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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

mardi 16 février 2016

Gravitation

A l'origine ce texte a été écrit à un ami. Mis en ligne sur SB en mai 2017.

Le 16 février 2016:

La théorie de la relativité générale est une théorie de la gravitation qui pose le principe d’équivalence entre gravitation et accélération et qui dit que la gravitation n’est pas une force mais une déformation de l’espace-temps.
Théorie de la relativité restreinte est une théorie de l’espace- temps. L’E-T devient un objet physique doté de propriétés propres. Le temps et l’espace sont indissociables, voire une seule et même chose.
Question : Comment chaque atome de notre corps peut-il être attiré par les atomes de la terre, si la gravitation n’est pas une force ? i-e, si l’attraction n’existe pas ? Autrement dit, qu’est-ce que l’attraction si ce n’est pas une force ?
Gravitation : les objets massifs contenus dans l’ET courbent l’ET qui, courbé, influe sur le mouvement des objets massifs. C’est une déformation géométrique résultant d’une interaction (par exemple, le rapprochement de deux trous noirs), et produisant une interaction (le rapprochement de deux trous noirs !).
La gravitation est une interaction. La gravitation est une déformation géométrique de l’ET.
Peut-on dire qu’une interaction est fondamentalement une déformation géométrique ? Et poser un principe d’équivalence entre interaction et déformation géométrique ?
ENSUITE :
La détection d’ondes gravitationnelles sur terre n’amène-t-elle pas à penser qu’une interaction entre objets massifs entraîne une déformation non seulement de l’ET mais aussi… de la matière elle-même ? Les longueurs sont déformées…
INTERACTION AU LIEU DE FORCE :
Mettons que tout soit une question d’interactions : tout ce qui s’apparente à un effet causé par l’exercice d’une force n’est qu’un mouvement géométrique. Le terme de force induit en erreur. Il n’y a pas de forces, mais que des déformations géométriques…
Tout mouvement géométrique obéit à une symétrie aussi complexe ou invisible soit-elle.
En physique quantique, on a FRUCTUEUSEMENT associé un groupe de symétrie tant aux comportements particulaires qu’aux différents types d’interaction (électromagnétiques, nucléaires « fortes » et « faibles », et électrofaible). Grace aux GROUPES DE SYMETRIE.
Pour la gravitation, c’est encore une GEOMETRIE qui est au fond des choses.
La géométrie est la clé de l’unification théorique des 4 interactions, notamment à cause de la notion de symétrie qu’elle implique, mais aussi parce que la nature même d’une interaction, fondamentalement, EST GEOMETRIQUE.
Question : Qu’est-ce que la géométrie ? (Je n’en ai plus aucune idée…)
Il me semble qu’on n’a pas encore associé de groupe de symétrie à la gravitation… qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire : qu’un tel groupe n’existe pas ? Pas encore ? qu’il faut chercher ailleurs ? Qu’il faut plus de géométrie, c’est-à-dire de mathématiques.
La notion d’accélération est très importante. Peut-être plus importante que celle de gravitation. Elle implique une notion de temps (vitesse grandissante, ou temps contracté ou dilaté) et d’espace (déplacement) qui sont intriquées : un rétrécissement des distances dans le temps... On peut dissocier la notion d’accélération de celle de vitesse, et la comprendre comme une déformation géométrique de l’espace-temps, des longueurs et des distances, exactement comme ce que l’on dit de la gravitation. Cela pour dire qu’il faut peut-être davantage penser les choses en termes d’accélération que de gravitation ? Parce que l’accélération implique, d’un point de vue sémantique, une intrication de l’ET, plus que ne le fait la gravitation. Elle invite à penser davantage le temps en terme d’espace et l’espace en terme de temps.
Question : La matière et l’espace-temps obéiraient-ils, d’un certain point de vue encore assez trouble, aux mêmes règles géométriques ? La détection des ondes gravitationnelles n’ouvre-t-elle pas la réflexion dans cette voie ? (C’est peut-être le cas depuis bien longtemps, j’en sais rien)
Peut-être que l’espace-temps n’est qu’une propriété secondaire de la matière ? Une émanation, une manifestation… Et ce, d’un point de vue quantique mais aussi d’un point de vue cosmologique… Penser le lien entre matière et espace-temps… entre masse et espace-temps…
Question : si on dit que la masse résulte d’une interaction, cela veut-il dire que la masse survit à la fin de l’interaction ? Ou bien que la masse n’existe que tant que l’interaction continue ? J’opte pour la seconde option, ce qui me fait dire que la masse est une interaction, mais c’est peut-être un raccourci un peu hâtif…
Cela dit, si je pense comme suit : La masse est une interaction ; l’ET est une interaction ; la matière est une interaction ; une interaction est une déformation géométrique… La géométrie est donc la « clé », est-ce que je pense droit ou vais-je dans le décor… ?
Je m’interroge parce que le sujet est fascinant, bien évidemment, et qu’il invite à penser tout un tas de choses fondamentales, mais aussi parce que mon travail sur Mathae est un travail de fiction basé principalement sur la géométrie, celle de Riemann et de Grothendieck, qui me fascine. Pas seulement sur celle de Pythagore, Thalès ou Euclide. Tu vois, dans un premier temps la géométrie euclidienne disparait, dans mon histoire, notamment après que le Courbe fasse son apparition, mais elle réapparaît de manière inattendue, de façon transversale aux deux autres modes (arithmétique et analytique qui se prennent la tête sur le Continu et le Discontinu). La géométrie s’est transformée. J’utilise la fameuse hypothèse de Riemann pour emmener mes personnages ( p – le concept des nombres premiers-, i – le nombre imaginaire, entre autres) à la rencontre d’un nouveau paysage, complexe, à la découverte de la « droite des zéros » et son lien avec la répartition des nombres premiers, à la rencontre d’une nouvelle forme d’espace et d’interaction. C’est là, pour moi, tout le but de Mathae. Je souhaite donc questionner ces choses-là en utilisant les meilleurs termes qui soient, dans la mesure du possible, de mon possible, etc. Je crois que le fait de bien savoir peu de choses peut compenser le fait d’en savoir peu…
Je te remercie de ton attention.

