Il n’est pas très compliqué de saisir l’origine étymologique de cette audacieuse construction néologistique qu'est la simplexité. (Une création tout droit issue de la simplicité et de la complexité).
Rassurez-vous, j’emploie des mots qui font peur juste pour
vous faire peur. Mais j’arrête à partir de cette ligne. En fait, si l’on regarde
au-delà de l’apparente complexité des termes, les choses sont assez
simples. Et c’est précisément cela qui nous intéresse ici.
Mais j'arrête, j'ai dit.
Tout d’abord, familiarisons-nous avec le mot « simplexité ».
Juste le mot.
Simplexité. Simple excité. Simplexe… plexité, flexe,
vexe… mais aussi : simplet, replet, plaît.
Prenons le temps de sentir chaque micro mouvement que ce mot impose à notre langue.
Prenons le temps de sentir chaque micro mouvement que ce mot impose à notre langue.
Il y a quelque chose de pesant et de crochu dans ce mot. Quelque chose de lourd et de long qui peine à s’élever - dans le son « simp » , « sss » étendu, serpentant ; « im »
long et trainant ; « p » tombant - et quelque chose, au
contraire, de très envolé, de vif et de fugace, d’échappé, d’insaisissable, de
retord, de coquin – dans le son « plexe »,
« pl » est souple, mobile, agile, « ex » est coupant.
On ne sait lequel des deux aspects l’emporte, au final. Est-ce que cela termine au raz du sol, entièrement dévoué à la saisie mentale, ou bien haut dans les airs, virevoltant, insaisissable, disparaissant. On ne sait pas. Cela dépend.
De quoi ?
Cela dépend…
On ne sait lequel des deux aspects l’emporte, au final. Est-ce que cela termine au raz du sol, entièrement dévoué à la saisie mentale, ou bien haut dans les airs, virevoltant, insaisissable, disparaissant. On ne sait pas. Cela dépend.
De quoi ?
Cela dépend…
Simplexité.
Au-delà de son goût et une fois passée la sensation du mot,
il convient d’ouvrir la porte sur ce que peut être la simplexité. Plus qu’un
mot, un son ou une sensation, c’est un univers. Un concept.
Un concept qui peut être envisagé, dans un premier temps, comme une « sublimation
de la complexité ».
Je m’explique. Tout d'abord, débarrassons la table pour pouvoir y poser nos hypothèses.
Posons comme hypothèse de départ qu’une chose simple est "élémentaire" (c’est-à-dire constituée d’un seul élément- dans la mesure du possible, ou de très peu d’éléments) et qu’une chose complexe est « composée » de tant d’éléments que sa décomposition – son analyse- semble impossible.
Posons comme hypothèse de départ qu’une chose simple est "élémentaire" (c’est-à-dire constituée d’un seul élément- dans la mesure du possible, ou de très peu d’éléments) et qu’une chose complexe est « composée » de tant d’éléments que sa décomposition – son analyse- semble impossible.
Posons également que le processus de « comprendre »
une chose complexe consiste, dans un premier temps, à « analyser », c’est-à-dire « décomposer »
cette chose en autant d’éléments que l’on pourra cerner avec pertinence.
Ceci étant posé, prenons, ensuite, un esprit.
Pas n’importe quel esprit mais un esprit « disposé » à s’intéresser à des choses, à apprendre. Un esprit curieux et ouvert. Et suffisamment confiant… (Tous les esprits sont ouverts et curieux, mais nous vivons, hélas, dans un monde - le monde des hommes- qui bride cette ouverture).
Pas n’importe quel esprit mais un esprit « disposé » à s’intéresser à des choses, à apprendre. Un esprit curieux et ouvert. Et suffisamment confiant… (Tous les esprits sont ouverts et curieux, mais nous vivons, hélas, dans un monde - le monde des hommes- qui bride cette ouverture).
Enfin, prenons un « évènement ». Il peut s’agir
d’un problème, d’une contradiction, d’une information, une observation, une
situation… Un évènement qui pose problème si vous préférez.
Un problème
compliqué.
Bon.
Notre esprit qui ne se laisse pas rebuter par
l’apparente complexité des choses relève ses manches et embrasse le problème à
bras le corps. Il analyse, décompose,
tourne et retourne.
Parfois, peu de gesticulations suffisent à dénouer les liens maladroits d’un problème. En trois mouvements cognitifs, hop, voilà le problème démonté et remonté autrement, si bien qu’il n’y a plus de problème. Juste un joli ensemble sans doute alambiqué, mais surement compréhensible.
Parfois, peu de gesticulations suffisent à dénouer les liens maladroits d’un problème. En trois mouvements cognitifs, hop, voilà le problème démonté et remonté autrement, si bien qu’il n’y a plus de problème. Juste un joli ensemble sans doute alambiqué, mais surement compréhensible.
