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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

dimanche 31 mai 2015

Du point à la ligne 2015

Il y a deux ans très exactement, je postais sur Shantée Bellefleur.com un article intitulé « Du point à la ligne ». Facebook se faisait un plaisir, ce matin, à me le rappeler. Du coup je l’ai relu et je l’ai modifié tant il était imbuvable. Le nettoyage a grossièrement consisté à retirer un paragraphe sur deux et à ajouter quelques phrases par-ci par-là. Voici donc le nouvel article que je vous propose.

Point, à la ligne.

D’ordinaire, il n’est pas difficile de concevoir séparément une ligne et un point. Le problème surgit lorsque l’on essaie de savoir si un point est un morceau de ligne ou si la ligne est faite de points, c’est-à-dire, lorsqu’on essaie de savoir ce qui est premier. Notre esprit nous impose d’opérer ce genre d’ordonnancement causal, c'est à dire à chercher le phénomène qui est la cause d'un autre phénomène. Le principe de causalité, ainsi qu'on appelle cette quète de la primauté, est fondamentalement inscrit dans notre préhension des choses. (La question de savoir d’où vient ce principe de causalité est une question elle-même issue de ce même principe, est-il une forme a-priori de notre esprit ?)

Dans le cas de la ligne et du point, on se retrouve donc à se demander ce qui vient en premier, comme dans la métaphore de l’œuf et de la poule.

La première chose à faire est de se demander ce qu’est un point et ce qu’est une ligne, mais pas au niveau "topologique" ( un point qu'on visualiserait sur une page blanche ), sinon "ontologique" ( qu'est-ce que l'essence d'une ligne). 
Qu’est-ce que représente un point : il représente la notion d’élément, d’élémentaire, de constituant irréductible. 
Que représente la ligne : elle représente une continuité. Alors on peut se dire que la continuité est faite d’éléments qui se succèdent, mais si l’on se demande d’où viennent ces éléments, on les imagine extraits d’une continuité métaphysique, obscure, diffuse. Donc on est bien face à une aporie puisque le questionnement tourne ensuite en rond, on suppose en effet que cette continuité diffuse est elle aussi faite que quelque chose, à moins qu’on choisisse de la penser en terme d’infini, ce qui n’apporte pas plus de réponse. C’est peut-être une approche de la continuité en ces termes qui à amener les physiciens à développer le concept de continuité spatio-temporelle. La continuité spatiale ne peut être conçue en dehors de la temporalité qui n’est autre qu’une continuité elle aussi. La notion d’espace disparaît s’il n’y a pas une temporalité qui lui permette de développer sa forme. On passe ainsi d’apories en tautologies.

Il faut donc aborder le problème sous un autre angle

On voit que lorsque l’on essaie d’extrapoler à partir de la ligne et du point, donc de savoir ce qui est premier, on ne va nulle part. Ce qui est intéressant par contre, c’est qu’on ne peut fondamentalement ni les associer, ni les dissocier. Et c’est à partir de cela qu’on peut réfléchir.

Qu’est-ce que j’entends par « ni les associer, ni les dissocier » : prenons par exemple, la notion de temps. Mettons que le temps soit une succession d’instants. Pouvons-nous concevoir un instant comme un extrait du temps d’une durée nulle ? Fondamentalement, non. Donc le temps n’est pas composé d’instants puisque les instants sont composés de temps. Et pourtant, on ne peut concevoir le temps autrement. De même avec la notion de quantité formalisée par les nombres. On ne peut concevoir de quantité élémentaire qui soit nulle, l’unité ne peut être une nullité. Une somme de nullités peut-elle former une unité ? (à la rigueur, une somme de nullités forme une unité de nullités…) De quoi est donc composée l’unité ? On touche du doigt cette sensation d’impossibilité d’association et de dissociation qui fait écho à l’étrange corrélation entre la ligne et le point.

Ce qui est absolument fantastique, c’est que les avancées de la science physique nous disent des choses qui corroborent ces sensations.
Prenons deux exemples: le quantum d’action et l’indétermination quantique.

Quantum d'action.

