Il
y a deux ans très exactement, je postais sur Shantée Bellefleur.com un article
intitulé « Du point à la ligne ». Facebook se faisait un plaisir, ce
matin, à me le rappeler. Du coup je l’ai relu et je l’ai modifié tant il était
imbuvable. Le nettoyage a grossièrement consisté à retirer un paragraphe sur
deux et à ajouter quelques phrases par-ci par-là. Voici donc le nouvel
article que je vous propose.
Point,
à la ligne.
D’ordinaire,
il n’est pas difficile de concevoir séparément une ligne et un point. Le
problème surgit lorsque l’on essaie de savoir si un point est un morceau de
ligne ou si la ligne est faite de points, c’est-à-dire, lorsqu’on essaie de
savoir ce qui est premier. Notre esprit nous impose d’opérer ce genre
d’ordonnancement causal, c'est à dire à chercher le phénomène qui est la cause d'un autre phénomène. Le principe de causalité, ainsi qu'on appelle cette quète de la primauté, est fondamentalement inscrit
dans notre préhension des choses. (La
question de savoir d’où vient ce principe de causalité est une question
elle-même issue de ce même principe, est-il une forme a-priori de notre
esprit ?)
Dans
le cas de la ligne et du point, on se retrouve donc à se demander ce qui vient
en premier, comme dans la métaphore de l’œuf et de la poule.
La
première chose à faire est de se demander ce qu’est un point et ce qu’est une
ligne, mais pas au niveau "topologique" ( un point qu'on visualiserait sur une page blanche ), sinon "ontologique" ( qu'est-ce que l'essence d'une ligne).
Qu’est-ce que représente un point : il représente la notion d’élément, d’élémentaire, de constituant irréductible.
Que représente la ligne : elle représente une continuité. Alors on peut se dire que la continuité est faite d’éléments qui se succèdent, mais si l’on se demande d’où viennent ces éléments, on les imagine extraits d’une continuité métaphysique, obscure, diffuse. Donc on est bien face à une aporie puisque le questionnement tourne ensuite en rond, on suppose en effet que cette continuité diffuse est elle aussi faite que quelque chose, à moins qu’on choisisse de la penser en terme d’infini, ce qui n’apporte pas plus de réponse. C’est peut-être une approche de la continuité en ces termes qui à amener les physiciens à développer le concept de continuité spatio-temporelle. La continuité spatiale ne peut être conçue en dehors de la temporalité qui n’est autre qu’une continuité elle aussi. La notion d’espace disparaît s’il n’y a pas une temporalité qui lui permette de développer sa forme. On passe ainsi d’apories en tautologies.
Qu’est-ce que représente un point : il représente la notion d’élément, d’élémentaire, de constituant irréductible.
Que représente la ligne : elle représente une continuité. Alors on peut se dire que la continuité est faite d’éléments qui se succèdent, mais si l’on se demande d’où viennent ces éléments, on les imagine extraits d’une continuité métaphysique, obscure, diffuse. Donc on est bien face à une aporie puisque le questionnement tourne ensuite en rond, on suppose en effet que cette continuité diffuse est elle aussi faite que quelque chose, à moins qu’on choisisse de la penser en terme d’infini, ce qui n’apporte pas plus de réponse. C’est peut-être une approche de la continuité en ces termes qui à amener les physiciens à développer le concept de continuité spatio-temporelle. La continuité spatiale ne peut être conçue en dehors de la temporalité qui n’est autre qu’une continuité elle aussi. La notion d’espace disparaît s’il n’y a pas une temporalité qui lui permette de développer sa forme. On passe ainsi d’apories en tautologies.
Il
faut donc aborder le problème sous un autre angle
On
voit que lorsque l’on essaie d’extrapoler à partir de la ligne et du point,
donc de savoir ce qui est premier, on ne va nulle part. Ce qui est intéressant
par contre, c’est qu’on ne peut fondamentalement ni les associer, ni les dissocier. Et c’est à partir de cela qu’on
peut réfléchir.