jeudi 11 février 2016

Petite histoire de condition

Voilà cinq ans que je travaille sur Usophia, un projet de fiction romanesque inspiré de réflexions sur la condition humaine, principalement. J’avance bonnant-malant sans qu’il y ait généralement grand-chose à commenter dans un billet de blog, sauf là. Le dernier tour que m’a joué ma cervelle m’a suffisamment interpellée pour me donner envie d’en parler. Il n’y a pas grand intérêt dans cette histoire, juste un peu d’amusement suivi de quelques idées auxquelles on prêtera un peu d'attention ou pas.

Cela faisait trois semaines que j’avais mis le point final au chapitre 9 de mon roman et que la réflexion s’embourbait dans l’infertilité. La succession de périodes fastes en rédaction et de périodes sèches est normale et ne m’inquiétait pas plus que cela. J’attendais donc patiemment que les idées reviennent tout en ressassant les éléments de l’histoire qui ne résonnaient pas entre eux.

Une réflexion philosophique récente  avait engendré une nouvelle idée très puissante et séduisante : l’existence de règles du vivant, de règles de nature mathématique ( voir les articles "retour de bâton", Croyance, sous le libellé "Chamanisme"). Je planchais sur ça en y voyant une féconde source d’inspiration. Je rappelle ici que de manière générale, je m’inscris dans un courant de réflexion très naturaliste, c’est-à-dire que je défends l’idée de replacer l’homme dans la nature, et non au-dessus ou en dehors. Cela implique que je réfléchis à ce qu’est la condition de l’homme dans la nature, en m’éloignant de la conception de l'homme en tant qu’être de raison.

Les mathématiques, de ce point de vue, constituent un important pivot dans ma réflexion. Elles sont capitales si on pose la question suivante : les mathématiques sont-elles naturelles, partie intégrante de la nature, ou bien sont-elles un pur produit de la rationalité humaine ?