Il s'agit d’une expérience dont seuls les physiciens ont le secret, en l’occurrence une expérience menée par Max Planck sur le rayonnement d’un corps noir chauffé (à savoir qu’un corps noir parfait – qui ne laisse pas s’échapper de lumière- n’existe pas dans notre environnement). S’inspirant du second principe de la thermodynamique (principe d’entropie), Max Planck cherchait à comprendre ce qui se passait entre l’énergie absorbée par le corps noir sous l’effet de la chaleur, et l’énergie émise par ce dernier. 

Ce que Max Planck a découvert, c’est que l’énergie était absorbée non pas en continu mais par « paquets ». Il a déterminé ce qui deviendra la constante de Planck, dite « h barre », et qui correspond à la « mesure » de ce paquet, lui-même nommé « quanta » et qui correspond à la quantité d'énergie minimale émise par le corps noir. C'est une quantité minimale irréductible. L'énergie ne peut être émise en quantité moindre que celle qui forme un « quanta » ( qui sera rebaptisé « photon » par Einstein après son expérience sur l’effet photoélectrique qui vaudra à ce dernier son prix Nobel)

Alors que dire de cette constante de Planck, « h barre », dit encore quantum d'action. C'est le terme "action" qui est intéressant.
L’action, en science physique, est entendue comme étant le produit d’une énergie par un temps (suspendons notre questionnement sur ce que veulent dire « énergie » et « temps » et prenons les tels que la physique nous les présente). Le quantum d’action peut donc être définit comme un « mouvement élémentaire », le mouvement minimum par rapport à un « seuil » en dessous duquel il est « physiquement », et donc mathématiquement, impossible de descendre. Il n’existe pas d’absence d’action, d’absence de mouvement.

Un exercice de pensée nous amène à une constatation semblable : nous ne pouvons pas concevoir raisonnablement le vide absolu, le néant absolu, ni l’infini, ni même l’absolu. On se retrouve face à cette impossibilité d’associer le concept de mouvement – qui est continu, qui implique une dynamique- à celui de mouvement minimum irréductible, tel un « grain » de mouvement. La question de savoir ce qui est à l’origine de ce mouvement n’est même plus pertinente puisqu’il n’y a pas de passage entre l’absence de mouvement (qui n’existe pas mais que le concept d’origine implique) et notre mouvement minimum irréductible. Une belle aporie qui fait écho à notre aporie du point et de la ligne.

Ce qu’on remarque cependant, c’est que ce qu’il y a derrière les concepts de mouvement, d’énergie, de temps, d’action, de matière, d’espace, forme un ensemble inconcevable aux liens inaliénables. Les formules mathématiques ne consistent-elles pas à mettre en relation tous ces concepts définis par leur variabilité les uns par rapport aux autres ? A un certain degré, ne pouvons-nous pas dire que tous ces concepts forment une grande famille tautologique ou chaque membre est une manifestation d’un autre en fonction d’un angle de vue variant ? (dans mon esprit, le caractère tautologique ne souffre d’aucun jugement dépréciatif.)

Le cas de l'indétermination quantique illustre lui aussi le problème philosophique de l’aporie du point et de la ligne.

Pour commencer, précisons ce que veut dire quantique : Planck a inventé le terme de quanta pour définir une quantité (de matière, d’énergie, de temps?...) que l’on ne pouvait observer autrement qu'à travers la lunette mathématique. Une quantité si petite qu’elle devenait minimale, encore plus petite que la taille d’un atome. Par quantique, on entend donc plus généralement « ce qui est plus petit que les atomes ». Il s’agit de travailler à des échelles subatomiques. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi on prononce souvent « qwantique » et non quantique, sans doute que les physiciens de l’époque avaient un accent que certains physiciens actuels ont trouvé mélodique, un accent italien ou allemand...

Indétermination qwantique.

Quand on travaille à des échelles subatomiques, il se passe des choses qui ne se passent apparemment pas à l’échelle macroscopique. On dissocie la physique classique de la physique quantique puisque les postulats de l’une sont en contradiction avec les postulats de l’autre.