Qu’est-ce
que j’entends par « ni les associer,
ni les dissocier » : prenons par exemple, la notion de temps.
Mettons que le temps soit une succession d’instants. Pouvons-nous concevoir un
instant comme un extrait du temps d’une durée nulle ? Fondamentalement,
non. Donc le temps n’est pas composé d’instants puisque les instants sont
composés de temps. Et pourtant, on ne peut concevoir le temps autrement. De
même avec la notion de quantité formalisée par les nombres. On ne peut
concevoir de quantité élémentaire qui soit nulle, l’unité ne peut être une
nullité. Une somme de nullités peut-elle former une unité ? (à la rigueur,
une somme de nullités forme une unité de nullités…) De quoi est donc composée
l’unité ? On touche du doigt cette sensation d’impossibilité d’association
et de dissociation qui fait écho à l’étrange corrélation entre la ligne et le
point.
Ce
qui est absolument fantastique, c’est que les avancées de la science physique
nous disent des choses qui corroborent ces sensations.
Prenons deux exemples: le quantum d’action et l’indétermination
quantique.
Quantum d'action.
Il s'agit d’une expérience dont seuls les physiciens ont le secret, en l’occurrence une
expérience menée par Max Planck sur le rayonnement d’un corps noir chauffé (à
savoir qu’un corps noir parfait – qui ne laisse pas s’échapper de lumière-
n’existe pas dans notre environnement). S’inspirant du second principe de la
thermodynamique (principe d’entropie), Max Planck cherchait à comprendre ce qui
se passait entre l’énergie absorbée par le corps noir sous l’effet de la
chaleur, et l’énergie émise par ce dernier.
Ce
que Max Planck a découvert, c’est que l’énergie était absorbée non pas en
continu mais par « paquets ». Il a déterminé ce qui deviendra la constante de Planck, dite « h
barre », et qui correspond à la « mesure » de ce paquet,
lui-même nommé « quanta » et qui correspond à la quantité d'énergie minimale émise par le corps noir. C'est une quantité minimale irréductible. L'énergie ne peut être émise en quantité moindre que celle qui forme un « quanta » ( qui sera rebaptisé « photon » par Einstein après son expérience sur l’effet photoélectrique qui vaudra à ce dernier son prix Nobel)
L’action, en science physique, est entendue comme étant le produit d’une énergie par un
temps (suspendons notre questionnement sur ce que veulent dire
« énergie » et « temps » et prenons les tels que la
physique nous les présente). Le quantum d’action peut donc être définit comme
un « mouvement élémentaire », le mouvement minimum par rapport à un
« seuil » en dessous duquel il est « physiquement », et
donc mathématiquement, impossible de descendre. Il n’existe pas d’absence
d’action, d’absence de mouvement.
Un
exercice de pensée nous amène à une constatation
semblable : nous ne pouvons pas concevoir raisonnablement le vide absolu,
le néant absolu, ni l’infini, ni même l’absolu. On se retrouve face à cette
impossibilité d’associer le concept de mouvement – qui est continu, qui
implique une dynamique- à celui de mouvement
minimum irréductible, tel un « grain » de mouvement. La question
de savoir ce qui est à l’origine de ce mouvement n’est même plus pertinente
puisqu’il n’y a pas de passage entre l’absence
de mouvement (qui n’existe pas mais que le concept d’origine implique) et notre
mouvement minimum irréductible. Une belle aporie qui fait écho à notre aporie
du point et de la ligne.
Ce
qu’on remarque cependant, c’est que ce qu’il y a derrière les concepts de
mouvement, d’énergie, de temps, d’action, de matière, d’espace, forme un
ensemble inconcevable aux liens inaliénables. Les formules mathématiques ne
consistent-elles pas à mettre en relation tous ces concepts définis par leur
variabilité les uns par rapport aux autres ? A un certain degré, ne
pouvons-nous pas dire que tous ces concepts forment une grande famille
tautologique ou chaque membre est une manifestation d’un autre en fonction d’un
angle de vue variant ? (dans mon esprit, le caractère tautologique ne
souffre d’aucun jugement dépréciatif.)
