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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 31 janvier 2015

"Etres vivants doués de sensibilité"

Janvier 2015, l’Assemblée Nationale vient de reconnaître aux animaux le statut juridique d’ « êtres vivants doués de sensibilité ». Cela empêchera-t-il les mauvais traitements dont sont victimes les animaux dans notre société (tests en laboratoires, élevages intensifs, massacres de masses, etc…) ?

En 2132, lorsque les enfants apprendront dans les livres d’histoires (si les livres existent encore, si l'école existe encore…) que c’est aussi tardivement qu’on a reconnu un tel statut aux animaux, quand ils découvriront comment nous les maltraitions pour le fonctionnement de notre système de consommation de masse, ils s’en ébahiront. «  Ils se croyaient si avancés, ils pensaient être au stade ultime de l’évolution, alors qu’ils n’avaient rien compris. Ils ignoraient que la terre est un immense organisme vivant, doué d’une forme d’intelligence qu’ils ne soupçonnaient pas, ils ont fait comme s’ils savaient tout et ont failli s’autodétruire. »
En 3132, l'homme ne sera plus considéré comme omnivore. Il ne touchera plus aux animaux sans aucune considération pour le vivant. Manger de la viande sera devenu aussi choquant pour l'esprit que le cannibalisme. Vous n'y croyez pas... On parie ? ;)

vendredi 30 janvier 2015

Une légère gravité

Je vous propose un petit jeu de réflexion un peu fou, vous qui n’avez rien demandé.

Voici une phrase : « Le réalisateur utilise la déformation du temps pour donner plus de gravité à ses personnages ».

Voici en quelques mots ce que nous dit la théorie de la relativité générale : « l’espace et le temps forment un continuum, comme si l’espace et le temps étaient les deux manifestations d’une même chose. L’espace –temps est le cadre dans lequel s’inscrivent toutes les lois de la nature. Ce qu’on appelle gravitation, c’est la déformation du continuum (par exemple une dilatation du temps). Lorsqu’un corps massif évolue dans l’espace et se rapproche d’un autre corps, l’espace-temps aux environs de ces deux corps se déforme. »

Y-a-t’il quoi que ce soit dans la TRG qui entre en contradiction avec la première phrase ?
Une déformation du temps peut-elle influer le mouvement d’un corps ? Voire influer sur la masse de ce corps ? Le rendre plus ou moins massif ?

Une histoire qui s’inscrit dans un temps tel qu’il est ressenti par le personnage permet-elle de donner à ce personnage plus de matière intérieure ? Plus de densité ? Plus d’épaisseur ? Le degré de gravité est-il lié à un surplus de masse ? A une façon de ressentir le passage du temps ?


Il n’y a biensûr pas de réponses. Juste un peu d’évasion, un jeu qui cherche un lien entre gravité d’un personnage  et gravitation des astres, temporalité d’une histoire et espace –temps des lois physiques.

Rien de bien grave ! 

mercredi 28 janvier 2015

On ira tous au paradigme !

Nous avons pris l’habitude de soigner les symptômes plus que de soigner le mal. Il en va ainsi en médecine par exemple. Quand on attrape une maladie, comme une maladie de type chronique, une maladie digestive, ou bien une maladie des articulations, même une dépression, on soigne les manifestations de ces dernières à l’aide de médicaments. On calme la douleur. Mais on se doute que la maladie ne surgit pas de nulle part. C’est souvent le stress et notre mode de vie, notre alimentation et notre sédentarité qui sont à l’origine des maux qui nous accablent. 

A une autre échelle, celle de la société par exemple, il existe aussi de nombreux maux qui sont symptomatiques d’un mal que l’on peine à identifier. Il est d’ailleurs probable que les causes des maux qui font souffrir notre corps soient proches des maux qui font souffrir la société ( rythme de vie des citoyens, alimentation industrialisée de masse, sédentarité, etc…) Le point à souligner, c’est cette tendance que nous avons à soigner, partout, les symptômes. On pense qu’à force de soigner ces derniers, de les faire disparaître, on soigne le mal. On éteint le signal d’alarme et parce qu’on ne l’entend plus, on considère que ce qui a déclenché l’alarme a disparu. Pourtant, si l’on fait l’effort d’être honnête, on sait qu’on ne touche pas le cœur du problème en modifiant ses manifestations. Mais c’est comme si nous avions peur d’aller voir ce qui se cache derrière les symptômes. Alors on se rassure hâtivement en se disant que si la douleur a disparu, c’est que les causes qui l’on amenée sont elles aussi parties. Ces causes sont en fait simplement enfouies, niées, négligées. On ne veut pas les voir car elles semblent être incurables. Trop profondes. Tellement liées à notre système, à notre société, à notre nature humaine, qu’on n’imagine pas qu’il soit possible d’y toucher. On sent qu’on a à faire à un problème de taille incommensurable aux aspects très nombreux et imbriqués, et dont on ose péniblement  s’approcher.

Le problème dans tout cela, c’est donc qu’on ne sait pas vraiment quel est le problème. On parle volontiers de crise totale, tant on ne saurait dire si elle est davantage économique, politique, sociale, ou idéologique, écologique… On pourrait parler d’une crise de civilisation, comme si notre civilisation affrontait ses propres limites, ce qui est probablement le cas. Toujours est-il que cet imbroglio problématique à visage de crise généralisée semble d’une complexité inextricable. On peine à identifier les causes profondes qui ont conduit à la situation actuelle. Or les défis qui nous attendent ne pourront être relevés, dans le meilleur des cas, que si parvenons à voir un peu plus clair dans ce qui nous arrive.
C’est dans le but de cerner les contours de ce qui pose réellement problème que je propose un petit jeu d’introspection à la fin de l’article intitulé « Quelque chose qui me chiffonne ». Pourquoi ce jeu ? Parce que je ne crois pas qu’il soit suffisant ni même productif de débattre entre érudits sur les problèmes de société, comme on n’entend plus que cela sur les ondes actuellement, en tous sens. Je crois en fait qu’il serait bon de faire une pause, chacun chez soi dans un premier temps, et de se consulter soi-même. De s’interroger intimement. A partir de cette base introspective, il est possible de dégager des pistes propices à une profonde remise en question de notre mode de vie. C’est à partir du moment où nous aurons une idée claire des suites de causes et de conséquences qui nous amenés aujourd’hui à être au bord de l’auto-destruction (d’après les scientifiques, biologistes, géologues, climatologues, il serait 23h57 sur l’horloge de l’humanité, soit 3 minutes avant le tombé de rideaux) que nous pourrons envisager un changement de paradigme.


Changement de paradigme.


Un « changement de paradigme », un changement de société est nécessaire, d’après Pierre Rabhi. Il n’est sûrement pas le seul penseur à avoir trouvé cette idée mais il est de ceux qui insistent sur l’importance d’un tel changement. Cependant, pour changer de paradigme, il faut comprendre celui sur lequel nous reposons et que nous voulons modifier. Un changement de paradigme, c’est quelque chose de très compliqué en apparence, mais de fondamentalement très simple. Tout d’abord, on peut commencer par voir ce qu’est un « paradigme ».

Un paradigme, c’est comme une paire de lunettes. On la chausse sur notre nez et on regarde à travers. On voit ainsi « nettement » ce qui nous entoure, on voit le monde tel qu’il est, semble-t-il. Et nous pouvons plus aisément interagir avec ce monde puisque nous le distinguons de manière « claire ». Un paradigme c’est comme un filtre  inconscient qui structure la luminosité d’un paysage. Par exemple, il peut fait ressortir certains reliefs d’un paysage et masquer les vallées, ou bien encore il peut colorer toute la réalité de nuances violettes si bien que nous ne pouvons pas voir d’autres couleurs, ni savoir qu’elles existent. Un paradigme est comme un filtre qui nous fait voir certaines choses mais nous en cache d’autres. Un paradigme, c’est une manière intuitive et intériorisée de voir le monde. C’est un ensemble de principes tellement enfouis dans notre culture, dans notre tête, qu’on ne sent même plus qu’ils existent et qu’ils façonnent notre vision des choses. Ces principes remontent, pour la plupart, à près de 3000 ans en occident, près de 5000 ans en Asie, et chaque grande aire culturelle a ses propres paradigmes. Mais toujours et partout on peine à les mettre en évidence. Ils remontent très difficilement à la surface de la conscience – aussi bien de la conscience collective que de la conscience individuelle. Alors imaginez : changer de paradigme quand on ne sait pas très bien sur quel paradigme on repose ! C’est compliqué… Bien heureusement, on dispose de plusieurs « mots-clés » qui nous éclairent sur notre paradigme parce qu’on y réfléchit de temps en temps : matérialisme, rationalité, individus, libéralisme, utilitarisme, propriété privée, etc… On sent bien que ces principes sont davantage propres à notre civilisation occidentale qu’à une autre civilisation (africaine, asiatique), et donc qu’ils ne sont pas universels. Cependant, on y est attaché et on ne saurait pas vivre autrement. On a l’impression que notre civilisation est ce qu’elle est parce qu’elle a simplement progressé à partir de ce qu’elle était, que nous sommes dans une continuité logique, normale, depuis 300 ans, depuis 600 ans, depuis 2000 ans. Nous avons avancé. Certes, nous avons avancé, mais avec les lunettes que je mentionnais plus haut bien fichées sur le nez.

Mettre en évidence un paradigme, c’est comme si on cherchait à analyser notre manière d’analyser, sans utiliser notre manière d’analyser. On peut imaginer un chercheur qui aurait l’œil rivé sur son microscope et qui voudrait non pas regarder à travers la lentille un échantillon minuscule, mais qui voudrait regarder le microscope tout en gardant l’œil collé dessus. C’est comme vouloir regarder ses lunettes de loin tout en les gardant sur le nez. On voit que l’affaire n’est pas mince. Mais elle n’est pas impossible. Reprenons notre métaphore de la paire de lunettes. Quand on regarde à travers ses lunettes, on focalise notre regard à travers les verres bien devant soi, au centre de la monture. On ne regarde pas trop dans les coins car ceux-ci échappent à la correction, ils sont flous, ils sont hors-cadre. On préférera tourner l’ensemble du visage – et avec un peu de chance les lunettes adroitement posées dessus devraient suivre le mouvement - pour qu’un coin qui était flou devienne le centre de notre champ de vision, à travers nos verres. Eh bien ces coins flous qui n’entrent pas dans notre champ de vision clair et familier, sont comme les événements et les phénomènes qui se produisent dans notre société et que nous peinons à interpréter. Il peut s’agir de milles petites choses qui échappent à la préhension rationnelle, des choses que des théories sociologiques ou scientifiques ne parviennent pas à  incorporer dans leur corpus. Chercher à interpréter des événements, c’est ajuster notre paire de lunettes. Mais il reste toujours des zones floues. C’est à partir de celles-ci que l’on peut envisager de regarder autrement. Si l’on accepte qu’une zone reste floue, si on accepte de la regarder du coin de l’œil quitte à plisser celui-ci, on peut voir des formes bizarres, des couleurs étranges, des sensations ineffables, des choses nouvelles qu’on ne saurait définir. L’imagination entre en jeu. On est dans un processus bien moins rationnel et bien plus artistique. Déjà, accepter de regarder du coin de l’œil une zone floue est un changement de paradigme. C’est comme accepter de perdre en rationalité. En effet, nous acceptons difficilement de ne pas voir clairement les choses. Nous aimons comprendre distinctement, alors que souvent, toujours sans doute, nous saisissons d’abord les choses par le ressenti qu’elles provoquent en nous. Cependant, officiellement, nous déclarons fonctionner selon un mode rationnel jugé seul efficace, alors qu’officieusement c’est notre intuition qui joue un rôle déterminant, qui dicte à la raison où se focaliser. C’est un exemple et nous reviendrons sur la rationalité plus tard.


