La première histoire de l’économie en BD (lecture engagée, lecture responsable).
Michael Goodwin (textes) et Dan E. Burr (illustrations).
On m’a parlé d’«Economix » en termes
élogieux, si bien que je l’ai lu et que c’est à mon tour de défendre ce
fantastique ouvrage.
Economix est un ouvrage de vulgarisation, donc d’explication,
de simplification qui s’adresse au plus grand nombre. Comme le titre le laisse
supposer, il traite d’économie.
C’est bien simple : si l’on veut comprendre quelque
chose au monde dans lequel on vit – pourquoi ça va mal, par exemple- ce livre
est indispensable. Je dirai qu’il rassemble en moins de trois cents pages tout
l’enseignement de Sciences économiques et sociales des classes de seconde,
première et terminale, ainsi que la première année d’enseignement de l’économie
de Science Po (enseignement assez généraliste mais qui commence à côtoyer la
théorie pure et à la questionner).
Autant d’information dans un gros livre paraît
impressionnant, présenté comme je viens de le faire succinctement, mais que
nenni : dans ce bouquin, que l’essentiel !
Et pas seulement l’essentiel mais aussi de l’humour, de la
clarté, du plaisir, le plaisir de comprendre.
Une fois que l’on a compris certaines choses, on ne peut
plus agir comme lorsqu’on les ignorait. Une fois lu ce livre, on ne peut plus
consommer gentiment les choses les plus triviales qui nous entourent. On ne
peut plus penser de manière cynique que les choses vont mal suite au jeu de la
fatalité et que rien ne peut plus dévier la course perdue de l’humanité. Une
fois lu ce livre, on a au contraire l’envie de prendre ses responsabilités, se
retrousser les manches et voir ce que chacun peut faire à sa mesure.
Economix est un ouvrage de vulgarisation époustouflant. Le
travail des auteurs est remarquable, leur intention d’apporter l’information,
la connaissance, au plus grand nombre de leurs concitoyens est honorable. C’est
pour cela que ces concitoyens sont cordialement invités à faire l’effort de
lire ce genre d’ouvrages. Il met à la portée de tous une connaissance
indispensable à toute personne qui souhaite être responsable et citoyenne.
Ceci étant dit, entrons un peu plus avant dans ce bouquin merveilleux.
Le livre commence sans ménagement en plongeant aux origines
occidentales de l’organisation économique capitaliste. Système féodal,
colbertisme, mercantilisme, physiocratie avec François Quesnay, on retient en
effet l’essentiel de cette histoire de l’économie sans pour autant la
questionner. Ce n’est pas le propos de l’auteur que de questionner les
origines, cependant ce pourrait être – et ça l’est- très intéressant de le
faire. Pour cela, quelques pages wiki sur les termes énoncés juste au-dessus, auxquelles
on ajoute si l’on s’est pris au jeu, la lecture de Louis Dumont « Homo
aequalis » et de Karl Polanyi « La grande transformation »
(ouvrages très accessibles aussi).
Puis on arrive à Adam
Smith qui est à l’origine du courant économique libéral, parlant de marché
libre, de main invisible, de laissez-faire, de division du travail.
Personnellement, l’auteur m’a réconciliée avec Adam Smith car voyez-vous, j’avais
tendance à le mettre dans le lot des penseurs qui nous ont mal inspirés, malgré
eux biensûr, mais bon… Smith a été interprété, surinterprété et mal interprété
par de nombreux tenants de la science économique classique, mais on ne peut lui
tenir rigueur de ce qui a été fait de ses propos. L’auteur de notre fantastique
BD Economix réhabilite Smith en citant de son ouvrage « Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des Nations » (1776), des passages que
l’histoire n’a pas retenus, pourtant incroyablement judicieux et actuels. C’est
pourquoi il peut être intéressant de redécouvrir Smith sous un autre œil.
On continue ensuite la visite en passant par la révolution
américaine, ses enjeux internationaux, le début de la connivence entre
politique et économie autour de la notion de pouvoir que donne l’accumulation d’argent.
Puis on arrive aux premiers penseurs qui ont érigé l’économie en dérivée de
science mathématique, avec à leur tête David Ricardo (1816). Tout cela est très
bien présenté dans le livre alors je n’en dis pas plus.
On avance, révolutions industrielles, Marx et Engels,
socialisme, début de la finance, premières crises systémiques. Les corporations
grossissent, acquièrent du pouvoir jusqu’à soumettre les décisions politiques à
leurs intérêts (on voit comment tout ce système oligarchique a commencé), avec
plein d’exemples savoureux, énormément de bon sens et de recul, toujours
subtilement illustrés avec humour.
Tout cela exposé dans les trois premiers chapitres sur les huit que
compte le livre. A partir du chapitre quatre et jusqu’à la fin, le livre demande
un peu plus de concentration. Le lecteur la fournira sans rechigner. On passera
un peu plus de temps sur chaque vignette de la BD et le plaisir de comprendre
sera encore plus intense. En effet, on continue à suivre l’évolution historique
de l’économie mondiale –ou plutôt de l’expansion du modèle capitaliste libéral
tous azimuts- mais les détails sont plus fournis, on creuse la logique plus
profondément, on décortique de nombreux exemples, on prend le temps de
comprendre et d’assimiler les arguments.
On visite ainsi la crise de 1929, le rôle des banques dans
le système, les imbrications d’intérêts des uns et des autres, on rencontre –
et quelle belle rencontre !- John Maynard Keynes (« Théorie générale
de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », 1936 – ouvrage très
important !)