Le cas de l'indétermination quantique illustre lui aussi le problème
philosophique de l’aporie du point et de la ligne.
Pour
commencer, précisons ce que veut dire quantique : Planck a inventé le
terme de quanta pour définir une quantité (de matière, d’énergie, de temps?...)
que l’on ne pouvait observer autrement qu'à travers la lunette mathématique. Une quantité si petite qu’elle devenait minimale,
encore plus petite que la taille d’un atome. Par quantique, on entend donc plus généralement « ce qui est plus petit que
les atomes ». Il s’agit de travailler à des échelles subatomiques. Je ne
comprends d’ailleurs pas pourquoi on prononce souvent « qwantique »
et non quantique, sans doute que les physiciens de l’époque avaient un accent
que certains physiciens actuels ont trouvé mélodique, un accent italien ou allemand...
Indétermination qwantique.
Quand
on travaille à des échelles subatomiques, il se passe des choses qui ne se
passent apparemment pas à l’échelle macroscopique. On dissocie la physique
classique de la physique quantique puisque les postulats de l’une sont en
contradiction avec les postulats de l’autre.
Lorsque
les scientifiques ont voulu étudier les particules subatomiques, ils ont
cherché à mesurer des choses comme leur vitesse, leur position, leur direction,
leur orientation, leur charge électrique, de la même manière que l’on cherche à
étudier un phénomène classique (dans
le sens de phénomène qu’on étudie à l’échelle macroscopique). Or, des
expériences ont révélé que ces mesures s’avéraient plus compliquées à réaliser.
Notamment l’expérience dite des fentes de Young et les équations de Heisenberg.
Cette
expérience est d’une richesse épistémologique inouïe.
Dans
un premier temps, des expériences ont montré qu’une particule de lumière - un photon - se
comportait comme une onde. Un phénomène de diffraction avait lieu. Or la
diffraction est une transformation que seule quelque chose d’ondulatoire peut
subir. La différence entre une onde et une particule est similaire à la
différence entre un point et une ligne. Dire qu’une onde est composée de
particules est une chose que les physiciens n’arrivent pas à définir. Si une
onde est composée de particules, pourquoi une particule isolée se comporte-t-elle
comme une onde à elle toute seule?
Ensuite,
on a fait des expériences sur l’électron, ( qui est une particule de matière à la différence du photon qui est une particule d'interaction) pour voir si la matière –à travers
ses plus petits constituants- se comportait comme une onde, et ce fut le cas.
C’est
à ce moment que Heisenberg est venu proposer une explication avec le fameux
principe d’indétermination.
Lorsqu’un
observateur se présente avec ses appareils de mesure, il semble qu’il influence
le comportement de la chose à mesurer. Il semblerait que, non soumis à la
mesure, ce comportement soit imprévisible. Ce n’est pas parce qu’on ne mesure
pas ce comportement qu’il est imprévisible, il semblerait tout simplement qu’il
n’y ait pas de comportement à mesurer en dehors de la mesure. C’est comme si
tous les comportements possibles entre mesure avaient lieu, et que la mesure
imposait à l’objet mesuré de choisir un comportement au moment de la mesure,
sans que ce comportement puisse jamais être prévu avec certitude avant la
mesure. On parle de superposition d’états, ou encore d’indétermination. Il ne
s’agit pas tant d’incertitude de la mesure mais d’indétermination du
comportement de l’objet. Toute la question est alors de savoir ce qu’est cet
étrange objet qui reste insaisissable et qui semble surtout ne pas respecter la
loi de causalité. En effet, à conditions initiales « identiques »,
résultats différents. C’est bien là la seule certitude à laquelle on aboutisse,
la certitude de l’indétermination.