Prenons la question du changement climatique. Il s’agit d’un symptôme tel que j’en parlais au tout début de ce papier. Il s’agit aussi d’un ensemble de phénomènes sur lesquels nous ne sommes pas tous d’accord. Sommes-nous responsables du réchauffement climatique ? Est-il aussi dangereux qu’on le dit ? Certains doutent de la réalité de ce problème. Pourtant ce symptôme est très réel. Mais il contredit très violemment notre mode de fonctionnement si bien que beaucoup préfèrent nier le symptôme plutôt que d’embrasser le problème dont il émane. Soit. La question du changement climatique (extinctions de milliers d’espèces animales, déforestation, réchauffement, épuisement des ressources, stérilisation des sols…) nous fait caqueter si bien que nos lunettes en tremblotent. Et c’est tant mieux car nos lunettes ne nous ont pas fait voir distinctement le mur vers lequel nous fonçons. C’est exactement parce que nos lunettes ne tiennent plus bien en place que les penseurs avertis comme Pierre Rabhi dont je parlais tout à l’heure nous invitent à un changement de paradigme.

Ce qui fait peur, dans un premier temps, quand il s’agit de « changer de paradigme » c’est qu’on ne sait pas comment voir le monde autrement que tel qu’on le voit. On ne sait pas s’il est possible de fonctionner autrement. Et si oui, on a peur que ce soit moins bien. On a peur de perdre en confort, en bien-être, par exemple. Si toutefois on peut affirmer que nous vivons dans le confort et le bien-être. Il y a donc une tentation nihiliste : si notre mode de vie est mauvais, alors rien n’est à garder. Tout est foutu. Et on entend beaucoup de discours qui s’entrechoquent sur un ton catastrophiste et apocalyptique. Qu’ils soient légitimes ou pertinents, ces commentaires ne sont pas productifs. Ce n’est pas parce que les choses ne peuvent plus être telles qu’on les a connues qu’elles ne peuvent pas être « autres ». Il ne s’agit pas de tout balayer d’un revers de main contrarié et de chercher à revenir en arrière. On ne revient jamais en arrière. Par contre, il est évident que toute « situation présente » est toujours inédite. Jamais une crise n’est identique à une autre. La situation dans laquelle nous nous trouvons n’a pas de solutions ailleurs ou de solutions passées. Ce n’est pas non plus parce que 2000 ans ont façonné notre manière de voir que celle-ci est sacrée, juste et légitime. Comme si 2000 ans de processus garantissaient celui-ci contre l’erreur. Deux millénaires c’est peu à l’échelle d’une civilisation. Mais comme il s’agit de la nôtre, nous la chérissons et voulons la préserver dans son état, en corrigeant tant bien que mal ses aspects négatifs (pauvreté, dépression, maladie, ruine des écosystèmes…). Ca ne suffit pas. Les aspects négatifs ne sont pas périphériques, ils sont centraux et demandent à être regardés en face : est-ce qu’on veut sauver notre maison ou bien notre peau ? Est-ce qu’on veut sauver notre mode de vie ou notre vie ? Quand on pose la question de manière aussi radicale, la réponse ne fait pas de doute (j’espère), et je crois que la question mérite d’être posée en termes radicaux. C’est ainsi qu’on bouscule certains principes, c’est ainsi qu’on fait tomber quelques certitudes, c’est ainsi qu’on met en évidence les traits de notre paradigme.

A la recherche du paradigme

Déjà, on sait que dans notre paradigme il y a du capitalisme. Voilà un point de départ. Mais qu’est-ce que ça veut dire capitalisme ?

Capitalisme

Le capitalisme c’est tout simplement, à l’origine, l’idée d’ « accumuler du capital ». Plus généralement, on retiendra que « capitalisme » veut dire « accumuler ».
On peut dire que l’origine de cette idée remonte au 17ème siècle en Angleterre, et on se référera à l’ouvrage incontournable de Max Weber « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (1905) qui explique d’un point de vue sociologique la nature du capitalisme et comment en quelques décennies il s’est installé avec succès dans les pays occidentaux.  Si on veut approfondir la question économique, qui mérite de l’être, on lira la BD « Economix » de Michael  Goodwin et Dan E. Burr.

L’idée fondamentale du capitalisme émergeant est celle-ci : c’est une bonne chose que de d’utiliser les profits obtenus de son négoce pour produire plus. Avant, il n’était pas forcément bien vu de « réussir ». Weber démontre qu’avec l’essor de la doctrine protestante qui dit « les élus au salut sont déjà déterminés, peu importe la dévotion exercée au cours de votre vie terrestre, vous avez tout intérêt à participer à l’effort collectif » ou quelque chose dans le genre, les gens n’ont plus eu peur de s’enrichir par le commerce.

Donc :
le message capitaliste « utiliser vos profits pour augmenter votre capital de production » + changement de mentalité dû à la réforme prostestante  «  il est bon de faire des affaires et de s’enrichir sur terre » = mise en place d’une société d’accumulation.
Le petit fabricant de tissu va utiliser les gains de son commerce pour faire grandir son affaire. Et tout le monde va faire pareil.

Cela partait sans aucun doute d’un bon sentiment. Le commerçant ne réinvestit pas la totalité des profits dans son affaire mais il y verse une grande partie, et il en garde une autre partie pour accroître son confort, en agrandissant sa maison, par exemple. Un petit commerçant, à l’époque, pouvait tout aussi bien utiliser les fruits de son négoce pour son ménage, sans chercher à le réinvestir dans son affaire pour en tirer plus de profit qu’il réinvestira dans son affaire pour en tirer encore plus de profit qu’il réinvestira dans son affaire pour en tirer encore plus de profit qu’il etc… . Et dans une course à l’accumulation effrénée, on devient riche et on n’a pas vu qu’on piétinait la terre, pillait ses ressources, épuisait son énergie. Au même moment, tous les efforts au niveau politique, social, scientifique cherchent à préserver et accroître davantage l’incroyable richesse que nous avons réussi à produire. Il faut donc aller plus vite, faire plus d’échange, etc…, vous connaissez la suite. On est devenus fous progressivement, en 300 ans, ce qui représente peu de temps. Nous sommes principalement devenus fous parce que nous avons été pris dans un engrenage d’accumulation exponentielle - qui va toujours plus vite - et qui nous a empêchés de prendre le temps de réfléchir et regarder où on allait.
Soit.
Pourquoi sommes-nous tombés dans une telle logique d’accumulation ? N’est-ce pas parce qu’il est bon d’accumuler des biens, des sous, des richesses, du confort et du bonheur ?
Mettons qu’il soit bon d’accumuler des biens, que cela nous rende heureux. Ce qui explique en grande partie pourquoi le capitalisme a pris une telle ampleur dans nos sociétés, jusqu’à entrainer une mondialisation, c’est dire l’effet boule de neige du processus, c’est le fait d’avoir, il y a près de deux cent ans, fait de l’économie une science particulière, plus tout à fait humaine et très mathématique. C’est ce qu’on appelle la Théorie Economique ( d’abord micro-économique : libérale, néo-libérale, libertarienne, centrée sur les acteurs individuels,  puis macro-économique : Keynésienne, qui part des agrégats).
En fait, la Théorie Economique, c’est un peu un Frankenstein conceptuel. On a pris d’un côté à la théorie politique le « libéralisme » qui nous plaisait bien. A l’époque en question, 18ème et 19ème siècle, on est autour des Lumières de la démocratie et des libertés individuelles. On a donc beaucoup de liberté en économie. D’un autre côté, fascinés par la rigueur des sciences dures (rigueur acquise grâce aux mathématiques notamment), on a décidé que l’économie pouvait fonctionner comme un phénomène naturel tel que ceux que la science physique étudie, décompose, prévoit, etc. L’économie devient une science à part entière. Les acteurs interagissent en fonction de critères biens définis, prévisibles et mesurables, et puis il se passe des choses.  Ainsi, par exemple, un individu est motivé par une seule chose : la recherche de la satisfaction de son intérêt personnel (c’est en ces termes que la théorie s’exprime). Pour ce faire, il travaille et on le dédommage de sa perte de temps libre en lui versant un salaire que notre individu utilisera pour satisfaire son intérêt personnel (Consommation, Epargne).

La théorie néo-libérale (à laquelle on associe l’économiste Ricardo entre autres) accompagne l’essor du capitalisme au 20ème siècle si bien qu’un phénomène inédit dans l’histoire de l’humanité se produit : l’activité économique qui toujours avait été soumise au pouvoir politique s’autonomise de ce dernier. L’activité économique n’a plus pour objectif de garantir la stabilité matérielle des ménages mais tout autre chose : le profit pour le profit.
Cette théorie néo-libérale qui domine notre économie financière est à l’origine de très jolis concepts comme ceux-ci : utilitarisme, intérêt égoïste, individualisme, compétitivité, productivité, dérégulation et dérèglementation.

Alors, comment en sommes-nous arrivés à imaginer l’homme comme étant un individu aussi égoïste ne cherchant qu’à satisfaire son intérêt personnel…
Est-ce en l’observant, tout simplement ? Peut-être, mais je ne crois pas. Quand bien même on observerait une bête humaine dans son environnement, on n’en apprendrait pas beaucoup sur ce qui la pousse à agir.
En fait, les valeurs qui ont inspiré la théorie économique, celles qui ont inspiré le capitalisme, celles qui déterminent notre rapport à l’économie, puis le rapport de l’économie au domaine politique, toutes ces valeurs qui sont un peu les mêmes (rationalité, une certaine forme de liberté) reposent sur un plus gros principe. Un principe qui lui remonte à près de 2000 ans, qui s’est imposé et qui a façonné toute une vision du monde. Notre rapport au monde. Le voici l’élément peut-être le plus important, notre paradigme : le matérialisme.