Malheureusement, parfois mille gesticulations ne suffisent
pas. Il arrive même très souvent qu’un
problème résiste aux assauts rationnels, qu’il soit
insoluble dans l’analyse.
Ce n’est pas parce que notre esprit ne se laisse pas rebuter a priori qu’il ne succombe pas, souvent hélas, devant les intrications inextricables de
certains pans de problème. Le problème disparaît alors dans une sorte d’impossibilité
fondamentale.
Alors, l’esprit peut, dans un profond désespoir intellectuel,
renoncer.
Renoncer à comprendre !
Renoncer à comprendre !
Dans ce cas, il n’est pas rare d’assister à un phénomène
surprenant que l'on pourrait appeler une sublimation de la
complexité. Comme si l’acharnement qui avait accompagné l’analyse, bien que
celle-ci ait été vaine, ne restait pas vain.
Tout ce qui a été trituré, mélangé, ressassé, dépiauté, dans
un maelstrom sans fin, fini par s’agencer dans un processus inconscient. Tout d’un
coup, notre porteur d’esprit, notre chercheur, ressent une sensation étourdissante. La sensation
que « ca y est », « mais oui bien sûr »… Un chemin s’est ouvert,
tout au loin, là où il n’avait rien vu la dernière fois qu’il avait regardé.
Mais maintenant c’est là.
Sans doute un mot, une odeur, une situation, une intonation,
une implication, peut-être un goût, un détail dans un champ de vision, aura fait
écho à une bribe de travail inconscient, aura éclairé cette bribe, l'aura sortie du noir, ou
lui aura permis de s’incarner dans un élément de réalité.
De prendre forme.
Une
forme palpable. Préhensible.
Une fois échouée sur la rive de la conscience, cette bribe de
travail inconscient, inconnu et imperceptible, "ci-gît" :
« Hey ! Regardez ce qu’on a trouvé échoué juste là… Mais qu'est-ce que c'est que ce truc... Ca bouge! c'est vivant ! Mais c'est... non.... Hey les gars, revenez! C'est ce que cherchait depuis des mois! »… - et le travail cognitif, conscient, peut reprendre de plus belle.
« Hey ! Regardez ce qu’on a trouvé échoué juste là… Mais qu'est-ce que c'est que ce truc... Ca bouge! c'est vivant ! Mais c'est... non.... Hey les gars, revenez! C'est ce que cherchait depuis des mois! »… - et le travail cognitif, conscient, peut reprendre de plus belle.
Sans doute faut-il à un moment lâcher prise, accepter qu'on ne maîtrise pas cette drôle de mécanique qu'est la pensée du début à sa
« Fin », l'éclaircie, la compréhension.
On peut ne jamais trouver, ne jamais
comprendre, mais bien souvent, une démarche de connaissance qui s’inscrit
dans une intention honnête, ouverte, opiniâtre et désintéressée, est fortement
propice à l’apparition de « bonnes et belles » idées.
Chercher à
comprendre, c’est aussi choisir.
C’est choisir de croire que l’on peut comprendre,
tout en étant bien certain que l’on peut ne pas comprendre. C’est risqué, et c’est
avant tout une histoire de confiance. Non pas une confiance aveugle en soi,
mais une confiance en l’ « extérieur ». C'est une démarche immodeste et humble à la fois.
Par exemple, je vous donne un avis tout personnel. Un avis sur une question "phénoménologique". Un avis que l'on pourra mettre en "époché" car il n'est, en soi, pas question de cela ici, mais je vous le donne quand même:
On peut penser que les choses de la réalité – ou la « Réalité en soi »- sont récalcitrantes à se laisser comprendre. La réalité, quelque sens que revête ce terme, est mystérieuse, obscure, et, sans doute, ennemie.Il nous faut l'affronter avec vigilance et s'en méfier. "Elle nous joue des tours", pensons-nous.
Je crois davantage que c’est de nous dont il faut se méfier. Admettons-le. Nous avons du mal à accepter que les choses ne soient pas telles que nous voudrions qu’elles soient. C’est comme si notre esprit ne voulait voir que des choses rondes et ne comprenait pas que des choses soient carrées. Nous voudrions ainsi, par exemple, voir des choses rondes parce que le rond aurait une valeur sacrée, ou religieuse, ou traditionnelle, ou esthétique… et que le carré serait mathématique, idéal, inconcevable, métaphysique, extérieur, autre, différent par rapport à nos présupposés. Si l'on accepte que les choses peuvent ne pas être rondes, alors elles peuvent être carrées, ou triangulaires, ou bien autre chose encore. Bref. Cette réalité phénoménologique est accessible dès que l'on accepte qu'elle n'est pas si étrangère, extérieure à nous, ou contre nous. Elle est beaucoup plus accessible dès que nous acceptons que nous sommes capables de la "comprendre" - de la prendre avec soi.
