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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 28 novembre 2015

Révolution

Je crois que si l’on arrêtait du jour au lendemain, en France toute activité industrielle, c'est-à-dire fermeture des usines puis des entreprises qui font l’administration,  le marketing et la publicité des produits qui en sortent, si on cessait tout cela sans préavis, je crois que nous ne provoquerions pas de chaos. Pas plus qu'un retour à l'âge de pierre. Mais cela pourrait bien dessiner les contours d'une modernité tout à fait inédite. 

Je ne crois pas qu’un tel arrêt industriel provoquerait la misère, l’anarchie ou qu’il engendrerait une panne générale, comme on pourrait logiquement le prévoir. Non. Je crois, au contraire que cela pourrait avoir un effet surprenant. Pas sur le climat (car il faudra des années avant de pouvoir espérer voir s’infléchir le réchauffement et ses désastreuses conséquences) mais parmi les citoyens. Je crois que sous certaines conditions, il pourrait se produire quelque chose d’intéressant.

Plutôt que d’attendre que le ciel nous tombe franchement sur la tête, - ce qu’il s’échauffe justement à faire ces temps-ci- plutôt que d’attendre d’avoir non pas le couteau sous la gorge mais la lame qui s’y enfonce, on pourrait agir très concrètement et très directement. Pour cela, il faudrait qu’il ne subsiste plus aucun doute quant à la gravité de la situation. Il faudrait que nous soyons bien conscients que nous avons déjà le couteau sous la gorge, que l’état de notre planète menace les  conditions de notre propre survie à l’échelle planétaire. Déjà, cela : prise de conscience majoritaire, si possible avant( !) d’avoir à déplorer des millions de morts (c’est sans doute ici la partie la plus utopique de mon discours).

On arrêterait les machines qui tournent des les usines, toutes les usines, on cesserait de produire, d’entretenir le système.  On cesserait d’appeler à la consommation. On cesserait de vendre. On ferait une grève du système. Je ne parle pas de tout arrêter jusqu’à immobiliser de la population, je laisse les voitures circuler raisonnablement (avec du covoiturage), internet et les médias restent modérément actifs dans un premier temps, il est probable et même certain que ces mêmes médias mainstream qui sont toujours à commenter de loin sans prendre partie, sans manifester la moindre nécessité de convaincre qui que ce soit de l’importance d’un sujet, il est certain que ces médias ne prendront pas part au mouvement et le commenteront sans conviction aucune, propageant ainsi une tiédeur contagieuse pour quiconque resterait le séant coincé devant la télé. Je me trompe peut-être mais je souhaiterais que les médias se fassent le relais d’un élan de citoyenneté inédit, ou qu’ils se taisent mais cela aussi, je n’y crois que timidement. Eteindre la télé et se retrouver dans la rue...

Ce en quoi je crois, pour y venir, c’est dans le mouvement citoyen qui peut se former après l’arrêt de ces activités industrielles. A condition qu’on ait conscience que si ces activités ne cessent pas le plus tôt possible, on subira tôt ou tard un arrêt de force, on n’aura pas le choix. Donc il vaut mieux choisir maintenant de sauver notre peau plutôt que de la sacrifier pour un système mortifère dont le glas résonne et se rapproche. Déjà, ne plus travailler à l’usine ou en entreprise de commercialisation de biens industriels, sans se soucier de son salaire ou des factures. Faire passer le climat AVANT. Autre point légèrement utopique mais réaliste si, je me re re répète, on est conscient de l’urgence et conscient qu’il n’y a pas de conciliation possible entre respect de l’environnement et société industrielle.

Quel est ce mouvement que je vois se former ?

Il s’agit d’une forme de résilience. On voit, depuis les attentats, qu’un peuple est résilient. Il a cela en lui. Il est difficile de prévoir qu’elle forme cette résilience  va prendre mais on peut prévoir qu’elle va se manifester. Qui aurait pu prévoir que les Belges enverraient des milliers de chatons sur les réseaux sociaux ( parfois à l’attention directe des terroristes sans manifester la moindre haine à leur égard ) après qu’on leur ait demandé de faire silence pendant les opérations de police ? De même à Paris les gens se mobilisent, se réunissent, manifestent un besoin de fraternité après que 130 personnes aient été assassinées. Cet exemple est un petit échantillon de résilience mais je crois qu’il n’est que l’étincelle d’une force bien plus grande. Cette fraternité est une très grande puissance qu’il faut solliciter autour de causes justes et urgentes : le dérèglement climatique qui causera sans doute beaucoup de morts prochainement.