Quand j’ai découvert Keynes il a des années maintenant, je l’ai
adoré. Si l’on met en perspective sa formidable analyse de la « monnaie »
avec l’anthropologie du don (Mauss, Lévi Strauss,…), on arrive à quelque chose
de très intéressant dont il n’est pas encore question ici mais qui touche à la question de la place de l'argent dans notre société : "intermédiaire" de l'"échange", nature "marchande" des biens et donc "marchandisation galopante", etc...
Economix présente en quelques vignettes toutes les bases du
débat qui a opposé tant de fois et les oppose encore, les néoclassiques néolibéraux
aux keynésiens (microéconomie/ macroéconomie).
On comprend d’où viennent les politiques dites d’austérité
(réduction des dépenses publiques, etc), on révise les politiques monétaires de
relance par la consommation (politique de type keynésienne), de stop and go, d’économie
mixte. On suit l’évolution du Wellfare State (Etat provodence), du
syndicalisme, de la guerre froide, de la bureaucratie-technocratie, de la
consommation et production de masse, de l’appauvrissement d’une majorité au
profit d’une minorité. On sera ravi de croiser Teddy Roosevelt, Lénine,
Gorbatchev, qui se sont remonté les manches pour agir concrêtement et plus
honnêtement que beaucoup d’autres. On déplore de voir qu’au final, les quelques
très riches ont mis au pas tout un système (politique, média, publicité dans le
seul but de faire du profit, ce qu’on peut qualifier de perversion de l’idée
originelle du capitalisme, d’ailleurs ce n’est même plus du capitalisme…)
Crises pétrolières, reaganomie ( politique économique de
Reagan), guerres d’irak, 11 septembre, subprimes, effondrement des banques, etc…
l’essentiel de ce qui constitue notre monde économique est passé au crible de l’explication
claire de nos auteurs.
Biensûr, ces deux auteurs Michael Goodwin et Dan E. Burr (le dessinateur Dan est tout aussi
important que l’auteur des textes : ses dessins en disent beaucoup plus
que les mots parfois), défendent un parti pris. Ils présentent l’histoire de l’économie
en se permettant d’émettre une critique qui pourrait se résumer à ceci :
on est dans un beau bordel auquel personne ne comprend grand-chose. Difficile
de contredire la légitimité de ce parti pris. Il y a 10 ans, beaucoup de monde
se serait opposé au discours de ces auteurs (d’ailleurs, des millions de gens
pensent comme eux), mais aujourd’hui, il est devenu impossible de trouver un
argument en faveur d’un statu-quo du système, ou en faveur de son expansion.
Par contre, les auteurs ont parfaitement raison sur un point :
personne n’y comprend vraiment grand-chose à tout ce bordel politico-économique,
ce qui ne veut pas dire que personne ne peut rien y comprendre. Au contraire,
si l’on prend le temps de s’y intéresser, beaucoup de choses deviennent
compréhensibles. On peut commencer par la lecture d’Economix, qui, je le
répète, est un véritable régal, un ouvrage indispensable.
très bonne synthèse de ce livre que j'ai moi aussi adoré ! Il rejoint bien entendu mes sensibilités socio-économiques, mais ne me laisse pas pour autant une impression de subjectivité ou de parti pris. Le constat est rendu évident par un exposé historique rigoureux, et offre pas mal de balles pour achever le cheval enragé du "libéralisme" économique. Personnellement, Economix m'a fourni une précieuse grille de lecture de l'actualité, et c'est la principale qualité que j'en retiens : il permet de réaliser à quel point TOUT est lié à l'économie, tous les aspects de nos vies sont gouvernés par des logiques bien éloignées de "l'intérêt public".
RépondreSupprimerJe suis d’accord avec toi, pour moi aussi le bouquin est « objectif » et vraiment parfait pour avoir un aperçu suffisant de la situation, une grille de lecture.
RépondreSupprimerCependant, quand je parle de parti pris de la part des auteurs, on peut le comprendre comme ceci : ils ont pris le parti de présenter la théorie économique au plus grand nombre, avec toutes ses incohérences et ses faiblesses (principalement les bases ricardiennes à tendance pseudo-mathématique). Or, une grande majorité des gens du monde occidental considère que dans ce monde-ci, occidentalo libéralo capitaliste !, tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles (comme aurait pu dire Leibniz). Donc que les problèmes liés au libéralisme enragé sont des épiphénomènes, des nuisances regrettables mais là, des « externalités négatives » auxquelles il faut pallier mais sans remettre en cause le système qui les produit. Ainsi, on a créé un marché des droits à polluer pour tenter de cadrer le problème environnemental. Certains chefs d’entreprise (Nestlé ?) sont convaincus que la privatisation des biens de base comme l’eau est la solution à la pénurie dans certains endroits du monde, etc… Certains estiment qu’il faut déréglementer, d’autres estiment qu’il faut moins de laissez-faire et plus de régulation, ça discute, ça ne se met pas d’accord, mais personne parmi les gens qui ont un pouvoir « traditionnel » de décision (politique, financier…) n’est près à lâcher le système. Ils y tiennent trop, fruit de l’esprit des lumières, de la puissance de la pensée de l’homme, avec de jolies enluminures. Conserver ce système revient à se donner de la grandeur, par un effet miroir, et le lâcher leur demanderait un effort qu’ils ne sont pas prêts à faire, dans le genre se mettre la pensée à nue, couper le cordon ombilical de la tradition…
Donc, le parti pris de nos chers auteurs, c’est de dire tout haut ce que certains savent mais ne veulent pas dire trop fort : les bases du système économique ne sont pas viables du tout et ne l’ont jamais été. Il faut tout repenser, « penser autrement ». Comme les tenants du pouvoir « traditionnel » ne feront rien, c’est aux tenants d’un pouvoir bien plus puissant d’agir, des tenants qui s’ignorent encore- les citoyens, et ça commence par la connaissance !