Alors il ne s’agit pas du matérialisme qui voudrait qu’on soit à l’affût de la moindre paire de chaussure ou de la dernière TV HD. Ces comportements-là relèvent d’un matérialisme ambiant qui se noie dans la masse de valeurs qui nous entourent. Le matérialisme qui a été pensé il y a plus de 2000 ans –auquel on pourra associer Aristote- est un peu plus compliqué. Voire beaucoup plus abstrait. Mais on va faire simple et court.

Ce matérialisme renvoie à l’idée de « matière » au sens très large : tout ce qu’on peut toucher, saisir, distinguer, soit, tout ce qui nous entoure. On considère que toute cette matière « est le réel ». Qu’il n’y a pas d’autre réel que la matière. Ce postulat est très important et il est décisif. Il nie la possibilité que le réel puisse être de nature autre que matérielle. Il pose aussi que le réel nous est accessible et ouvre la possibilité que nous le soumettions à notre action. De cette conception matérialiste du monde, bien plus tard, ont découlé le cartésianisme, la dualité corps /esprit, la rationalisation (qui consiste à découper le réel), le recours systématique et exclusif à la Raison seule pour étudier ce réel (qui est à la base de la démarche scientifique). La notion de « propriété privée » aussi découle de cette vision matérialiste du monde. On considère que le réel peut être façonné par nos soins, pour l’adapter à notre condition, et que nous pouvons ainsi le posséder. Puisqu’il nous est possible de comprendre le réel (grâce aux sciences qui reposent sur la Raison) ; puisque ce que nous « voyons » est tout ce qu’il y a à voir, alors nous pouvons soumettre la nature, la matière, à l’homme. C’est dans l’ordre des choses, constatons-nous. Ainsi nous nous somme approprié la nature.

Aujourd’hui pourtant, face aux nombreux scandales sanitaires et écologiques qui éclatent presque au quotidien, nous entendons de plus en plus que « la terre ne nous appartient pas », et depuis 30 ans on a inventé, bricolé, la notion de développement durable, qui demeure bien inefficace face à l’ampleur des dégâts éco-sanitaires que 200 ans d’activités industrielles ont engendré.

Pour résumer, on a donc une logique comme suit :

Un postulat matérialiste du monde : le réel n’est pas autre chose que la matière qui nous entoure et que nous percevons ;

Une fascination devant la Raison : plus que nos cinq sens physiques, c’est notre raison qui nous permet au mieux de cerner le réel, le découper et l’ordonner.
La raison permet de connaître la dimension matérialiste du réel.
Si l’on décide que la raison est le seul moyen de connaissance ;
si l’on décide que le réel n’est que la matière (que la raison nous aide à voir clairement) ;
alors l’usage quasi-exclusif de la Raison ne peut qu’engendrer une vision matérialiste du monde ;
donc, nous pouvons connaitre le réel en utilisant notre Raison.
Il y a une logique inter-rétroactive entre Raison et réalité matérielle. La matière se donne à notre compréhension si nous utilisons notre raison. On dit même que ce réel est mathématique (Pythagore, Galilée) et il est vrai que la matière obéit à des lois physiques. Or nous ne voyons que la matière car nous ne regardons que du point de vue de la raison, seule jugée légitime et pertinente pour décrypter la réalité.
Puisque nous pouvons comprendre la nature, c’est que nous lui sommes « supérieurs » et en conséquence, nous pouvons la soumettre et nous l’approprier.
Si on ajoute à cette logique la doctrine capitaliste et sa logique d’accumulation exponentielle devenue mondiale, on comprend comment on a pu en arriver à marchandiser l’ensemble du réel.

Même si en notre for intérieur nous ne sommes pas tout à fait convaincus d’être supérieurs au réel, ni convaincus que le réel n’aie pas quelques aspects immatériels, mystérieux et insondables, voire inaccessibles, nous avons bâti un monde qui repose sur des règles qui, toutes, partent du principe que nous sommes supérieurs au réel qui nous entoure.
Je parlais de zones floues tout à l’heure, lorsque je prenais une paire de lunettes pour illustrer la manière dont fonctionne un paradigme. Je voudrais maintenant préciser quelques-unes de ces zones floues.

Matérialisme et dématérialisation

Depuis les années 80 et plus particulièrement avec l’invention d’Internet, on assiste à un phénomène de dématérialisation grandissante des moyens de communication et d’échange. Les transferts d’argent se font instantanément sans que les billets passent concrètement d’une main à une autre et on peut désormais payer par simple contact entre une carte et un terminal de paiement. De même, on peut balader des millions d’euros d’un portefeuille à un autre en appuyant sur les touches d’un clavier d’ordinateur. La communication est de plus en plus dématérialisée : les messages électroniques ont remplacé la voie postale et le papier ; un papillon bat de l’aile à Tokyo et Paris en est immédiatement informé, bref. Les échanges vont tellement vite qu’ils n’ont plus besoin de reposer sur la matière. Il est étrange de voir que dans un monde matérialiste, on fasse autant l’éloge de la dématérialisation des supports. En fait, on ne les a pas dématérialisés, on en a réduit la taille et concentré l’efficacité. Comme cela on va plus vite, car on considère (encore un principe de notre paradigme) que la rapidité est gage d’efficacité. Puisque la technologie nous permet d’obtenir les choses tout de suite, on veut les obtenir tout de suite. Mais si la technologie a permis l’instantanéité, c’est aussi parce que la logique d’accumulation capitaliste a mis en évidence que plus on allait vite, plus on faisait de choses, et plus on accumulait.

Or, avoir des choses immédiatement revient à s’affranchir du temps. Et on ne peut s’affranchir du temps sans s’affranchir de l’espace, selon les lois scientifiques. On voit bien que ce qui nous permet d’aller vite prend de moins en moins de place. Il y a dix ans un lecteur mp3 remplaçait, à la fois, le tourne-disque et la collection de 33 tours ; aujourd’hui, je peux accéder depuis un smartphone à toutes mes données musicales stockées sur le Cloud ou bien sur des plateformes d’échange. Je n’ai besoin que de mes écouteurs et mon smartphone, en tant que choses concrètes. J’appuie sur trois boutons et j’écoute ma musique. Pour aller plus loin, on pourrait imaginer tout aussi bien greffer une puce sur notre cerveau connectée à un immense réservoir de données et rien qu’en pensant « écouter musique », elle se déclencherait dans notre tête. Il suffirait ensuite de penser « connexion enceinte » pour que celle-ci se diffuse à travers les murs de la pièce où on se trouve. « Immédiatement » veut dire sans média, sans intermédiaire. Moins il y a de media, moins il y a de barrières, de points, de ponctuation,  et plus on circule vite et librement. C’est bien dans cette logique que nous sommes. Or s’il a de moins en moins de points d’encrage dans la matière, un flux d’information ou d’argent devient direct entre l’émetteur et le récepteur, il y a donc moins d’opportunité pour le localiser, l’intercepter, ou tout simplement le voir. Il y a une certaine non-localité qui s’est mise en place, si l’on peut dire. Des milliards de flux s’opèrent chaque jour, de façon telle que ces flux monstrueux semblent s’autonomiser des acteurs qui les émettent. D’innombrables flux financiers sont d’ailleurs automatisés. En résultat, nous avons l’impression qu’un grand groupe d’affaires international n’est plus localisable dans un espace géographique circonscrit et est encore difficilement localisable dans un espace virtuel. Est-ce au siège social que se prennent les vraies décisions ? N’est-ce pas plutôt l’anticipation des réactions des marchés qui définit une stratégie de la part des dirigeants supposés d’un groupe ? Les marchés ne seraient-ils pas devenus quelque chose de « plus que la somme » des actions des traders, actionnaires, investisseurs, etc ? Nous avons davantage l’impression que notre système financier est une monstruosité protéiforme affamée devant laquelle les activités économiques (donc politiques) doivent se prosterner pour ne pas se faire dévorer.  Nous avons construit cette monstruosité progressivement grâce à des concepts théoriques libéraux comme celui de « désintermédiation », inventé par H. Bourguinat. Sa « théorie des 3D » (décloisonnement, dérèglementation et désintermédiation) a parmi la fluidification et la mondialisation des flux financiers dans les années 80 - 90. Aujourd’hui, la désintermédiation s’étend bien au-delà de la sphère financière à tout échange d’information. Aujourd’hui, nous avons une accumulation et une consommation de masse  d’informations qui ne sont pas propices à l’analyse calme et posée de son contenu. Une analyse qui permettrait de démêler l’essentiel de l’accessoire. Tout comme pour la consommation de masse des biens matériels, le « moins » ne pourrait-il pas être garant d’un « mieux » ?

Liberté et libéralisation

Question : est-ce qu’en ayant accès à tant d’information, est-ce qu’en ayant la possibilité d’échanger avec autant de facilité, nous sommes plus libres ? Mieux informés ? Car c’est en faveur d’une « liberté individuelle » théorique que s’est opérée cette dématérialisation des échanges, aussi appelée « libéralisation ».

La libéralisation va-t-elle dans le sens de la liberté ? Voilà une question qui invite davantage à repenser ce qu’on entend par liberté dans notre société.

La massification de l’information entraîne d’autres conséquences sociopolitiques graves. Elle mine la confiance que le peuple met en ses gouvernants. Cette massification de l’information implique de mettre en place certaines mesures indispensables telles que renforcer l’indépendance des organes d’information par rapport au centres de décisions, mais aussi assurer une instruction de qualité à l’école. Voyons cela.

Servitude volontaire et confiance populaire

La servitude volontaire est un principe qui a été développé en philosophie politique, à l’époque des Lumières, lorsque l’on a réfléchit à ce que pouvait être la République qui remplacerait la monarchie contestée.
Ce principe fondamental veut dire que, volontairement, les citoyens délèguent à un petit nombre de gens jugés compétents la prise de décision sur les questions d’intérêt général. Nous leur accordons notre confiance. Ils prennent donc des décisions importantes qui impactent notre quotidien, avec notre consentement. En échange de notre renonciation à décider directement, nous qui déléguons, attendons avec légitimité une information précise afin de pouvoir choisir avec discernement ceux qui vont nous gouverner.
La liberté de la presse ainsi que son indépendance sont des facteurs cruciaux de démocratie. La liberté de la presse entretien l’esprit critique des citoyens en développant des points de vue, des façons de dire, toutes diverses, alimentant la controverse, interrogeant le pouvoir, les choix de société. La liberté d’expression est intimement liée à l’instruction, donc à l’école : c’est là que se façonne un esprit critique capable de discernement, capable de comprendre l’information et de ne pas tout mettre sur un même niveau.