Je crois que le peuple saurait s’organiser de fait, au moyen de réunions de quartiers, de réunions entre collègues désœuvrés, pour mettre en place des circuits alternatifs permettant de subvenir aux besoins de chacun (alimentaires, vestimentaires, de logement, d’information, de mobilité ). Pendant un certain temps, les gens travailleraient contre services (une heure de maintenance dans un maison contre un panier de fruit, une heure de cours aux enfants, un covoiturage, un sac de vêtements, etc… C’est précisément là que je crois en notre inventivité !). Progressivement, on commencerait à réfléchir à un nouveau projet de société, autre que celui du consumérisme fuyant, ou l’accumulation d’argent et de biens matériels. On remarquerait d’ailleurs assez vite qu’on peut se passer d’argent, que ce n’est qu’un voile sur les échanges. Se passer d’argent ne veut pas dire se passer de contrepartie. Au contraire, se passer d’argent implique qu’on réfléchisse à la nature d’un échange, au sens qu’on donne à ce dernier. Et cela, nous pourrions enfin l’expérimenter et en tirer des conséquences. Il faut bien comprendre que le peuple est un puissant qui s'ignore. Il est bien plus puissant que la caste politique et que les hommes d'affaires réunis à défendre leurs intérêts financiers. Le peuple ne dépend pas du système, mais c'est bien le système qui dépend de lui. C'est le peuple qui peut tout changer. La souveraineté populaire, théorisée il y si longtemps, n'est pas une illusion. Elle est possible grâce à l'éducation et à une information libre. On le sait, je ne vous apprends rien.

Avant de réfléchir à un projet commun ou d’en voir un se dessiner, on fermera un peu notre caquet et on regardera un peu plus attentivement notre environnement ( la nature, la vie qui se déploie autour de nous) pour voir s’il n’y aurait pas des choses vraiment  intéressantes à observer. Je dis cela mais je ne dis rien. (C’est mon côté naturaliste qui n’engage que moi).

Ce qui est intéressant dans ces évènements que j’imagine ; ce qui les rend irréalistes et réalisables à la fois, c’est qu’ils sont d’autant plus inconcevables que nécessaires.

Suite aux attentats, le pays est en état d’urgence. Il va déroger aux droits de l’homme afin d’assurer la sécurité de la population (du moins dans le discours démagogique car si on voulait assurer notre sécurité véritable, on cesserait ces activités industrielles et on ne bombarderait pas l’étranger…). Il n’est donc pas impossible que nous sortions de la démocratie d’une façon tout à fait détestable. Là encore, la démocratie dans laquelle on est supposé être est très hypocrite, mais on risque de basculer dans une forme de totalitarisme. Ne nous croyons pas à l’abri, ca peut nous arriver. Les terroristes cherchent probablement à nous y pousser, et on y va un petit peu, en reniant les libertés et les droits de l’homme… Déjà, on constate que les questions climatiques sont passées au second plan (voire au dernier plan). La COP21 est maintenue mais il n’y a pas grand-chose à attendre des politiques et des lobbies qui vont s’y retrouver. Cette conférence peut cependant être l’occasion de faire circuler l’information quand à l’état sévère de notre planète, quant à  la nécessité d’agir maintenant et quant à l’absence de réaction à attendre des milieux politiques et d’affaires. Cette conférence peut faire grandir la prise de conscience et certains s’y attèlent avec sérieux. C’est surtout cela que peut permettre la COP21, crier l’urgence à l’oreille de chacun, pointer la lame du couteau posé sur notre gorge. Ce n’est pas impossible même si les rassemblements publics ont été interdits. Les médias ont un rôle très important à jouer ces prochains jours (s’ils veulent se racheter une crédibilité, pour certains…)

Cela peut paraître un peu fou mais je pense que c’est en se préoccupant de ce qu’on a dans notre assiette qu’on peut lutter contre le terrorisme. Des aliments dont on se soucie de la provenance et de leur mode de production. C’est par là que la prise de conscience peut commencer et se poursuivre à travers l’explication du lien entre industrie, matérialisme rationnel, pollution, qui entraine maladies et dépression chez l’homme, réchauffement  du climat, destruction des éco-systèmes et extinction des espèces.