Une telle question amène à étudier ce qu’est la rationalité par rapport à la nature : y a-t-il conflit, l’un est-il une émanation de l’autre, la rationalité existe-t-elle en dehors de l'homme, etc. Ce sont là des réflexions qui ont fait l'objet d'articles anciens sur ce blog.(Echelles de perception, Et la raison dans tout ça, Le temps, La peur atavique, etc, articles classés sous les libellé "Philo" et "Raison")

Bien. Donc je travaillais sur la question de l’existence de règles qui seraient intrinsèquement mathématiques et qui organiseraient tout le règne du vivant. Je n’avais que cette question en gros plan dans mon esprit et ce depuis plusieurs jours.
Je me couchais le soir en ruminant le problème  pendant une ou deux heures avant de m’endormir.
Puis, un matin, je me suis réveillée. Je quitte mon lit un peu vaseuse et vais me faire un café. J’ai rapidement  senti quelque chose de très étrange. De pas normal. Ma perception avait changé, mon appartement me semblait plus froid, le bruit de la rue plus agréable…  Je ne me sentais pas tout à fait moi-même. Mes idées se sont éclaircies après avoir vidé une cafetière, pour me révéler une phrase étrange qui attendait d'être "lue" dans ma tête, comme un mot laissé par la nuit sur la table basse du salon. Cette phrase était claire et résonnait avec une immense certitude. La voici :
« Pourquoi l’homme est-il un être supérieur dans toute la Création ? », avec un C majuscule. La question était franche, sans appel.

 J’ai été terrifiée, vraiment, parce que je voyais là une question que mon esprit formulait en des termes qui n’étaient pas les miens. Pire, les termes étaient totalement opposés à tout ce que je pense. Elle supposait que je considère l'homme comme un être supérieur, ce qui n'a jamais été le cas. Pourtant, je sentais cette question comme étant mienne, fondamentalement. En gros, je sentais que je me la posais avec honnêteté et sincérité.  Et ce n’est pas tout. En sortant un peu plus tard dans la rue, je constatais que je ne sentais plus rien. Je regardais la montagne au loin qui toujours m’envoie des images de force, de constance, de vitalité, et là, rien. Un gros caillou inanimé, sans intérêt, bâtard. Pareil pour les arbres. Ils ne dégageaient plus rien. Ils étaient dépourvus de vie. Il n’y avait que l’action de l’homme qui me semblait faire sens dans le monde et la sensation qu'« il avait raison », l’homme, de faire ce qu’il fait. C’était dans la logique des choses.Que se passait-il donc? Où étaient passées mes convictions? Depuis quand pensais-je que l'homme était supérieur? Depuis quand employais-je le terme de création, moi qui suis anti-créationniste? 
J'étais complètement déstabilisée. Pourquoi la vue de la nature ne provoquait-elle plus rien en moi ? Que se passait-il ?

Cette sensation a duré plusieurs jours, une semaine je crois bien, et elle équivalait à tuer 30 ans de réflexion et de perception. Ni plus ni moins. Je me suis dit, en effet, que j’avais eu tort toutes ces années de défendre un point de vue naturaliste qui n’était qu’une illusion et que maintenant je voyais vrai. Il m'apparaissait que j’avais projeté, pour je ne sais quelle raison, un désir de force vitale dans le végétal qui n’existait pas, etc. Aussi, je pensais jeter Usophia à la poubelle puisque je ne pouvais plus croire en les idées qui avaient inspiré le projet. Je ne sentais plus rien et toujours dans ma tête résonnait la même question : « pourquoi l’homme est-il l’être supérieur de toute la Création ? », pourquoi …supérieur… création… supérieur… création, en boucle.
J’étais assez désespérée et avais enclenché une grève de pensée. Moi qui suis devenue végétarienne pour des raisons éthiques, je ne comprenais plus ces raisons. Tout ce que j'avais pensé jusque là n'existait plus. Au contraire, il me semblait que j’adhérais désormais à tout ce que j’avais consciencieusement déconstruit et rejeté toute ma vie. Ma réalité s’effritait et c’était, je vous prie de me croire, plutôt désagréable.