L’information de masse est-elle synonyme de liberté de presse ? L’information de masse aide-t-elle au discernement ? La masse brouille peut-être bien plus de choses qu’elle ne permet d’en expliquer.

L’indépendance des sources d’information par rapport au pouvoir –politique ou économique d’ailleurs- est fondamentale. C’est grâce à l’information que nous avons sur l’actualité et sur nos gouvernants que nous effectuons nos choix électoraux. Le pouvoir a donc tout intérêt à contrôler ce qui se dit sur lui s’il veut garder son pouvoir. Car ce pouvoir, je le répète, n’est qu’une délégation acceptée par les citoyens. L’information doit être indépendante des gouvernements  Si les journalistes ne sont pas indépendants, s’ils sont censurés ou bien s’ils sont payés par le pouvoir, alors le contenu des l’information sera biaisé, partial. Nous ne pourrons pas avoir confiance en l’actualité qui nous parvient. L’indépendance de l’information, la liberté de la presse et l’instruction du peuple sont les fondements absolus d’une démocratie.

Comme nous l’avons vu plus haut, il semble qu’aujourd’hui les politiques n’aient plus tant de pouvoir que cela. Ce sont davantage les groupes d’affaires qui gèrent la marche de nos sociétés. La presse devrait être indépendante vis – à – vis de ces groupes -là. Une partie l’est, mais ce qu’on appelle la presse « mainstream » (principale) ne l’est pas. Je n’ai pas besoin de donner de noms puisqu’il s’agit des infos qui nous tombent toutes prémâchées dans le bec, dès qu’on lève les yeux ou qu’on appuie sur un bouton. C’est d’ailleurs parce que cette presse maintsream  monnaie chèrement des espaces publicitaires qu’elle a autant de visibilité. Elle vit grâce au système, elle y est parfaitement intégrée, et donc elle n’a pas intérêt à véhiculer un message qui remettrait en cause la main qui la nourrie. Bien qu’on admette généralement que la publicité nous pollue, nous énerve, nous assomme, elle nous semble cependant anodine. Elle est comme un simple désagrément que nous tolérons. Toutes ces publicités entretiennent la tendance à consommer qui nous est devenue si naturelle.

Consommer, acheter, est devenu l’opium du peuple. Nous réfugier dans l’abondance matérielle nous permet de nous accrocher au réel, comme si nous avions peur qu’il nous échappe, qu’il se dérobe, car on sent bien qu’il nous échappe, mais on oublie cette sensation lorsqu’on se rend au magasin et que l’on voit plein de choses neuves qui vont nous faire du bien.

Quand on va au magasin, on consomme. On dépense son argent comme si ce geste était simple, naturel et n’aurait pas d’autres conséquences que l’acquisition d’un bien. Or, consommer est un acte engagé, plus encore que le vote aux élections. Chaque euro dépensé quelque part est un acte citoyen. C’est pourquoi il est important d’agir en connaissance des causes et des conséquences. Un exemple : acheter en supermarché ou chez un artisan entraîne des conséquences. Acheter un produit de supermarché comme nous sommes habitués à le faire, entretient un niveau de demande, et c’est en fonction de la demande que les entreprises produisent en masse des produits sans qualité. C’est cautionner la logique de marché, c’est cautionner l’idée qu’on se fiche de manger de la merde standardisée, d’acheter des produits uniformisés et sans valeur aucune. De même, regarder TF1, regarder Arté ou ne pas regarder la télé sont des actes engagés qui ont des conséquences.

C’est le peuple qui a toujours le pouvoir. Seulement, ceux qui en tirent un avantage endorment les gens et les appâtent avec des messages qui encouragent à continuer à consommer ce que produit le système industriel. Un  système qui ne repose que sur l’argent et notre habitude à consommer. C’est avec son argent et sa façon de le dépenser que le peuple a le pouvoir sur les rouages de ce système.

Petite critique de la raison pure

Plus haut dans ces pages, je disais que notre vision du monde actuelle reposait principalement sur un postulat matérialiste que je résumais ainsi : le réel est la matière.
Pour étudier la nature du réel, la raison s’est imposée comme étant le seul moyen de connaissance. Si bien que la raison, ne serait-ce qu’en histoire de la philosophie et dans les sciences, tient une place prépondérante. Elle est pour nous, en occident, un des piliers de notre condition humaine.
C’est pour cela qu’il importe d’interroger la place que nous faisons à la rationalité dans notre société. Est-elle légitime ?

Qu’est-ce que la raison.

On considère que la raison est la seule faculté objective dont l’homme soit doué, qu’elle est identique en chacun de nous. Plein de choses nous distinguent les uns des autres, comme notre ressenti, notre sensibilité, notre éducation, notre culture, etc, mais il y a une chose devant laquelle nous sommes indubitablement tous égaux, autant que nous sommes, et c’est devant notre faculté de raisonnement logique. Le raisonnement logique consiste, en un sens, à tirer une conséquence à partir de causes. Un peu comme trouver le résultat d’une somme. La logique est à la base de la science mathématique. Et la logique prend de nombreux aspects qu’il n’est pas nécessaire de préciser ici (déduction, absurde, induction, analogie, etc…) Rappelons aussi que la science mathématique est la science des structures, c’est –à-dire le procédé qui permet de mettre en évidence les structures qui constituent le « monde », et de ces structures, la science physique tire des « lois ». 

Raison et mathématiques

Raison et mathématiques sont donc copines comme deux cochons ne sauraient l’être.
Depuis Pythagore, on pense que le langage mathématique est le langage de la nature. Donc, nous pouvons accéder à la connaissance de la nature par le biais des maths, par le recours à la raison pure.
Ce postulat fondamental pose une question épistémologique cruciale : le monde est-il mathématique ? Ou bien est-ce notre faculté rationnelle qui nous rend compréhensible un aspect de la nature, comme si nous plaquions sur elle notre désir de raison ? C’est la première hypothèse qui a dominé à travers les derniers siècles notre rapport au monde.

Science et raison

En occident, sur plusieurs centaines d’années, nous avons fait le choix philosophique de « séparer » la raison de l’intuition, du ressenti, de l’imagination. Nous l’avons isolée comme pour la « purifier ». En en faisant un objet aux contours bien définis, nous avons choisi de l’abstraire de notre sensibilité. Cette dernière étant floue, subjective, ineffable, elle parasite une démonstration rationnelle. De plus, nous savons que nos sens nous trompent.  La logique, le raisonnement permettent de mettre en évidence des lois de la nature qui parfois vont a l’encontre des faits observés au moyen nos cinq sens physiques. Par exemple la loi sur la chute des corps dit que tous les corps tombent à la même vitesse quelle que soit leur masse et que c’est la résistance de l’air qui explique qu’une plume tombe moins vite qu’un livre. Pourtant, si on laisse choir un livre et une plume, on observe que le livre tombe plus vite à terre que la plume.

Mais si nos sens nous trompent souvent, cela implique-t-il que notre sensibilité doit être négligée ? N’est-ce pas presque toujours une intuition qui a été à l’origine des plus grandes découvertes scientifiques ? Sans doute, mais ce qui valide une découverte, c’est la démonstration rationnelle qui a été faite à partir d’une intuition. Ainsi, le recours à l’exercice rationnel permet de justifier, légitimer une idée, de la rendre accessible à la contradiction éventuelle des pairs scientifiques qui pourront questionner le fil du raisonnement. La science repose sur la rationalité. Cela est indiscutable. Cependant, l’efficacité de l’exercice rationnel dans le domaine des sciences de la nature ne signifie pas que la nature soit rationnelle. Ou qu’elle ne soit que rationnelle. Ou que son aspect rationnel soit dominant.

J’aime faire cette comparaison : et si la raison était au monde qui nous entoure ce que l’univers observable est à l’univers ? Je précise cette idée : si on considère que l’univers observable est composé à 4,8 % de matière dite traditionnelle (faite d’électrons, de protons, d’interactions), à 25,8 % de matière noire inconnue et à 69,4 % d’énergie noire tout aussi inconnue. Si on considère que l’univers observable n’est qu’une petite partie de l’Univers potentiellement infini, alors on a une idée de la taille de notre ignorance. On peut même avancer que ce que la raison ne nous permet pas de saisir est bien plus grand que ce que ce que la raison saisit.

Or nous nous sommes inventés une condition humaine qui repose principalement sur ce que la raison saisit de notre condition.
Nous avons développé une tendance à « chosifier » la nature. Nous avons réifié le réel.  Bien plus encore,  nous avons réifié la vie. Notre rapport au monde place la raison sur le trône du plus grand principe. Et la raison fige, distingue, sépare froidement.

Economie et raison

La raison, la logique et les mathématiques qui sont le champ de prédilection de la rationalité comme on l’a vu, sont d’une efficacité certaine en sciences de la nature. Encore une fois, face à la puissance de cette faculté, nous avons été séduits au point de vouloir introduire les mathématiques et la rigueur rationnelle dans les sciences humaines et notamment en économie. La théorie économique réduit l’être humain à un consommateur dont les choix purement rationnels sont effectués en fonction d’un seul facteur : sa satisfaction personnelle. L’être humain, supposé parfaitement rationnel, est ainsi tout à fait déshumanisé. Est-il légitime de partir d’un tel postulat pour bâtir dessus un modèle d’économie de marché théorique, et de décider que c’est ainsi que « cela doit marcher » ? N’est-il pas évident qu’à partir du moment où l’on construit un modèle théorique rationnel, il est théoriquement efficace ? S’il est mathématiquement rigoureux, il semblera juste. Mais est-il légitime de recourir aux mathématiques pour décrire un système dont les acteurs principaux sont des hommes qui ne sont pas pure raison ? Il paraît évident que la réalité des comportements ne correspondra jamais au modèle, aussi joli soit-il. En conséquence, il n’est pas étonnant que notre système économique soit « à côté de la plaque ».

La soumission du monde

Dans nos sociétés matérialistes et capitalistes (qui cherchent à « accumuler des choses »), nous « chosifions » de plus en plus de choses. Si la nature est découpée en parcelles de propriétés privées appartenant à des entreprises ou des particuliers, comme j’en parlais plus haut, c’est parce que nous l’avons rationalisée. Nous l’avons dépossédée de l’irrationnel, nous en avons nié les aspects que nous ne voyons pas. Comme si ce que nous ne voyons pas n’existe pas, ce qui rejoint notre postulat matérialiste posé par les philosophes grecs.
Notre amour pour la rationalité entretient la logique de marchandisation du monde.  Une marchandisation galopante, monstrueuse. Nous considérons le monde comme étant une marchandise potentielle, puisqu’il n’est fait que de matière.