En agissant pour le climat et la santé, on peut, par ricochet, par extension, saper les bases du terrorisme (ce qui ne sera pas immédiat non plus.) Et la meilleure façon d’agir pour le climat, c’est de cesser toute activité industrielle (dont l’agriculture industrielle, cela va de soi). Tout est lié.

Question sécurité de la population, je crois que là encore il faut compter sur la résilience. Je crois qu’un ordre public peut s’organiser à condition que l’élan de fraternité qu’on à vu poindre devienne consistant, ce qu’il peut faire en se cristallisant sur l’enjeu climatique, et donc sur la survie de l’espèce. Je ne sais pas quelle forme cet ordre public pourrait prendre, (j'en ai une petite idée confédérale) mais je le souhaite pacifiste et grandement basé sur la responsabilité de chacun à respecter l’autre. Une forme de solidarité de terrain révélerait qu’on peut tous se serrer les coudes quand l’enjeu est de taille.

Je crois que ce serait à travers une révolution tout à fait inédite que la France, l’esprit français plus précisément, pourrait être à la hauteur de son histoire révolutionnaire et de sa légende luminifère, esprit pionnier des droits de l’Homme, de la tolérance, de l’accueil et de la fraternité. Elle est en nous, j’en suis certaine, cette capacité à nous soulever contre un ordre établi à l’apparence immuable, cette capacité à nous organiser. On est suffisamment débrouillards et résilients pour réagir. (C’est mon côté humaniste qui n’engage que moi là encore.)

Je crois qu’il ne faut par contre surtout pas se tourner vers la géoingénierie climatique et les tendances technicistes qui veulent s’appliquer à l’environnement. Cela aggraverait les choses. La technique devra humblement se tourner vers la conception de pratiques et d’outils nous permettant d’organiser un vivre-ensemble qu’on accompagnera dans l’humble forme qu’il prendra. Je crois, encore une fois, que cela ne nous ferait pas de mal de fermer notre caquet quant à l’exploitation de notre milieu naturel qui n’est pas un décor à notre service. Je crois que ça ne nous ferait pas de mal de rester discrets à son égard, comme se tiendrait un enfant puni après avoir cassé son jouet. Là, nous avons cassé notre planète. Je pense qu’on devrait se faire un peu discret et observer son rétablissement. Il n’est d’ailleurs absolument pas certain que nous puissions sauver notre place en son sain. La Terre peut tout à fait se rétablir d’une façon qui ne nous arrange pas, si vous voyez ce que je veux dire… Je crois que pour commencer, il faut déjà qu’on arrête de la casser. Arrêter toute activité industrielle. Peut-être ensuite, inspirer d’autres pays à faire de même, à trouver leur propre adaptation, mais c’est une autre histoire. Soyons d’abord le changement que nous souhaitons voir advenir, même s’il n’est pas clairement défini. Laissons-lui une chance de se réaliser et soyons optimistes sur les possibilités qu’il y a à le voir bien se passer…

Aussi, je mise que toutes les questions, tous les défis qui se poseront à nous, par exemple pour produire autrement et développer de nouvelles sources d'énergie, trouver une forme d'urbanité au sein des grandes villes, trouveront une réponse. Les idées sont déjà en germe et parfois même en pratique dès à présent autour de nous.