Lorsque les scientifiques ont voulu étudier les particules subatomiques, ils ont cherché à mesurer des choses comme leur vitesse, leur position, leur direction, leur orientation, leur charge électrique, de la même manière que l’on cherche à étudier un phénomène classique (dans le sens de phénomène qu’on étudie à l’échelle macroscopique). Or, des expériences ont révélé que ces mesures s’avéraient plus compliquées à réaliser. Notamment l’expérience dite des fentes de Young et les équations de Heisenberg.

Cette expérience est d’une richesse épistémologique inouïe.

Dans un premier temps, des expériences ont montré qu’une particule de lumière - un photon - se comportait comme une onde. Un phénomène de diffraction avait lieu. Or la diffraction est une transformation que seule quelque chose d’ondulatoire peut subir. La différence entre une onde et une particule est similaire à la différence entre un point et une ligne. Dire qu’une onde est composée de particules est une chose que les physiciens n’arrivent pas à définir. Si une onde est composée de particules, pourquoi une particule isolée se comporte-t-elle comme une onde à elle toute seule?
Ensuite, on a fait des expériences sur l’électron, ( qui est une particule de matière à la différence du photon qui est une particule d'interaction) pour voir si la matière –à travers ses plus petits constituants- se comportait comme une onde, et ce fut le cas.
C’est à ce moment que Heisenberg est venu proposer une explication avec le fameux principe d’indétermination.

Lorsqu’un observateur se présente avec ses appareils de mesure, il semble qu’il influence le comportement de la chose à mesurer. Il semblerait que, non soumis à la mesure, ce comportement soit imprévisible. Ce n’est pas parce qu’on ne mesure pas ce comportement qu’il est imprévisible, il semblerait tout simplement qu’il n’y ait pas de comportement à mesurer en dehors de la mesure. C’est comme si tous les comportements possibles entre mesure avaient lieu, et que la mesure imposait à l’objet mesuré de choisir un comportement au moment de la mesure, sans que ce comportement puisse jamais être prévu avec certitude avant la mesure. On parle de superposition d’états, ou encore d’indétermination. Il ne s’agit pas tant d’incertitude de la mesure mais d’indétermination du comportement de l’objet. Toute la question est alors de savoir ce qu’est cet étrange objet qui reste insaisissable et qui semble surtout ne pas respecter la loi de causalité. En effet, à conditions initiales « identiques », résultats différents. C’est bien là la seule certitude à laquelle on aboutisse, la certitude de l’indétermination.

Le problème épistémologique est là : la présence de l’observateur et son intention de mesurer quelque chose qui l’intéresse lui, semble influencer le comportement de l’objet. Plus encore : ce que l’observateur cherche à mesurer –quelque chose qui a une pertinence à l’échelle classique (vitesse, position…) – a-t-il une « existence » au niveau subatomique ? Personnellement, je me suis amusée à développer le concept d’ « anthropomicrocentrisme », décliné ensuite en concept d’ « anthroposcopisme » et de « macroscopicocentrisme » -pour en compliquer la diction-, pour illustrer la tendance que nous avons parfois à vouloir chercher dans la confusion, dans la nouveauté, dans l’inconnu surtout ( les lois de la nouvelle physique quantique), des traces de familiarité (des concepts issus de la physique classique, par exemple : vitesse, position, causalité, etc, qui sont eux-mêmes grandement issus de notre position dans la réalité et de notre interaction avec celle-ci).

Nous avons d’un côté la question de la dualité onde-corpuscule qui, nous l’avons vu, reflète notre dualité ligne-point. (la ligne est-elle faite de points, mais le point peut-il être autre chose qu’un élément de ligne). Attention, il ne s’agit pas de penser que l’onde est une ligne et qu’un corpuscule est un point, mais il s’agit plutôt de voir une filiation ontologique, essentielle, entre ce qui fait une ligne et ce qui fait une onde d’une part, puis d’autre part, ce qui fait un corpuscule et ce qui fait un point.

D’un autre côté, la physique quantique nous amène à penser que le fait de poser la question :
 « Hey toi, t’es quoi, tu te décides ? Tu es une particule ou tu es une onde… une vraie onde, pas une onde composée de particules sinon on ne s’en sort pas… »
détermine la réponse et que cette réponse ne nous convient pas puisqu’elle s’apparente à un :
« Je ne sais pas ce que je suis. Arrêtez de m’embêter, vous me proposez soit l’onde soit la particule mais d’après vos mesures et vos calculs je suis les deux apparemment, et ça ne vous plaît pas… Proposez-moi autre chose ?!! (si vous en êtes capables)... ».
Et puis une fois que le chercheur a le dos tourné, d’un ton boudeur, la matière ajoute : « Faites votre boulot, c’est vous qui possédez la matière grise, moi je ne suis que ce que je suis et je n’ai qu’à être ».