Jusqu’à un soir où je me suis couchée en décidant, pour m’occuper l’esprit (ou le détourner d’un tourment amoureux), de regarder la question bien en face et d’en découdre une fois pour toute.
Qu’est-ce que cette question venait faire là. Elle était proche mais pas identique à une autre question qui elle m’avait beaucoup taraudée il y avait des années: « d’où vient que l’on croit que l’homme est au-dessus de la nature ?». Ca, c’est une question qui se pose dans des termes que je préfère. Mais ce n’est pas la question que mon esprit s’évertuait à faire raisonner. Non. La question m’amenait à partager l’idée de la supériorité de l’homme. En plus, mes perceptions avaient changé, je ne sentais plus de vie dans la nature. A quoi rimait, à la fin, tout ce bordel ?

Allongée dans mon lit, lumières éteintes, je décidai de pousser la porte et d’embrasser la question.
Je la répétais lentement dans ma tête en restant attentive aux résonnances, c'est-à-dire à un filament furtif de pensée, une sensation, qui en une demi-seconde aurait pu jaillir. 
Il y en a eu deux que je vous livre tels quels : « Ma pensée me masque mes propres réflexions » et le mot « évolution » qui sonnait comme un écho lointain parfaitement symétrique au terme « Création ».

La question « pourquoi l’homme est-il l’être supérieur, etc », est une formulation – en des termes qui ne sont consciemment pas les miens- de ma réflexion sur la place de l’homme dans le monde (L’homme est-il au dessus des autres espèces, au dessous, au milieu, etc). Cette réflexion étant très ancienne dans mon travail, j’avais forcément déjà dégagé, par le passé, des idées qui jusque là m’avaient paru convaincantes pour conforter ma position naturaliste. Pourquoi n’y avais-je plus accès ? Parce que la question, posée en ces termes déstabilisants, créait l'illusion d'une pensée de l'homme supérieur et cette pensée me masquait le chemin vers mes anciennes idées. Je décidai de lever le masque. Il fallait aller contre l'illusion, armée de la confiance en la pertinence de mes anciennes idées envolées. Et c’est le mot « évolution » qui résonnait au loin, comme je viens de vous le dire, qui a constitué la clé.

Je ne suis pas créationiste, comme je l'ai dit, mais évolutionniste au sens Darwinien. Vous devez vous doutez qu’il n’est pas facile de se réveiller un beau jour en croyant en la création - et tout ce qu'elle implique de présupposés farfelus - quand on sait depuis toujours qu’on n’y croit pas. C’est étrange comme sensation, on pourrait même la qualifier de schizophrène mais je ne la définirais pas en ces termes. Pour moi, ce genre de dédoublement de l’esprit est plus le fait d’une élasticité de la pensée, une plasticité. Cela lui permet de dialoguer avec elle –même. Je dis cela maintenant que tout est revenu dans l’ordre et que je suis à nouveau d’accord avec moi-même, mais c’est vrai que j’ai été très déstabilisée par l’expérience.
Mais reprenons.

Je lève le masque pour retrouver mes propres idées en tenant par la main le mot « évolution » qui me guide sur le chemin.
Je retrouve cette ancienne idée : toute espèce d’êtres vivants dispose de capacités qui lui permettent d’assurer sa Vivance, (un petit néologisme au passage) , sa vivance à elle, à l’espèce, la sienne, et c’est tout. Il est hasardeux de chercher à évaluer ces capacités les unes par rapport aux autres de façon inter-spéciès, de chercher à les comparer entres elles. Il existe une sorte d’équité « transspéciès », transversale à toutes les espèces,  dans la répartition des dispositions propres à chaque espèce, dotant chaque espèce des capacités lui permettant d’assurer sa vivance. Ainsi, la conscience de l’homme (à laquelle on s’accroche pour en faire le critère de la supériorité de l’espèce humaine), n’est qu’une forme de conscience. On ne peut évaluer le degré de conscience des autres espèces à l’aûne de notre propre forme de conscience, sous peine de tomber nécessairement dans une faille anthropique. Il est donc vain de vouloir se comparer, et il est illégitime de se croire supérieur aux autres êtres vivants.