Nous chosifions la vie-même. C’est une vision matérialiste au sens le plus profond qui anime les idées « transhumanistes », d’homme « augmenté » qui sont considérées par certains, aujourd’hui,  comme allant dans le « sens du progrès ». On pourrait améliorer notre condition : vivre plus longtemps, sur-développer nos sens quand bien même nous serions en bonne santé.

Si le réel est matériel, alors la vie est-elle une chose ? Est-elle mathématique ? La vie appartient-elle au réel ?  Est-ce un principe supérieur au réel ? Ces questions n’ont aucun sens. En fait, nous ne savons pas ce qu’est la vie. Nous avons par contre de bonnes connaissances des « caractéristiques de ce qui est vivant ». On peut cependant dire que la vie fait partie de la réalité, et si le vivant peut s’expliquer grâce à la science et à la raison, la vie reste un mystère qui échappe à la raison. La vie ne se réduit pas au vivant. Pourtant nous sentons bien que la vie est réelle. On ne l’imagine pas, on la sent. On la perçoit au plus profond de notre être. Il est donc possible et même certain que la rationalisation ne rende jamais compte de la nature du réel.
A partir des connaissances que nous avons du vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain, pouvons-nous en tirer des conclusions et des applications qui modifient irrémédiablement le « cours des choses », la nature de la nature ?  Est-il raisonnable, chère raison, de toucher à des choses que l’on ne connaît que partiellement, en qualifiant d’effets secondaires tout ce qui émanerait malheureusement de ces modifications ? Les scandales écosanitaires qui nous tombent dessus ne sont-ils pas la conséquence de manipulations inadéquates ?

A force de considérer le monde comme un décor qui nous entoure, une simple scène que l’on piétine, n’avons-nous pas négligé quelqu’aspect de ce décor que nous aurions mal regardé ? Chère raison, n’avons-nous pas eu tort à un moment ?

Je me permets de poser une question qu’on pourra juger provocante :
En reprenant les grandes lignes de notre paradigme, à savoir, le monde est matériel et rationnel, l’accumulation est une bonne chose, consommer est un moyen d’accéder au bonheur, augmenter le confort matériel des individus est l’objectif de notre société capitaliste, faciliter notre emprise sur l’environnement garanti notre sécurité et notre bien-être ; en suivant cette logique dominante, y-a-t’il une seule chose que nous ayons fabriqué qui ne soit pas un danger pour nous ou pour la planète ?

Les transports polluent. La technologie pollue. La rapidité est synonyme de perte de sens. La chimie agroalimentaire  nous empoisonne et pollue elle aussi. La miniaturisation entraîne plus de rapidité et entraîne une perte de repères. La facilitation de toutes choses entraîne plus de sédentarité, mauvaise pour la santé et une perte de la valeur que seuls l’effort, le mérite, la patience donnent aux « choses ». Le dérèglement climatique issu de nos activités industrielles menace notre sécurité. La liste des effets secondaires me semble sans fin mais peut-être n’est-ce là qu’une énumération de détails négligeables. Sans doute sommes-nous sur la bonne voie.

En tant qu’êtres humains, une de nos plus grandes capacités est de voir le monde tel qu’il n’est pas. De l’imaginer. De le ressentir, plutôt que de chercher à savoir, rationnellement, ce qu’il est (tâche impossible au demeurant). Si nous écoutions plus notre affect – qui est le langage du cœur et du corps- nous toucherions davantage le réel qu’en utilisant notre seule raison froide. Le ressenti et l’affect n’ont jamais eu vocation à être séparés de la Raison. C’est nous qui, fascinés par la puissance de cette dernière, l’avons séparée du corps. Nous avons conçu une vision mécanique du réel, séparé de nous, matériel et froid, rationnel, mais cette vision n’est pas juste. Au mieux, elle est incomplète.

Changer de paradigme nous permettrait sans doute de repenser notre condition et notre place dans le monde. Ne serait-ce pas en étant pleinement ce que nous sommes que nous pourrions être plus que ce que nous sommes ?

Plus d’humilité, accepter d’être dépassé, écouter davantage son ressenti, user de la raison sans la séparer de l’affect. Plus de poésie, de folie, d’imagination, de créativité… de liberté, de joie, d’enthousiasme, de respect, de confiance…

Il existe des sociétés non-occidentales qui n’ont jamais opéré de séparation entre l’homme et la nature, et qui n’ont pas non plus érigé la raison en principe fondamental. Pourtant elles ont développé des techniques raisonnées qui leur permettent d’interagir harmonieusement avec leur environnement, sans surconsommation, sans destruction gratuite, sans être pauvres et malheureuses pour autant. Ce sont là non pas des exemples à suivre ou à imiter, mais à regarder. Ce sont des invitations à réfléchir, sans juger, sans commenter ni analyser. Nous ne ferions que retomber dans nos travers. L’anthropologue Philippe Descola rapporte par exemple que dans certaines sociétés mexicaines, lorsque les femmes travaillent le sol de leurs mains pour y semer quelques graines, elles mélangent un peu de leur sang à la terre. Est-ce pure folie ? Est-ce ridicule ? Vaut-il mieux arroser des milliers d’hectares à coup de pesticides et par des machines automatisées, sans aucun respect pour la terre, détruisant tout la microbiologie des sols au prétexte que notre chimie est plus efficace ? Alors même que cette chimie nous empoisonne ? Et cela afin que nous ayons des milliers de tonnes de produits standardisés dans les rayons de nos grandes surfaces qui finiront à la poubelle pour la plupart ?

On ira tous au paradigme et nous lui donnerons une autre face. Il n'est pas impossible de changer la marche du monde. Parce que nous manquons de recul et n'avons pas le temps de le prendre, nous nous noyons dans une complexité chimérique. Nous parlons de crise, comme si nous étions en crise, mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. Les problèmes auxquels nous devons faire face sont les conséquences de notre rapport au monde, les conséquences du paradigme que nous suivons. Nous sommes tout à fait capables de le modifier, si on garde bien à l'esprit que ce sont les gens, les citoyens, le peuple, qui ont le pouvoir.

Lorsque qu’on naît, on arrive dans une société donnée. On arrive avec un éventail de cartes à jouer en main. Comme au milieu d’une partie de tarot. On découvre notre éventail, on apprend progressivement les règles du jeu auquel on joue, et puis on y joue. On ne choisit pas le jeu, on ne sait pas s’il existe d’autres jeux auxquels jouer, on ne peut que continuer la partie qui a été commencée bien avant notre arrivée. La société ne nous a pas attendus pour être ce qu’elle est. Travail, argent, consommation, loisirs, famille, mort. Un petit jeu qui rempli notre existence. Un petit jeu qui permet de supporter illusoirement des choses difficiles, des désespoirs personnels par exemple. Un petit jeu auquel on ne pourra plus jouer bien longtemps. Il est possible et sans doute nécessaire de replier l’éventail de cartes que nous avons en mains, de le poser sur la table et de croiser les bras en se demandant s’il est bon de continuer à jouer à un jeu qui ne rime à rien, dont les règles, si elles ont semblé ingénieuses à une époque, mènent aujourd’hui inéluctablement à une défaite générale.


mardi 20 janvier 2015

Dieu est un tiroir...

Article écrit le 23 novembre 2012 sans qu'aucune actualité particulière ne place le fait religieux en question de société plus sensible que d'habitude. Il s'agit donc d'une réflexion gratuite et ouverte, une sorte de jeu introspectif (exactement comme celui que j'invite à faire à la fin de l'article "Quelque chose qui me chiffonne"!) mais peut-être que ça peut servir à quelque chose.
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Qu’est-ce que Dieu ?

Dieu est un tiroir.

Dieu est un concept tiroir dans lequel il serait opportun d’aller fouiner, pour voir un peu ce que l’on y trouve.
De nos jours, il est vrai que le terme Dieu ne veut plus dire grand-chose, trop de divergences de point de vue sont regroupées sous ces quatre lettres.

Les athées rejettent l'idée d'un  Dieu, en plus de rejeter l’institution ecclésiastique, et de ce fait ils rejettent toutes les nuances spirituelles qui accompagnent la question métaphysique « qu’y-a-t-il au-delà du monde tangible ? ». Les agnostiques doutent, inconfortablement assis entre deux chaises...

Il apparaît que de nos jours, dans nos sociétés, notre approche de Dieu soit façonnée par de nombreux concepts dépassés, anachroniques et soit source de tensions plus que d’apaisement, sans omettre une certaine confusion.

Bref, retroussons nos manches. 
C’est vrai qu’au moment de s’y mettre, il y a toujours une dernière petite chose, quelque chose d’indispensable à faire avant, comme reprendre une tasse de café, regarder le dernier bulletin d’info sur BFMTV, réorganiser sa penderie de fond en comble. Et puis il faut se lancer. Il serait dommage de s’arrêter à l’incroyable imbroglio de complexité inextricable que ces questions cachent !

Armons-nous de bonne volonté, d’enthousiasme et d’optimisme…

1 – La substance

Qu’est-ce que Dieu ?

De manière synthétique, on peut proposer plusieurs acceptations de l’idée de Dieu.
Dans les religions monothéistes et polythéistes, on l’envisage comme un être un peu à notre image. Qu’il s’agisse de Zeus, Jupiter, Dieu le Père, on le conçoit comme un être parfait, idéal et transcendant.

Les philosophies panthéistes et les spiritualités animistes en ont une autre conception.
Le panthéisme propose une conception immanente d’un dieu présent en toute chose existant dans la nature. Il est l’ordre des choses et se manifeste, par exemple, à travers les lois de la physique. Dieu est une substance, un fluide, un intellect et n’a déjà plus rien à voir avec la figure paternelle qu’on lui attribue autrement.

L’animisme propose de considérer que toute chose vivante dans la nature a conscience d’être. Par exemple, des esprits mystiques possèdent les êtres et toute matière composant le monde tangible. Ces esprits sont supposés agir sur le monde tangible en fonction de cultes qui leur sont dédiés pour les apaiser.

Alors, Dieu est-il un vieil homme habitant les cieux ? Le père de nos pères, créateur et transcendant ? Un grand architecte ou un grand horloger ? Le moteur premier ?  Est-il un fluide, un plan, un canevas, une règle, un dogme, une évidence ?

Face à ces conceptions, les postures idéologiques et intellectuelles sont nombreuses et l’on pourrait consacrer une vie entière à les recenser toutes.