Je pourrais développer sur 50 pages les raisons pour lesquelles je crois non seulement qu’il faut cesser toute activité industrielle (on est nombreux à le penser mais peu à le crier), mais aussi les raisons pour lesquelles je crois que nous serions capables de rapidement nous organiser sans chapeautage gouvernemental national (c'est-à-dire sans attendre que l’impulsion vienne d’en haut et nous impose quoi faire), mais par nous-mêmes, citoyens, à l’échelle du  département ou de la région, d’après une expérience de terrain, très concrète et de proximité, et enfin les raisons pour lesquelles je crois que nous verrons se dessiner les contours d’un nouvel ordre socio-écopolitique sans verser de sang. Il est vraiment possible que cela se passe sans trop de mal. Pour cela il est important d’y croire et d’être convaincu que c’est la meilleure chose à faire, pour soi, pour ses enfants, pour la planète et pour le monde. La cause est là, le dérèglement climatique menace notre survie. Ce dérèglement est la conséquence de notre mode de vie industrialo-capitaliste.

Je ferais ces 50 pages si on me les réclame. De toute façon, c’est parce que l’action semble surréaliste et terrifiante qu’elle peut d’autant plus se passer de manière surprenante. 

mercredi 4 novembre 2015

Pour l'amour du Nez.

"Je ne sais plus ce que je voulais dire. C’est là, je l’ai sur le bout de la langue, mais ça ne vient pas. J’ai oublié. Pourtant, la sensation est forte. Je veux dire, c’est là, très présent, tout en moi, mais je ne sais plus ce que c’est. C’était important j’en suis sûre et vous allez m’en vouloir de ne pas me souvenir. Je m’en veux déjà… Je ne sais pas. C’était … drôle. Inhabituel. Il y avait de la couleur. Des fleurs peut-être. Ou plutôt des petites formes colorées et bariolées qu’on aurait prises pour des fleurs.

Aubergine. La couleur. Et des petites tâches vertes, roses, bleues.  Je ne sais pas où elles étaient ces fleurs, mais je les ai vues. Il y en avait beaucoup et elles bougeaient. Comme s’il y avait du vent. Une brise légère. Elles étaient drôles. Vivaces. Je crois même qu’elles avaient une odeur sucrée alors que ce n’était pas des fleurs mais des formes, comme je vous l’ai dit. Des formes sur un rideau, ou un manteau ? Je ne sais plus, mais ça bougeait. Vous ne les avez pas vues vous, ces fleurs ? C’est fou. Moi, je trouve cela fou.

Un nez…  Il y avait un énorme nez ! Je le vois ! Il était sous mes yeux ! Un nez… très très rouge, très très gros. Tout rond. Attendez… Il y avait des petits yeux noirs au-dessus… Si, je les revois ! Deux petits yeux rieurs. Coquins. Quelle impertinence ! Ils m’ont parlé, je vous jure qu’ils m’ont parlé. Je ne sais plus ce qu’ils m’ont dit, mais ils m’ont parlé. Ils connaissaient mes secrets.  Ils sont venus dans mon jardin comme s’ils étaient chez eux. Bah je les ai accueillis, vu qu’ils semblaient connaître l’endroit. Ils faisaient un sacré boucan mais j’ai laissé faire. Bah oui ! Mon jardin adorait alors j’allais pas les bouter hors de chez moi, pas les petits yeux rieurs, pas le nez, vous êtes fou ! Ah ben non, le nez, je le veux !  

Mon gros nez rouge dans le jardin, des petites fleurs sur le rideau, ou le manteau, avec de gros souliers plein de terre. Il a un peu sali le gazon car il faisait n’importe quoi,- il marchait sur les murs, dansait la carmagnole, faisait du patinage-  mais à mon âge, on laisse faire ! Ce n’est pas une plate-bande malmenée qui va me contrarier !  Au contraire ! Mon jardin, il est bien mieux comme ça. Dites, vous pensez qu’il va revenir ? Le nez, le gros nez rouge… Vous pensez qu’il va revenir ?

Vous savez, j’ai peu de visite là où je vis désormais. Il est difficile de me trouver. Je suis souvent absente et même si je laisse la porte ouverte, rares sont ceux qui osent entrer. Mais ce gros nez, il ose. Il entre, et tant mieux si ses gros souliers font du raffut ! C’est comme ça qu’il me trouve.