Ca, c’est une chose. C’est une idée solide en laquelle je crois fermement. Je retourne vers ma question dérangeante : que veut-elle me montrer ? Que veut-elle dire ? Parce que c’est cela, en fait. Il y a quelque chose derrière. Je comprends que c'est un travail inconscient qui s'est fait dans ma tête et qui a amené cette drôle de formulation à la surface, non pas pour clore la réflexion, mais pour la relancer. 

Je laisse venir les résonnances : je sais que je crois foncièrement qu’il y a des règles du vivant  et qu’elles sont de nature mathématique (en laissant ouvert ce qu’on entend par mathématique).
C’est d’ailleurs sur ce sujet que je réfléchissais les jours précédant l’épisode que je vous raconte.
Plus précisément, je me rappelle une question qui avait surgit au sein même de cette réflexion sur les règles du vivant et que j'avais laissée en plan :
Pourquoi l’homme est-il le seul à pouvoir percevoir / comprendre les lois mathématiques qui gouvernent le monde ? Pourquoi est-il le seul à comprendre le langage mathématique ? Et surtout : pourquoi l’homme est-il doué du libre-arbitre qui lui permet de respecter ou pas les règles du vivant ? Les autres espèces semblent toutes êtres soumises aux règles, mais pas l’homme. Et s’il n’est pas au-dessus des lois, il semble au moins être leur égal car il les comprend, les formule dans un langage, il peut même en inventer, des règles.

C’est cela qui pose problème. Je m’étais couchée sur ces questions et je m'étais réveillée le lendemain sur l’autre question, dérangeante par ses termes arrogants et créationnistes, déstabilisante par l’intégration sensorielle qui l’accompagnait et me privait de sentir le vivant dans la nature. La réflexion que j'avais laissée en plan menait tout droit, si on la laissait faire, à l'idée que l'homme, parce que seul à pouvoir connaître les règles et libre de ne pas les respecter, était un être supérieur.Je l'avais laissée en plan et, comme par inertie, elle s'était poursuivit dans mon inconscient, sans le garde -fou qu'exerce la pensée consciente, avait quitté le droit chemin et versé dans le décor.

Je devais maintenant, dans mon lit, les trois heures du matin approchant, résoudre ce problème : la contradiction entre mon idée fondamentale d’égalité entre les espèces et l’autre idée nouvelle d’homme supérieur car capable de comprendre les règles et libre de ne pas s’y soumettre.

Tout était là, il fallait réagencer les pièces pour faire sauter la contradiction, reformuler la deuxième idée dans les termes de la première, ce qui donnait :

La capacité à percevoir le langage mathématique des règles du vivant fait partie des capacités qui sont nécessaires à notre espèce pour lui assurer sa vivance, chaque espèce percevant dans ce but les choses qu’elle a besoin de percevoir. Nous percevons les règles du jeu, si je puis dire, afin d’aiguiser notre astuce et notre ingéniosité, et ce afin d’assurer notre vivance,encore une fois. Car en effet, nous savons que nous n’avons pas une grande force physique, nous ne sommes par rapides comme les félins, nous ne sommes pas poilus pour nous protéger du froid, nous n’hibernons pas, ne volons pas, n’avons pas de racines comme les végétaux, etc. Mais nous avons une forme d’astuce. Nous avons la capacité de développer une technologie à partir de notre connaissance de l’environnement.
Nous avons la capacité de percevoir cet environnement et les règles qui l’organisent et nous pouvons fabriquer des choses qui nous sont utiles à travers une technologie.
Cela implique une autre idée qui est celle que notre désir de connaître et notre plaisir à étudier sont deux choses inhérentes à notre condition humaine. C’est tout. Ce sont simplement des capacités à notre disposition et elles ne font pas de nous des êtres supérieurs.
Ce sont ces capacités, notre désir de connaître, notre besoin de comprendre, qui nous ont amenés à découvrir les mathématiques très tôt dans l’histoire de l’humanité.

