’est-à-dire que n’importe quel homme peut suivre un processus logique et aboutir a la même conclusion. La rationalité n’est pas tributaire de l’individu qui l’emprunte.

La rationalité généralise des phénomènes pour pouvoir les prévoir. La rationalité a établit un principe fondamental : le principe de causalité. Une même cause produit un même effet. Et toute chose est la conséquence d’un ensemble de choses. De manière générale, la raison CONCOIT, c’est –à-dire qu’elle extirpe des éléments de ce qui les entoure. C’est la base de son fonctionnement. En conclusion de ma réflexion, je me disais que CONCEVOIR est un acte de DISCRETISATION, et qu’à partir de là, il nous serait en effet difficile de CONCEVOIR le CONTINU.

Qu’il soit difficile de concevoir le continu, c’est une chose qui ne semble pas nous faire avancer, mais avoir conscience que c’est la raison qui rend cela difficile, c’est une avancée. Une petite avancée.

Je me suis ensuite posée une autre question : dans quelle mesure la discrétisation imprègne-t-elle notre manière de voir le monde, de le penser, et de nous penser, en tant qu’hommes dans le monde.
 
La réponse à cette question n’est pas très compliquée : la discrétisation est omniprésente dans notre manière de voir le monde. Elle l’est principalement dans la pensée occidentale. Les notions d’individualisme, de libéralisme économique (capitalisme) sont des idéologies qui reposent sur l’idée absolue selon laquelle tout ce qui constitue la réalité avec laquelle nous pouvons interagir, est DIVISIBLE. 

Par exemple, les individus sont des corps séparés les uns des autres, c’est un fait, mais l’individualisme repose plus sur ce qui sépare les individus que sur ce qui les relie.

Ensuite les exemples sont innombrables : différenciation, marchandisation de plus en plus de choses à  la limite de l’éthique, matérialisme, satisfaction de l’intérêt personnel…

Cette réflexion sur le discret, si elle ne donne pas de réponse ni de solution à quelque problème, a le simple mérite d’apporter un léger éclairage sur certains phénomènes importants. Elle ouvre la voie à d’autres réflexions. Surtout, cette réflexion affirme que la nature discrète de la réalité que nous percevons est relative à notre mesure. C’est à dire qu’il peut être hasardeux de spéculer sur une séparabilité toujours vraie, à toute échelle, de tout ce qui nous entoure. Il peut être envisageable que la discrétisation soit une affaire d’hommes. D’hommes trop rationnels…

Article : La discrétion de l'homme moderne