Le problème de notre méfiance vis à vis du "monde", ce n'est pas "lui", ce monde, cet "autre", non. Bien souvent, c'est nous. Tout point de vue part de celui qui regarde.
On peut penser que les choses de la réalité – ou la « Réalité en soi »- sont récalcitrantes à se laisser comprendre. La réalité, quelque sens que revête ce terme, est mystérieuse, obscure, et, sans doute, ennemie.Il nous faut l'affronter avec vigilance et s'en méfier. "Elle nous joue des tours", pensons-nous.
Je crois davantage que c’est de nous dont il faut se méfier. Admettons-le. Nous avons du mal à accepter que les choses ne soient pas telles que nous voudrions qu’elles soient. C’est comme si notre esprit ne voulait voir que des choses rondes et ne comprenait pas que des choses soient carrées. Nous voudrions ainsi, par exemple, voir des choses rondes parce que le rond aurait une valeur sacrée, ou religieuse, ou traditionnelle, ou esthétique… et que le carré serait mathématique, idéal, inconcevable, métaphysique, extérieur, autre, différent par rapport à nos présupposés. Si l'on accepte que les choses peuvent ne pas être rondes, alors elles peuvent être carrées, ou triangulaires, ou bien autre chose encore. Bref. Cette réalité phénoménologique est accessible dès que l'on accepte qu'elle n'est pas si étrangère, extérieure à nous, ou contre nous. Elle est beaucoup plus accessible dès que nous acceptons que nous sommes capables de la "comprendre" - de la prendre avec soi.
Le problème de notre méfiance vis à vis du "monde", ce n'est pas "lui", ce monde, cet "autre", non. Bien souvent, c'est nous. Tout point de vue part de celui qui regarde.
Sur cette idée selon laquelle la Réalité ne serait pas
récalcitrante à la compréhension, j’en appelle à ce petit jeu de symétrie qui,
je l’avoue, m’a séduite:
La simplexité est à la simplicité ce que la complicité est à
la complexité. Les unes et les autres se font écho.
On peut voir une complicité entre l’évènement problématique, complexe,
l’élément de réalité qui nous échappe, d’une part, et d’autre part notre esprit
disposé, confiant, embrassant et opiniâtre, et qui, donc, ne regarde pas les choses avec
méfiance, appréhension de leur « sens » ou de leur supposée implication.
Un esprit
libre, finalement.
La réalité se laisse saisir avec la complicité de l’inconscient. Comme s'ils marchaient main dans la main, la réalité et notre inconscient; notre inconscient pourrait nous être plus "étranger" encore que la Réalité !
Il n’est pas anodin que la « simplexité » -
sublimation de la complexité- soit riche de sens et que son parent symétrique –
la complicité- sublime à son tour le concept de simplexité. On surmonte généralement la complexité d'un problème lorsque l'on veut sincèrement la surmonter. La bonne volonté ne suffit pas mais elle est déterminante. Et après s'être cogné cognitivement sur un problème, après que notre tête toute embrouillée de milles choses soit épuisée, le ciel se dégage, les choses se débrouillent, et c'est précisément ce débrouillage que l'on peut appeler simplexité. Une sublimation de la complexité.
La pensée semble fonctionner en suivant une symétrie. Une idée
ne vient pas de nulle part. Une idée qui apparaît est un écho, un reflet
biscornu, un remaniement, un autre point de vue, une autre formulation. Une mise
en ordre de choses divagantes et chaotiques. Des bribes de flux de pensée se
répondent les unes aux autres, s’évoquent, se choquent, s’invoquent, se fondent
et se confondent. Non pas dans un marasme clos ou étouffant mais toujours au
contact de l’extérieur. Ce formidable et mystérieux extérieur.
L'inconscient fait un travail gigantesque. Il fait office de "pont", de lien, entre notre pensée consciente et la réalité. C'est donc dans la relation confiante entre "nous" et l'"extérieur" que se dessine notre "compréhension".
L'inconscient fait un travail gigantesque. Il fait office de "pont", de lien, entre notre pensée consciente et la réalité. C'est donc dans la relation confiante entre "nous" et l'"extérieur" que se dessine notre "compréhension".
…
Le sous-titre provisoire de la « petite épistémologie
de la créativité- 1ère partie » était : « de la contrainte nécessaire ».
En effet, la contrainte est omniprésente, surtout pour un esprit créatif, comme celui d'un artiste. Comprendre ce qu'implique la contrainte, ce qu'elle est et de quelle manière elle est indispensable sera le fruit du prochain article. De la contrainte comme "barrière de potentiel".
A SUIVRE !
* Pour se remettre dans le bain, on jettera un oeil distrait à cet article : "Petite épistémologie de la créativité".