Le
problème épistémologique est là : la
présence de l’observateur et son intention de mesurer quelque chose qui
l’intéresse lui, semble influencer le comportement de l’objet. Plus
encore : ce que l’observateur cherche à mesurer –quelque chose qui a une
pertinence à l’échelle classique (vitesse, position…) – a-t-il une
« existence » au niveau subatomique ? Personnellement, je me
suis amusée à développer le concept
d’ « anthropomicrocentrisme », décliné ensuite en concept
d’ « anthroposcopisme » et de
« macroscopicocentrisme » -pour en compliquer la diction-, pour
illustrer la tendance que nous avons parfois à vouloir chercher dans la
confusion, dans la nouveauté, dans l’inconnu surtout ( les lois de la nouvelle
physique quantique), des traces de familiarité (des concepts issus de la
physique classique, par exemple : vitesse, position, causalité, etc, qui
sont eux-mêmes grandement issus de notre position dans la réalité et de notre
interaction avec celle-ci).
Nous
avons d’un côté la question de la dualité onde-corpuscule qui, nous l’avons vu,
reflète notre dualité ligne-point. (la ligne est-elle faite de points, mais le
point peut-il être autre chose qu’un élément de ligne). Attention, il ne s’agit
pas de penser que l’onde est une ligne et qu’un corpuscule est un point, mais
il s’agit plutôt de voir une filiation ontologique, essentielle, entre ce qui fait une ligne et ce qui fait une onde d’une part, puis
d’autre part, ce qui fait un
corpuscule et ce qui fait un point.
D’un
autre côté, la physique quantique nous amène à penser que le fait de poser la
question :
« Hey toi, t’es quoi, tu te
décides ? Tu es une particule ou tu es une onde… une vraie onde, pas une onde composée de particules sinon on ne s’en
sort pas… »
détermine
la réponse et que cette réponse ne nous convient pas puisqu’elle s’apparente à
un :
« Je
ne sais pas ce que je suis. Arrêtez de m’embêter, vous me proposez soit l’onde
soit la particule mais d’après vos mesures et vos calculs je suis les deux
apparemment, et ça ne vous plaît pas… Proposez-moi autre chose ?!! (si
vous en êtes capables)... ».
Et
puis une fois que le chercheur a le dos tourné, d’un ton boudeur, la matière
ajoute : « Faites votre boulot, c’est vous qui possédez la matière
grise, moi je ne suis que ce que je suis et je n’ai qu’à être ».
Ah,
elle a bon dos cette matière. Elle se prête à toutes nos expériences mais sa
nature reste insondable.
Si
la matière reste un mystère, on peut cependant tirer des interprétations de la
nature de ce mystère. En voici une :
Nous
pouvons considérer que la « connaissance » ne se définit pas comme la
sommes de « su » mais davantage comme un processus d’approche de ce
que l’on cherche à connaître. La connaissance n’est pas une quantité de savoirs
mais une relation entre l’esprit intrigué et ce qui l’intrigue. La connaissance
est un état d’esprit disposé au mouvement de réflexion.
L’état
et le mouvement, la position statique et la vitesse, autrement dit, le point et
la ligne. Au final, il ne s’agit pas de les considérer séparément, c’est
impossible, mais en relation, ce qui reste compliqué puisque l’un se définit
par rapport à l’autre qui ne peut pas être sans l’un. L’état est le résultat
d’un mouvement qui lui-même est constitué d’une succession d’états. Alors
plutôt que de persévérer dans une quête de causalité aporétique, il semble
qu’il faille procéder par « sublimation », une coupe transversale à
vif dans l’abstraction.
Une
approche transversale de la causalité nous amène à réfléchir davantage en
termes de relation.
La
notion de relativité qui en découle
est fondamentale. Le principe épistémologique de corrélation y fait écho. De même, la notion de variabilité, très profonde, est liée au caractère dynamique du
concept de relation. Une chose
absolument fondamentale semble être alors, de tous points de vue, la dimension
absolue de la relativité et du mouvement. Peut-être est-ce par là que l’on peut
réduire notre aporie générique « ligne-point » : la relativité
absolue, la variabilité constante, le mouvement invariant… A suivre.
Pour
l’heure, je pense que nous sommes restés perchés suffisamment longtemps et
qu’il est temps de redescendre sur notre familier plancher de chêne massif.