Ah, elle a bon dos cette matière. Elle se prête à toutes nos expériences mais sa nature reste insondable.
Si la matière reste un mystère, on peut cependant tirer des interprétations de la nature de ce mystère. En voici une :
Nous pouvons considérer que la « connaissance » ne se définit pas comme la sommes de « su » mais davantage comme un processus d’approche de ce que l’on cherche à connaître. La connaissance n’est pas une quantité de savoirs mais une relation entre l’esprit intrigué et ce qui l’intrigue. La connaissance est un état d’esprit disposé au mouvement de réflexion.

L’état et le mouvement, la position statique et la vitesse, autrement dit, le point et la ligne. Au final, il ne s’agit pas de les considérer séparément, c’est impossible, mais en relation, ce qui reste compliqué puisque l’un se définit par rapport à l’autre qui ne peut pas être sans l’un. L’état est le résultat d’un mouvement qui lui-même est constitué d’une succession d’états. Alors plutôt que de persévérer dans une quête de causalité aporétique, il semble qu’il faille procéder par « sublimation », une coupe transversale à vif dans l’abstraction.

Une approche transversale de la causalité nous amène à réfléchir davantage en termes de relation.
La notion de relativité qui en découle est fondamentale. Le principe épistémologique de corrélation y fait écho. De même, la notion de variabilité, très profonde, est liée au caractère dynamique du concept de relation. Une chose absolument fondamentale semble être alors, de tous points de vue, la dimension absolue de la relativité et du mouvement. Peut-être est-ce par là que l’on peut réduire notre aporie générique « ligne-point » : la relativité absolue, la variabilité constante, le mouvement invariant… A suivre.


Pour l’heure, je pense que nous sommes restés perchés suffisamment longtemps et qu’il est temps de redescendre sur notre familier plancher de chêne massif.

vendredi 15 mai 2015

Petite salade au marché

Alors qu’un carpaccio de radis noir marinait paisiblement dans le jus d’un citron frais, quelques tagliatelles de courgettes folles faisaient des cabrioles pour se rendre intéressantes. Au loin, des tomates se mettaient en quarts pour attirer un fromage de chèvre épars. Piment doux, thym d’ici, poivre d’ailleurs et sel de là. 


Tambouille pour des paresseux pas trop pressés.


Voici la tambouille du jour.
Je l’ai trouvé étonnamment délicieuse alors je partage la "recette". Comme d’habitude, j’ai improvisé une tambouille à partir de ce que j'ai trouvé dans ma corbeille à légumes : 2 patates douces, 3 navets jaunes et 1 grooos radis noirs, curcuma frais, gingembre frais et citron.



Comme je crois que le plus simple est souvent le meilleur, je fais généralement très simple. Dans une grande casserole, à feu doux, filet d’huile d’olive tapissant le fond, je coupe grossièrement mes gros tubercules non épluchés. On garde la peau des légumes BIO, on frotte juste un peu et on rince si on veut. S’il reste un ou deux grains de terre coincés ici et là, ce n’est pas cela qui va nous rendre malades. La terre naturelle est surement moins nocive que les légumes issus de l’agriculture chimique. Soit. 
On coupe patates douces, radis noirs et navets jaunes en morceaux qu’on met dans la casserole.  On coupe en tous petits dés le curcuma, on prend l’équivalent de quelques zestes de gingembre, puis quelques zestes de citron, on mélange tout pour faire une jolie tambouille, on ajoute un peu d’eau, on couvre et on laisse mijoter une bonne heure voire davantage à feu très doux. Je n’ai pas mis d’oignons ni d’ail, allez savoir pourquoi. Un peu de sel, et encore ce n’est pas indispensable… Et voilà, c’est tout, c’est excellent. 
Bon appétit et à bientôt.