A ce stade de la réflexion, toujours dans mon lit, je considère que la contradiction est levée. Mais il reste un problème. Le mot technologie est venu se glisser dans le débat. Pourquoi ? Pourquoi la technologie apparaît-elle fondamentalement liée à notre condition humaine? J’interroge le mot technologie et voilà ce qu’il me dit :
La technologie que nous avons développée dans notre société ne respecte pas les fondements de notre condition. Elle pollue, favorise la paresse sous toutes ses formes et menace, finalement, notre vivance, notre santé, donc notre survie, si vous préférez. Notre technologie, pour schématiser grossièrement, consiste maintenant à appuyer sur un bouton tout en restant vautrés dans un fauteuil. Mais ceci  n’est pas une raison pour rejeter toute idée de technologie dans son ensemble. Il existe une autre technologie basée sur l’astuce, visant à aménager le confort de l’espèce sans confiner à la paresse. Une technologie qui respecte nos besoins vitaux.

Très bien. Nos besoins vitaux... Quels sont-ils, d'après moi ? J'en ai bien une petite idée quelque part. J'en profite pour les examiner.
Ces besoins vitaux sont, à mes yeux, au nombre de cinq. Ils sont discutables, bien évidemment, mais constituent à mon avis une base de réflexion. Les voici, sans ordre hiérarchique:
- Créer : imprégner une idée, une sensation éprouvée, dans la matière au sens très large. Que ce soit par la peinture, un récit oral, un chant, une invention. Créer sous toutes ses formes, c’est sculpter le réel.
-Etudier : assouvir notre besoin de comprendre et de connaître qui ne relève pas d’une lubie ou d’une simple envie, mais qui relève bel et bien d’un besoin vital, profondément enfoui et inhérent à notre espèce.
-Manier : fabriquer, toucher, déplacer, construire. Utiliser nos mains comme médiateur entre notre intériorité et le réel qui nous entoure. C’est proche de créer, mais ce n’est pas la même chose.
-Croire : raconter des récits, aimer ses perceptions, aimer sa condition, aimer son ignorance. Pour moi, croire c’est aimer. C’est avoir confiance et éprouver donc une forme de foi. Là aussi, c’est assez proche de créer mais ce n’est pas la même chose.
-Bouger : être un corps qui met en mouvement sa mécanique, qui se confronte et se dépense dans l’effort.
Je ne parle pas ici de boire, manger ou se reproduire qui sont des besoins vitaux communs à toutes espèces vivantes. De même, je ne dis pas que ces cinq dispositions naturelles sont toutes également ressenties au sein de chaque individu. Je dis qu’elles sont naturelles et propres à l’espèce dans son ensemble.

Alors, si on prend tout cela en considération : boire, manger, se reproduire, créer, étudier, manier, croire et bouger sans nuire du tout à l’environnement auquel nous ne sommes pas supérieurs, quelle technologie pouvons-nous penser ?
Pouvons- nous penser une technologie qui requerrait uniquement l’énergie qu’un corps humain est capable de produire ? Avons-nous suffisamment d’astuce, de créativité, de connaissances, de confiance et d’amour pour notre espèce et pour l’effort physique pour développer une technologie harmonieuse avec les règles du vivant ? Respectueuse de notre condition ?
Je crois, en fait, que toute autre forme d'énergie (électrique, nucléaire, pétrolière,...) telles que nous les avons développées nuisent à l'environnement et donc à notre santé.

Question corollaire et encore plus subtile : pouvons-nous (voulons-nous) développer un modèle de société avec une économie et un système politique basé sur l’idée d’une telle technologie ?

Ce sont ces questions qui sous-tendent le travail d’Usophia, roman en construction.

A cinq heures du matin, j’ai fini par m’endormir, légèrement rassurée par le fait qu’il me restait du pain sur la planche, satisfaite d’avoir dépassé la question dérangeante et un peu amusée de voir par quel subterfuge il avait fallu passer pour reprendre le fil de la réflexion.