Parmi ces postures intellectuelles, l’athéisme et le déisme sont intéressantes.
L’athéisme est une théorie : c’est la croyance en la non-existence du dieu monothéiste ou panthéiste, en quelque dieu que ce soit. La raison refuse de considérer ce qu’elle ne peut expliquer. Il n’y a pas de « foi » qui s’y substitue. Il n’y a rien au-delà de ce qui « est ».

Le déisme consiste à croire en un dieu, un moteur premier, un grand architecte. C’est une position philosophique qui vise à se détacher de la religion pour ne garder que l’existence du dieu ordonnateur. Voltaire en est un des plus grands tenants. 

Il critique vertement la religion catholique :

« tant qu’il y aura des fripons et des imbéciles, il y aura des religions. La nôtre est sans contredit la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde » (Lettre à Frédéric II, Roi de Prusse, datée du 5 janvier 1767).

tout en croyant en Dieu:

"Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis et en détestant la superstition." (Lettre à son secrétaire Wagnière, datée du 28 mars 1778).

Toutes ces définitions, ces théories, ces convictions ne nous apprennent en fait pas grand chose. Il ne s’agit pas de choisir sa croyance parmi plusieurs propositions que l’on trouverait sur un grand catalogue. 
Dans un premier temps, il s’agit de comprendre pourquoi il y a toutes ces croyances.

Pourquoi Dieu ? Pourquoi avons-nous ressenti le besoin d’imaginer tant de visages et de comportements autour de cette substance ?

Si l’on se place du point de vue de la question de notre "Origine" ("d'où vient-on ?", le « point de départ » de la vie, de l’univers...) on peut considérer que Dieu est à l'Origine, que Dieu est l'Origine. Pourquoi pas. C'est la théorie créationniste qui exagère sans doute un peu en niant les plus grandes avancées de la connaissance: pour les tenants de cette théorie, Dieu a créé le monde il y a 6000 ans et l'homme a toujours été tel qu'il est - opposition à la théorie de l'évolution de Darwin et plus prosaïquement, opposition à l'idée que l'homme descende du singe.

En fait, il apparaît que la question de l'Origine, nous ramène davantage à la question de notre perception du temps ; ainsi nous pouvons remonter à 10-42 secondes après le « Big Bang » théorique. L'histoire de l'Univers a commencé 10-42 secondes après de Big Bang. Avant cela, le temps-même, l'espace et la matière "n'existaitent" pas. Il est probable que ce qu’il y a au-delà de cette limite (qu'on appelle le Mur de Planck) remette en cause notre conception du temps et son petit frère Principe de causalité. Mais c'est là un autre débat. Pour comprendre "pourquoi Dieu", ce n’est pas du point de vue de l'Origine qu’il faut regarder.

2- La foi face au principe religieux

Qu’est-ce que la foi ?

La foi naît probablement d’une confrontation.
Cette confrontation provient d’une incompatibilité a priori entre notre raison, notre rationalité, notre logique, notre faculté d’interprétation du monde d’une part, et d’autre part, notre intuition qui se manifeste à travers des sensations ineffables.

De cette confrontation naît la foi qui commence là où s’arrête la raison et qui s’accommode de ces sensations intuitives ineffables.

En gros, nous avons l’intuition qu’il y a quelque chose autour de nous, avant nous, après nous, nous avons l’intuition d’une origine première et nous avons l’intuition que les choses suivent un ordre, respectent des principes –que la raison étudie – nous avons l’intuition qu’il existe quelque chose entre le hasard et la fatalité. Cependant  notre raison est impuissante à confirmer ou infirmer cette intuition. Encore moins à lui donner un contenu.
Nous reviendrons plus loin sur l’« intuition primordiale ».

Il existe en psychologie, une théorie très intéressante. Elle se place au niveau individuel mais on peut –soyons fous- extrapoler le processus au niveau collectif.

La théorie des « modes de réduction de la dissonance cognitive [i]» explique comment un individu fabrique, bricole, mentalement, inconsciemment  une explication légitime à une situation qui ne correspond pas à ce qu’il attendait, souhaitait, prévoyait, pensait ; une situation qui entre en contradiction avec ce qu’il comprend, interprète.

A l’échelle de la collectivité, pour créer un ordre et donner du sens, il a fallu tenter de résoudre le dilemme entre ‘intuition de quelque chose’ et ‘absence de toute preuve de ce quelque chose’. On s’est bricolé des croyances, des réponses pour « faire tenir debout » notre réalité.

Une fois que des réponses ont été proposées, on a établi le principe religieux.

Le principe religieux ?

Donner du sens, établir un ordre, voilà pourquoi la religion existe. 
En fonction d’une croyance, d’une « explication » métaphysique, on construit des règles qu’il faut suivre pour être bien. A travers cette croyance, on cherche le fondement du bien, du beau, du juste, de l’éthique et de la morale. 

Les religions construisent des dogmes, des rituels qui permettent aux disciples de s’attirer les bonne grâces du tout puissant, de donner un sens à leur existence, éventuellement de se garantir un avenir post mortem délicieux.

Généralement, dans les religions révélées, le principe religieux est un principe de récompense/punition, en étroite relation avec un principe de surveillance/ jugement divin.

Nous avons besoin que quelqu’un nous dise comment faire.

Alors, un œil bienveillant ou punisseur nous observerait, tout au long de notre vie.
Nous pensons que nos actions sont « observées » et ont des conséquences sur un monde invisible et intangible, en plus d’avoir des conséquences sur notre monde. Si l’on ne respecte pas quelques règles de déférence, de dévotion, - donc des règles d’humilité -  eh bien les instances du monde invisible vont agir sur le monde tangible et son au-delà. 
Nous ploierons sous le poids de la culpabilité de nos actes, nous nous mortifierons d’être si imparfaits. Nous serons jugés puis acceptés au paradis ou relégués en enfer.

Nous croire observés nous rassure.

Nous avons besoin de guides : donnez-nous un sens et nous le suivrons.

Ce même besoin de sens est à la source du pouvoir temporel (c’est-à-dire politique : voir la « servitude volontaire » théorisée par Rousseau). C’est un autre sujet, cependant le côté volontaire de la servitude est légitimé par un accès nécessaire à la connaissance, à l’information, pour se soumettre librement, en toute connaissance, à une règle politique délibérée.

Le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel établissent ainsi un équilibre sociopolitique, plus ou moins tendu certes.

Nous cherchons déjà suffisamment dans le regard des autres une légitimation de nos actes. Ce besoin de se soumettre volontairement à une volonté supérieure n’est-il pas l’expression d’une peur face à notre liberté, une fuite face a nos responsabilités d’êtres vivants, locataires d’une belle planète, poussière d’étoile de l’univers ? Nous avons peur d'être libres, d'être livrés à nous-mêmes. Nous avons peur de l'inconnu et nous nous barricadons dans nos certitudes.

Croire en une présence métaphysique supérieure et concernée par notre sort nous enlève un poids. Si nous suivons les dogmes, nous irons dans la bonne direction, au-delà de tout.
Il est soulageant de poser ce fardeau de responsabilité, d’inquiétude face à l’inconnu, et de s’en remettre à la volonté divine.

Il est certain que nos actions ont des conséquences sur le monde qui nous entoure.
Faire jouer le joug de la récompense paradisiaque et de la punition infernale à travers le manichéisme Paradis/ Enfer  ressemble fortement à ces histoires simplistes que l’on raconte aux enfants, mettant en scène un Saint Nicolas et le père fouettard, pour que les enfants soient « sages ». Ignorants des réalités, ils sont « irresponsables » parce qu’immatures. Il faut leur dire ce qui est bien, bon et juste et punir leurs bêtises.

Nous parlions de la foi, cet espace laissé vacant dans notre esprit par l'inadaptation de l'outil rationnel.
Cette foi est exploitée par la religion. Il faut faire ici l'effort de distinguer la dimension spirituelle fondatrice des religions et leur exploitation institutionnalisée par l'Eglise et ses dignitaires.

Dans de nombreux textes religieux, on trouve une incitation à se trouver soi- même, à acquérir une juste connaissance de soi. Or la religion perverti très souvent ce message. Plutôt que d’en faire un moyen de s’émanciper de son ignorance, on utilise la foi des individus pour les soumettre à un dogme dont il est souvent hérétique de critiquer le fondement.

C’est le principal reproche que l’on peut faire aux religions : elles enferment l’individu, le maintiennent éloigné d’une démarche de questionnement, de remise en cause, de connaissance. Elles sont, au final, contradictoires avec la quête de sérénité que le message initial revendique.

Le rituel enferme le spirituel. 

En conséquence, on à tendance à rejeter, dans notre société, la spiritualité. 
Fatigués de tant de controverses, abusés par les exploitations religieuses de la foi, révoltés par le détournement de pouvoir des religions, nous baissons les bras face au questions spirituelles.

Si l’on considère que la foi est issue d’une intuition primordiale que la raison ne peut appréhender, si l’on considère que Dieu ne veut plus dire grand-chose de nos jours, si l’on considère que nombre de pratiques religieuses sont aujourd’hui dépassées, que reste-t-il ?

3 –L’intuition primordiale.

C’est sur cette intuition qu’il faut se concentrer. Elle est à la base de ce que nous appelons foi, elle est à la base, donc, de nos croyances et de nos intimes convictions.

Cette intuition s’apparente en quelque sorte au rayonnement fossile résiduel qui baigne le fond de l’espace, donc elle est loin, très profondément ancrée et en même temps présente chaque jour. Elle se manifeste à travers des sensations simples.

L’enthousiasme, la confiance, la compassion, l’empathie, la compréhension, l’idéalisme sont des manifestations de ce que l’on définit à l’aide d’un terme devenu aussi fourre-tout que Dieu : l’amour.

L’amour est pourvu de connotations qui desservent la notion-au demeurent fort confuse-  que le terme est sensé porter. Il faut faire l’effort de lui retirer son verni de candeur, de naïveté, parfois de niaiserie que les tenants du matérialisme lui confèrent. Les « bons sentiments » ont une connotation péjorative de nos jours. Une démarche pleine de bons sentiments est jugée impertinente car on estime que les bons sentiments retirent un degré de pertinence aux arguments qui en sont emprunts.

On oppose de nos jours, dans notre société, le réalisme à l’amour, comme on oppose la foi à la raison, l’intuition à la déduction, le cœur à la tête.

On considère que l’enthousiasme, l’idéalisme, la confiance, l’empathie, le désintérêt matériel sont des lubies d’individus « déconnectés de la réalité concrète », seule fiable.