Oh ! Le nez, il m’a chanté une chanson !  Les notes… La, lalala,lala… Vous connaissez ? « Ce n’est pas un Apollon, mon Jules, il n’est pas taillé comme un Hercule ». Qu’est-ce que c’était bon ! Taper dans les mains, chanter fort... Et j’ai dansé. Oui, j’ai dansé avec mon nez. Dans les bras d’un bel Hercule, mon grand gaillard. Et les petites fleurs tournaient autour. Les petits yeux noirs m’encourageaient et je dansais comme une pucelle ! Oh, ça va, vous en avez vu d’autre.

Attendez… Il y a autre chose. C’est pas fini… j’ai oublié… quelque chose. Le Nez… il est tout près. Tellement près qu’il est encore plus rond et plus rouge.
Ma main. Un frisson. Pourtant il ne fait pas froid. Chez moi il fait toujours bien chaud, vous pouvez me croire. Ma main. On me tient la main. Ma vieille main rigidifiée par l’arthrose. Une main qu’on ne touche plus, devenue inutile et déjà enterrée, si vous me permettez… On me tient la main et elle reprend vie ! Si ! Regardez ! … Avec quelle agilité je bouge mes doigts ! Quelque chose lui redonne sa souplesse. Sa jeunesse. Je peux serrer la main de mon nez. Comme cela me fait plaisir ! Et comme c’est doux…

Oooh ! Excusez-moi… Donnez-moi un instant…  Voilà que je suis toute rouge… Il m’a fait un bisou ! Le nez, ici, vous ne voyez pas ? Sur ma joue… Là,  je le sens encore. Il y est forcément, regardez bien. Il n’a pas pu aller bien loin. Si ? Vous le voyez ? Bon, tant mieux, vous me rassurez. Il est là, je le sens, chaud, mou et tout doux ! Vous en avez eu un vous aussi ? Ah parce que moi je ne vous donnerai pas le mien… Comment ? Vous n’en avez pas eu ? Alors il faut que je vous donne le mien, il vous en faut un, vous devez en avoir un. Ah, vous en avez eu un ? Tant mieux, vous m’avez fait peur. On ne plaisante pas avec les bisous du nez. Ils sont précieux. Approchez, approchez donc votre oreille que je vous dise un secret : ces bisous, les bisous du nez, ils sont magiques. Si ! C’est un ballon de soleil qui passe par la joue et descend dans le cœur. Là, ils gonflent, gonflent, gonflent dans la poitrine et vous font flotter comme sur un nuage. Vous comprenez ? Ils sont magiques. Ce ne sont pas des bisous secs et de circonstances, comme vous m’en faites, vous, à l’occasion, mais ce n’est pas de votre faute, vous n’avez pas de nez. Non, ce sont des vrais bisous, très chargés. Ils croulent sous leur chargement. Mais ils arrivent jusqu’à ma joue et y libèrent leur contenu magique. Et je flotte.

Dites, vous pensez qu’il va revenir ? Le nez, le gros nez rouge ?"

Cet article est inspiré d’une journée d’observation de l’intervention des Clowns Plumo et Rosalie à l’EHPAD « Les Terrasses de Reinach », auprès de résidents atteints de la maladie d’Alzheimer.


Les clowns Rosalie et Plumo étaient attendus. Les résidents atteints de la maladie d’Alzeimher ne se souviennent peut-être pas de grand-chose, mais à chaque fois que les clowns viennent leur rendre visite, ils en gardent une trace, quelque part, très profondément enfouie. Les visages s’illuminent, quelques sourires se fendent, des corps se lèvent de leur fauteuil. Tien, Rosalie vient de chuter. Elle ne tient pas debout ! Elle se cogne aux portes. Le vieux Jacques essaie de la soulever mais elle glisse sur le sol ! Quelle chipie. Plumo s’indigne. Il abandonne. Elle préfère les mains fortes du vieux Jacques. Alors il sort sa guitare et entame un air mélancolique. Jeanne reconnaît les premières notes et commence à chanter. Emilienne se lève et fait quelques pas de valses. Julie, l’aide-soignante, la rejoint et toutes deux tournent au milieu de la pièce.

C’est la simplicité et la spontanéité du Nez qui trouvent chez les résidents un écho rare. Il n’y a plus de place pour l’inhibition dans cette pièce. Ce qui est ressenti est exprimé. On ne réfléchit pas, on est. On nez ! 

