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mardi 11 mars 2014

De la réduction à l'escalope

Voici une petite anecdote au suspens insoutenable et à la cocasserie manifeste que je rédigeai au mois de Juin dernier et que je viens de retrouver...

 Par un dimanche soir empli de la douceur du mois de juin, mon ami et moi décidons de faire une halte à Troyes pour y dîner, avant de poursuivre notre route vers les confins de l’est. Il ne sert à rien d’aller à Troyes si ce n’est pour s’arrêter dans le centre ville, petite perle moyenâgeuse. Nous trouvons donc, à l'angle de deux rues pavées, une petite terrasse donnant, de part et d’autre, sur des maisons à colombages.

Après que nos deux paires d’yeux se soient baladées sur l’ensemble du menu :

Lui : « Bon alors, tu as choisi ? Tu sais ce que tu veux ?

La demoiselle : - Non, j’hésite…, les yeux rivés sur un coin de carte. J’hésite entre la pièce du boucher et sa petite poêlée de champignons, et l’escalope de saumon sauce au miel…

- Bon eh bien décide-toi! Qu’est-ce que tu choisis, la serveuse arrive.

- Ah ben j’en sais rien ! Je verrai bien ce que je lui aurais dit quand elle m'aura posée la question ! Pourquoi devrais-je me décider maintenant…

- Faut bien que tu saches ce que tu veux manger…

Malgré tout le bon sens de cette réflexion, je ne semblais pas m’inquiéter de mon indétermination.

- En même temps, le fait que ce soit une escalope ne joue pas en faveur du saumon. Les escalopes et moi on n’est pas trop copines. Je préfère quand c’est plus épais, c’est moins cuit et c’est plus tendre. Et puis «escalope» ça sonne mal, j’aime pas ce mot, tu ne trouves pas que c'est moche une escalope?

- Alors tu prends la pièce du boucher…

- J’en sais rien, je vais quand même lui poser la question… (Quelle question ?)

- Messieurs, dame, vous avez choisi ?

- Oui, oui... Juste une petite précision, s’il vous plaît… Le saumon, c’est une escalope, c’est ça ? (J’imagine que je voulais être certaine que chez eux, une escalope n’est pas un pavé, ou qu’il ne s’agissait pas d’une grosse faute de frappe.)

-Oui, c’est une escalope, comme une escalope, c’est tranché fin.

-Ah, parfait, je prends ça, ajoutai-je d’un ton rassuré et pleinement satisfait.

Face à moi, l’homme se prend le visage entre les mains, lève les yeux au ciel et secoue la tête d’un air réprobateur.

- Je croyais que tu n’aimais pas les escalopes.

- Oui, moi aussi ! Comme quoi, tu vois !

Après deux gorgées de vin qu’il avale pour se raccrocher à une réalité qu’il sent lui échapper, j’ajoute tout doucement, comme si je lui révélais un secret très précieux :

- C’est ce qu’on appelle la réduction du paquet d’ondes !

- La quoi ?

- La réponse est déterminée par l’existence de la question. Tant que la question n’est pas posée, toutes les possibilités coexistent dans un état de superposition. Tant que je n’ai pas à choisir un plat et un seul pour qu’il me soit effectivement servi, tous les plats qui me plaisent sont susceptibles d’être choisis.

- C’est pourtant pas compliqué de faire un choix…

- Je ne sais pas si c’est compliqué de choisir, mais parfois, je n’ai tout simplement pas envie de choisir. Je préfère avoir la surprise. Et là c’est une bonne surprise parce que je ne pensais pas choisir le saumon et je suis sûre que mon plat sera excellent…

Puis nous reprîmes une discussion plus classique, si bien que la serveuse et toute la ville de Troyes ne subirent aucun dommage. Par contre, il n’est pas certain que l’homme s’en soit sorti indemne, sans parler de l'escalope.