C’est a priori fort dommage. Surtout parce que le réalisme et le matérialisme ne font pas taire notre intuition. Elle se trouve étouffée et n’a plus de canaux pour s’exprimer, à part parfois une pratique artistique ou sportive. Serait-ce là une possible cause de tous ces maux qui nous sont contemporains ? Dépression, maladies… ?

Qu’y a-t-il derrière l’amour et tous ses visages ?

Quelle est cette intuition primordiale ?

Nous avons l’intuition que « nous sommes là », c’est-à dire dans ce monde, nous y sommes et nous allons y passer un certain temps.

Nous avons l’intuition que la nature est « belle » parce qu’elle est harmonieuse. Saison après saison elle évolue, prenant et donnant ce dont elle a besoin pour permettre à tout l’écosystème de la vie de maintenir son équilibre, son harmonie.

Cette intuition nous pousse à étudier pour être validée par l’observation et l’expérience empirique. Cette intuition est à la base de notre démarche scientifique qui étudie l’environnement pour le rationaliser, nous le rendre préhensible. La rationalisation grandissante a progressivement relégué l’intuition à un plan secondaire.
Laissons là la rationalité.


L’amour est une dépossession. C’est tout lâcher, ses croyances, ses certitudes, sa maison, pour embrasser l’autre et l’inconnu. C’est faire confiance en la vie et ses mystères. C’est un idéalisme. C’est avoir l’intuition que l’« on va s’en sortir avec le temps » si l’on est enthousiaste.

Le terme enthousiasme est intéressant : étymologiquement, il signifie "transport divin, état de l'homme en qui la divinité est présente pour l'inciter et l'inspirer". Il signifie qu’une personne enthousiaste est motivée par la confiance et l’intime conviction de la « justesse » de sa démarche. La justesse pouvant être entendue comme une adéquation harmonieuse entre l’intériorité de cette personne, ses intentions et ses actes.

L’amour n’est pas une résignation ou une soumission. 
C’est une disposition naturelle que l’on retrouve en soi à chaque fois que l’on accepte d’y plonger, après un travail de quête vers une vérité intime. C’est une disposition que l’on choisit d’entretenir volontairement une fois qu’on la trouvée au fond de soi.

Comme il a été dit tant de fois depuis des siècles, c’est en nous que se trouvent les débuts de réponses, les chemins. Il faut avoir le courage de se plonger dans notre plus belle et grande solitude, avec confiance et enthousiasme, pour y retrouver tout ce qui fait de nous des êtres formidables.

Toute l’énergie que nous dépensons à chercher, à comprendre, à défendre, à nous battre ; toute l’énergie que nous dépensons à nous détester, à nous pardonner, à nous détruire, à douter, tâtonner, persévérer, depuis que la vie nous a amené à faire partie du grand jeu, est incroyablement touchante.

La vie ne nous abandonne pas, bien que nous la malmenions souvent. C’est une réalité qui peut nous effrayer. C’est sûrement cette réalité qui nous inspire l’idée d’un dieu. Cette intuition primordiale que la vie continue, malgré tout, alors même que nous ne savons pas vraiment ce qu’est la vie.

La vie est peut-être persévérance, effort de continuer à être. En tout cas elle est autour de nous et en nous. Elle est réductible, par certains aspects, à la notion de temps : le temps est ce qui permet à une pousse de devenir un arbre, il est ce qui permet à l’information contenue de se déployer dans l’énergie pour réaliser son potentiel. Le temps est le mouvement de la vie.

Le fait que nous ne pourrons jamais savoir, malgré nos efforts, ce qu’il y a au-delà du monde tangible, participe à travailler notre humilité.

C’est en notre for intérieur que nous pouvons développer une philosophie du cœur, dépasser les contraintes du temps et côtoyer nos intuitions. C’est en notre for intérieur que nous trouvons des convictions harmonieuses auxquelles on choisit d’adhérer.

La grandeur d’un homme ne se détermine pas a l’aune de sa capacité à contrôler, maîtriser  soumettre ou asservir mais elle se détermine à l’aune de sa capacité à respecter ce qu’il est : un être puissant qui se doit d’être responsable.

Nous avons encore du travail à faire.



[i] Pour un aperçu de la théorie des modes de réduction de la dissonance cognitive. http://fr.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive

dimanche 18 janvier 2015

Quelque chose qui me chiffonne

Quelque chose me chiffonne depuis quelques jours et je ne sais pas quoi précisément. Je sais que c’est lié aux évènements récents, c'est-à-dire à la tuerie de Charlie Hebdo et à la manifestation du dimanche suivant qui a vu plus de 4 millions de français descendre dans les rues, montrant ainsi à la face du monde que nous n’avons pas peur, mobilisés que nous sommes pour défendre la liberté d’expression et pour défendre la République attaquée.

Je voudrais y voir plus clair dans cette sombre confusion mais je ne sais même pas par où commencer.
Les évènements sont encore chauds et l’émotion vive, cependant, les choses vont aussi très vite et déjà on parle de mesures à prendre, on cherche à agir vite au niveau politique sans laisser le temps à l’opinion publique de se former. Bref.

Il y a un truc qui me gêne et je ne sais pas ce que c’est. Je crois que c’est dans les 4 millions de gens qui se sont mobilisés. Oui, c’est par là que cela semble se passer…

Quand on a appris l’exécution sommaire et lâche des journalistes de Charlie Hebdo, qu’on les connût de près, de loin ou pas du tout, on a tous eu plus ou moins l’impression de perdre quelqu’un. Et on les a perdus d’une manière absolument révoltante, cela ne fait pas de doute.
Quand on a découvert le motif qui a présidé cette exécution, là aussi ce fut comme un coup de poignard dans « quelque chose ». Comment peut-on décider de supprimer des gens qui ouvrent leur bouche et prennent des crayons pour dire des choses parfois sans intérêt, parfois sales, parfois crasses, souvent drôles, toujours provocantes, gratuites à l’occasion, gênantes quelques fois, bref, de vilains petits canards qu’on peut ne pas aimer mais que toujours on tolérera ? Comment peut-on tirer froidement sur nos vilains petits canards, bordel ? Donc oui, on descend dans la rue parce qu’on est choqué et dégouté, profondément et sincèrement.

A cette blessure intime et commune que chacun a ressentie, la réaction a été réciproquement spectaculaire : tous dans la rue, solidarité spontanée que les plus utopistes d'entre nous n’auraient jamais crue possible, front populaire avec les musulmans, juifs, athées, laïcs, cathos, etc… contre les intégrismes. J’étais de la partie. J’ai senti un vent de sérénité souffler sur les marcheurs que nous étions ce jour. Tous frères plus que jamais. Une paisibilité inattendue. Ce sont là des sensations qui me plaisent et qui ont conforté bon nombre d’entre nous.
Alors qu’est-ce qui peut bien me chiffonner dans tout cela ?

Ce n’est pas l’hypocrisie que l’on commence à mettre à toutes les sauces dans les commentaires de tout bord. Bien-sûr que l’on critique l’élan spontané qui a vu marcher côte a côte des gens que tout oppose « traditionnellement » – quand on oublie qu’on est tous semblable et que des événements comme celui-ci nous le rappelle à grands frais : on a tous ressenti, en grande majorité, ce même sentiment d’injustice insupportable qui nous a poussé dans la rue. Je ne crois pas qu’il y ait eu une once d’hypocrisie dans les élans de solidarité du peuple. L’hypocrisie est politique et médiatique et ce n’est pas aujourd’hui que nous la découvrons.

On critique les récupérations politiques, marketing, idéologiques du mouvement « Je suis Charlie ».
Il faut dire que ce slogan a du faire fantasmer les pontes du marketing. « Je suis Charlie » est peut-être le message le plus fédérateur de l’histoire de France, de l’histoire tout court, un peu comme le « peace and love » des années 60. Parce qu'il est humaniste, et donc vrai, et parce qu'il est aussi plein de vide! On sent bien que les grandes machines de notre société capitaliste s’empressent de récupérer et d’exploiter ce message fédérateur, plus ou moins subtilement, et cherchent à surfer sur le noble sentiment qui nous a réunis quelques heures durant. Déjà on se méfie. Mais cette récupération était prévisible et attendue. Ce mouvement représente un potentiel incroyable pour les grands rouages d’endormissement du peuple. Un peuple dont je ne sais pas s’il souhaite se rendormir, après ce sursaut spectaculaire, cette démonstration de force, ou bien s’il souhaite rester solidaire et mobilisé autour de grandes causes fédératives qu’il faudrait savoir nommer…

Aujourd’hui, il semble que les discussions se soient polarisées autour de la question des jeunes européens sensibles au racolage intégriste. Ceux qui partent en Syrie ou au Yémen apprendre à tuer, puis qui reviennent chez eux se fondre dans le décor jusqu’à ce qu’on leur dise de passer à l’action. C’est un débat qui a tout lieu d’être et c’est très bien qu’il ait lieu. Ce sont des jeunes qui n’ont à l’origine aucun penchant haineux envers quiconque. Ils cherchent principalement à faire quelque chose de leur peau, veulent faire comme le copain qui s’est converti sur les réseaux sociaux. D'autres, nombreux, sont approchés en prison. Donc oui, c’est par désœuvrement, absence de projet de vie, non-intégration, que ces jeunes sont une main d’œuvre pour le terrorisme. Une main d’œuvre que les intégristes religieux savent exploiter ; une main d’œuvre que nous leur offrons sur un plateau, si je puis m’exprimer ainsi. Ce débat sur la jeunesse est très important.

Le massacre de Charlie Hebdo met en avant, et à raison, le fléau des intégrismes religieux et le bien-fondé de la laïcité, pilier de la République. Je n'ai rien à redire à cela.

Mais il y a toujours un truc qui me chiffonne. Ce n’est pas là… Alors poursuivons.

La France tue des gens à l’étranger, fournit des armes aux assassins que nous exécrons, mais cela ne nous dérange pas. Notre mode de vie ruine la planète et nous rapproche à grande vitesse d’un mur qu’on affecte de ne pas voir. Depuis longtemps nous savons que la suffisance occidentale irrite partout où elle se fait sentir, et nous commençons timidement à admettre que notre supériorité civilisationnelle est illusoire. Et pourtant, je ne crois pas que nous soyons hypocrites ou égocentriques, suffisants, fondamentalement. Nous ne sommes pas non plus complètement ignares, aveugles, bêtes et méchants. Nous ne sommes pas non plus les plus beaux, les plus forts et les meilleurs. Pourtant, il y a un truc bizarre dans l’incroyable élan de solidarité des jours derniers.

Je crois bien que ce truc bizarre loge discrètement dans un recoin de ce que l’on appelle l’ « esprit français » et j’aimerais bien l’y déloger, pour voir ce que c’est.