Plus tard, Plumo et Rosalie entrent dans la chambre de Georgette. Elle ne sort quasiment pas depuis plusieurs jours, d'après Julie qui, un peu plus tôt, dansait avec Emilienne. "Elle est grognon... alors si vous n'avez pas peur de vous faire jeter, allez-y." précise-t-elle avec complicité.

Toc toc toc.
Entrez… dit une petite voix.
-Bonjour Georgette ! C’est nous !
Et Plumo d’entamer un petit riff enjoué à la guitare. Et Rosalie d’entrer en se dandinant. De suite, Georgette tape dans les mains et sourit, étendue sur son lit. Rosalie s’allonge sans ménagement à ses côtés, tapant dans ses mains au rythme de Georgette. C’est parti pour une bonne demie heure de blague. En toute impertinence et dans une douce familiarité, on se moque, on se taquine, on chante et on rigole.En prime, on aura droit à un petit tour de magie vraiment bluffant.

Georgette, c’est ma maman, c’est ma grand-mère, c’est la tienne, c’est la sienne. Quand cette petite dame voutée  prend Rosalie dans ses bras, ce sont tous les petits vieux qui la prennent dans leurs bras. Et moi, cela me réchauffe le cœur.

A la fin de la journée, après plus de quatre heures de clownerie intense, nos deux zigotos barbouillés sont épuisés. Ils ont tout donné. L'énergie dispensée à être à l'écoute tant des patients, du confrère que de soi-même, les a rincés. Mais quelle satisfaction ont -ils! Monsieur Durand, totalemnt invalide dans son fauteuil roulant, a serré la main de Plumo. Il y avait de la lumière dans son regard autrement éteint.On se repasse les petits moments de grâce de la journée et on se dit, en son for intérieur, quel beau métier je fais.

Plumo et Rosalie sont des clowns qui interviennent auprès d’un public particulier. Les malades d’Alzeimher mais aussi les enfants et les adultes handicapés mentaux.
Ce public ne réagit pas aux choses dites normales du quotidien. Il faut aller les «  chercher », les rencontrer dans un endroit bien spécifique, où vous et moi avons du mal à aller. Je ne parle pas d’un institut dont on trouverait l’adresse dans les pages jaunes et dont on rechignerait à pousser la porte, non. Je parle d’un endroit dans l’esprit, dans la conscience. Un endroit qui nous semble loin, dangereux et inaccessible, à nous, mais dont certains connaissent le chemin : les clowns.
Vous pensez que ces derniers gesticulent en grand fracas juste pour animer l’ambiance ? Eh bien vous vous trompez.

Les malades d’Alzeimher et les handicapés forment un public insensible à la niaiserie et aux bons sentiments. La superficialité d’une bonne intention entachée d’un « mal-à-l’aise » ne les touche pas.Il faut autre chose.

Le clown sait être exactement et intégralement dans le présent. Cette chose qui nous échappe et après laquelle on court. Etre dans le présent, y être pleinement, comme n’importe quel gamin sait l’être aussi, c’est ce que fait le clown. C’est aussi tout ce qui reste à un malade d’Alzeimher ou à une personne au comportement psychique différent. Le clown est désinhibé, spontané, impertinent, impoli, provocateur, et généreux, émerveillé, tendre, câlin, tactile, aimant sans condition et égal à lui-même en toutes conditions, traitant son prochain  quel que soit son état,  avec le même amour un peu taquin et la même familiarité réconfortante. Le clown est vrai au plus profond de son être et c’est cela qui fait de lui un être indispensable dans le quotidien de tout un chacun, aussi bien auprès des vieux que des jeunes, des valides que des invalides. Il dit des conneries, ne prend pas grand-chose au sérieux, semble ne pas respecter les bons usages de la respectabilité qui nous honore, et c’est tant mieux. Ca fait du bien. Le clown est aussi humblement vrai qu’on souhaiterait l’être. C’est en cet endroit, cette vérité de l’être, qu’il touche l’autre, aussi loin soit-il.


Alors Vive le gros nez rouge !