Quand on écoute les commentaires des personnes qui ont été interrogées sur les raisons de leur présence dans les rues ces derniers jours, on entend principalement « défense de la liberté d’expression », « atteinte aux valeurs de la République et de la Démocratie ». Et c’est bien vrai qu’un attentat terroriste porte atteinte à ces valeurs. Mais si on demandait aux gens « qu’est-ce que la liberté d’expression ? », « qu’est-ce que la République ? la Démocratie ? », on aurait comme réponses, dans le meilleur des cas: « la liberté d’expression, c’est la liberté de dire ce que l’on pense », dans les limites autorisées par la loi (des limites larges puisque seuls les appels à la haine et au meurtre sont interdits, à juste titre). « La République, c’est quand on élit nos gouvernants. C’est un cadre qui garanti aux individus des droits en contrepartie de devoirs. C’est un cadre qui considère tous les individus égaux et libres. La Démocratie, c’est la souveraineté populaire, c’est le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple ». (On se souviendra du Contrat Social de Rousseau, de la Démocratie en Amérique de Tocqueville, de Voltaire, de Montesquieu).
On saura que notre démocratie est un système représentatif, c’est-à-dire un système par lequel le peuple délègue la prise de décision à ses représentants élus au suffrage universel, par exemple. Par un mécanisme de servitude volontaire (notion très très importante), on accepte que d’autres, choisis par nos soins, décident à notre place des règles à instaurer au bénéfice de l’intérêt général.
Alors oui, la République, la Démocratie et la liberté d’expression sont de très jolies choses. On peut être fiers de les avoir théorisées. On peut aussi être fiers de les avoir institutionnalisées. Ce sont des valeurs d’une grande noblesse et d’un profond humanisme. On se bat pour les défendre et le sang coule pour les préserver ou les instaurer.

L’esprit français, c’est un esprit doué pour faire naître des idées. Doué pour la théorie. C’est un esprit qui analyse, critique, interroge, c’est un esprit provocateur, frondeur, animé. C’est un esprit humaniste, intellectuel et scientifique qui colle aux idéaux de justice, de solidarité, de progrès.

Si on reprend ces trois valeurs – République, Démocratie et liberté d’expression – et qu’on les examine dans leur réalité, dans leur effectivité, on constate que ce sont des réponses à des questions qui ne se posent plus vraiment. Je m’explique.

D’un point de vue culturel, géographique et historique, on vit en république démocratique depuis près de 200 ans en France. On a instauré ces principes en institutions et depuis on maintient celles-ci au quotidien par un travail incessant. C’est le cadre dans lequel nous vivons. Quand un attentat terroriste vient frapper notre sol et tuer nos concitoyens, sont-ce les valeurs républicaines qui sont « réellement » attaquées ? Par ricochet, oui, mais pas de manière frontale. Je dirais que c’est davantage ce que nous faisons de ces valeurs qui est visé.

Car sous la bannière de ces principes humanistes, nous ne faisons pas de jolies choses.

Je dirais même que ces principes-là sont devenus un prétexte pour étouffer l’esprit qui les a vus naître.
Au nom du principe républicain, le FN propose de rétablir la peine de mort. Au nom de principes religieux, les djihadistes appellent au meurtre de masse. Au nom de principes libéraux, nous cautionnons une marchandisation galopante et la destruction pure et simple des ressources de la planète. Et nous tuons au nom de la liberté. Nous laissons nos hommes de pouvoir vendre des armes pour faire du profit, nous laissons les grandes entreprises souiller les sols, exploiter les ressources des autres pays, etc, la liste est longue et tout cela nous le savons sans vouloir le reconnaître ouvertement.

Il y a les Valeurs, les Principes qui trônent sur un pied d’estale, ennoblis par le passage du temps qui les sacralise progressivement. Et puis il y a ce que nous en faisons, au quotidien, dans la praxis du pouvoir. Le « pouvoir institutionnel » que nous croyons être le « vrai pouvoir » dans nos représentations mentales ; mais aussi le « pouvoir populaire » qui est, en fait, le vrai pouvoir.

Nous nous sentons dépassés par la marche des choses. Elles vont vite, et puis nous avons du mal à identifier les acteurs des évènements. Par exemple, prenons un grand groupe industriel : peut-on encore dire qu’un homme – ou un directoire – en est à la tête ? Non, on voit bien qu’un groupe industriel échappe à l’action des hommes qui le dirigent officiellement. Il semble obéir à des forces financières qu’on ne sait pas vraiment comment infléchir. Un groupe industriel est une entité qui dépasse les acteurs qui sont censés le tenir. Alors il est normal que nous nous sentions dépassés. Et que nous nous sentons impuissants. Mais quatre millions de personnes qui spontanément descendent dans les rues, qu’est-ce si ce n’est une démonstration de force ? Une force potentielle énorme. La force populaire. Ce n’est pas juste un mouvement décoratif qui fera joli dans les livres d’histoire des prochaines générations. Non, il y a quelque chose dans ce sursaut.  Alors on poursuit.

Le concept de servitude volontaire dont je parlais plus haut, a été abusé. On se rend bien compte que notre avis importe peu, qu’on nous consulte par politesse républicaine mais qu’au fond, c’est un peu kiff kiff bourrico pour notre pomme. C’est d’ailleurs un jeu dangereux, vraiment dangereux, qui entretient la tentation totalitariste de l’extrême droite.

Par habitude, voire habitus, nous maintenons un système politique qui ne défend plus l’intérêt général. Comment défendre l’intérêt général alors que nous ne savons plus où il se situe ? (si tant est que nous l’ayons jamais su). La matière à réflexion est bien là, toujours aussi grouillante de questions, mais nous ne remuons plus grand-chose avec nos cervelles tant les évènements se succèdent rapidement.

L’esprit français, celui des Lumières dont nous avons hérité, qui bout en nous, est un esprit bien plus grand que celui qui consiste timidement à critiquer comme le fait le fou du roi, critiquer et moquer pour mieux accepter le roi au final. Car c’est un peu comme cela que je le vois cet esprit français, de nos jours. Un fou du roi, qui fait rire le roi, rire le peuple, et désamorce toute tentation populaire de remettre profondément en cause notre beau roi républicain démocrate. C’est une image bien-sûr. Je ne parle pas du Président, je parle du système politico-économique dans son ensemble.

Quoique, quand j’entends François Hollande appeler les français à faire les soldes et à reprendre leur quotidien comme si de rien n’était, cela me froisse considérablement et je l’imagine volontiers en bouffon danser sur une immense table chargée de victuailles, comme au Moyen-âge, applaudi frénétiquement par ses convives (les médias mainstream, les tenants d’un statu-quo du système…) ravis du spectacle. C’est comme s’il nous disait, à nous, concitoyens : « C’est bien mes petits,  vous avez montré que nous ne sommes pas d’accord avec les terroristes mais maintenant rentrez chez vous sagement et laissez-nous prendre les mesures qui s’imposent, pour votre bien. Surtout, ne vous remettez pas en cause. Continuez à faire ce que vous faites très bien : consommer et travailler.»

Je crois que ce qui me chiffonne, c’est de voir le potentiel de mobilisation que nous sommes et que nous ne savons plus pour quoi nous mobiliser, parce que les causes sont nombreuses et mal définies. Le climat ? La faim dans le monde ? Le terrorisme ? La pauvreté ? La guerre ? Les OGM ? L’exécrable TAFTA ? Non, tout cela n’est que conséquence. Mais la cause, la cause de tous ces maux, bordel, elle est où ! Où est la cause… ? Je ne peux qu’inviter tout un chacun à se remettre en cause car c’est peut-être bien en notre for intérieur que se trouvent des débuts de réponses. Mais si, ce for intérieur, vous savez ? Celui qui  a souffert à l’unisson avec des millions d’autres, celui nous a amené un instant à regarder l’autre, quel qu’il soit, dans les yeux avec fraternité, ce for intérieur qui abrite une envie d’agir. Ce for intérieur qui n’est pas d’accord.

Cette phrase que l’on entend de plus en plus souvent résonne plus fort aujourd’hui à mes oreilles : « Soyez le changement que vous voulez pour le monde », invitait Gandhi. Facile à dire ? Peut-être. Mais par où commencer… ?

Tenez, je vous propose un petit jeu.

Première règle : s’accorder le temps de faire ce petit jeu.
Deuxième règle : pas de livre, pas d’internet, pas de calculette.
Troisième règle : se poser à soi-même les questions suivantes en toute intimité, et y répondre avec le plus d’honnêteté et de sincérité possible.
Quatrième règle : Quand on répond à une question, systématiquement ajouter « Ah oui ? Et pourquoi ? » ou « Comment cela ? », et développer sa réponse dans la bonne humeur. Il n’y a pas d’ordre entre les questions.
Enfin, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. L’important, c’est de chercher. Celui qui gagne a le droit d’entamer une discussion avec ses proches, ses amis, qui il veut.

-        La rapidité est-elle une bonne chose ?

-        Qu’est-ce que l’intérêt général ? Où s’arrête-t-il ? Est-il français ? Occidental ? Mondial ?

-        Si je perds tout ce que j’ai, que me reste-t-il ?

-        Suis-je raciste ? Si je dois rencontrer un inconnu qui s’appelle Abdullah, et si je dois rencontrer un inconnu qui s’appelle Sylvain, ma disposition intérieure est-elle la même ?

-        Qu’est-ce que la République pour moi ?

-        Qu’est –ce que la Liberté pour moi ? Est-ce avoir le choix entre milles choses ? Est-ce la possibilité de devenir celui que je peux être ? Quoi d’autre ?

-        Tout ce que je fais a-t-il un sens ? Lequel ?

-        Qu’est-ce que je regrette de n’avoir pas fait, hier ou dans ma vie, et qu’est-ce qui m’empêche vraiment de le faire demain ? Faire un saut à l’élastique, voir les dunes de Namibie, dire à mon père que je regrette, embrasser ma jolie collègue ou mon patron ?

-        De quoi ai-je besoin pour être bien ? De mes amis ? De ma télé ? De voir 50 likes sur mon dernier statut facebook ? De me sentir vivant en respirant l’ai frais du matin ? De ne surtout pas réfléchir et foncer au boulot ? De faire ce que je veux ? Anything else ?

-        L’opulence est-elle une bonne chose ?

-        De quoi avons-nous peur, d’après moi ? Des autres ? De rater quelque chose ? De rien ? De mourir ? De vivre ?

-        Qu’est-ce qu’une bonne chose ?

-        Je préfère quand elle pose des questions ouvertes et assommantes ou bien quand elle fait deux ou trois propositions qui orientent la réflexion ? Pourquoi ?