A la Une

Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

mercredi 4 décembre 2013

Suspension solidaire: le café suspendu

Parmi les nombreuses initiatives solidaires qui éclosent ici et là, que l’on qualifie d’initiatives citoyennes dans la lignée d’un « consommer autrement », un consommer local ou un consommer moins mais mieux par exemple, une nouvelle pratique se met en place, timidement, qui mérite qu’on y accorde un peu d’attention.

Cette nouvelle pratique consiste, pour un individu quelconque, à se rendre dans une brasserie, un café ou un bar, à y commander son café et à en payer un second que l’on mettra « en attente ». Non pas pour le boire soi-même plus tard mais pour qu’il soit bu, ce café « en attente », par un autre individu que l’on ne connaît pas. Cet autre individu entrera dans le bar, demandera au tenancier s’il y a un café « en attente » et dans l’affirmative, ce café lui sera servi.

A l’entrée de son établissement, sur la porte ou bien sur la vitrine, un logo permet d’informer le passant qu’ici, on sert des cafés « en attente ». Comme cela, tant le « donneur » que le « receveur » savent que la pratique du café dit aussi « suspendu » est bienvenue dans cet établissement.

L’idée qui est derrière cette nouvelle pratique est simple : une personne qui a les moyens de prendre un petit café et qui peut en payer un second, offre ce second café à une personne dont les moyens sont moindres. Ainsi, plutôt que de donner deux euros à une personne sans le sou assise au bord d’un trottoir, on fait un geste beaucoup plus concret.

L’idée est certes intéressante, mais pour que cette pratique se répande, quelques points sont à éclaircir.
Tout d’abord, en observant comment les choses se passent auprès des établissements qui ont mis en place le « café suspendu », on commence à distinguer la forme que prend cette nouvelle solidarité.

Par exemple, on observe qu’il y a, dans tous les cas, plus de donneurs que de gens qui viennent réclamer un café en attente. Et cela est riche de sens.

Pourquoi les gens sont-ils prêts à donner ? Pourquoi s’engouent-ils pour ce genre de pratiques ?

Une partie de la réponse tient à ce que j’appelle, la « propension naturelle des gens à compatir ». Au fond, on est tous plus ou moins sensibles et conscients que certains individus ont « moins de chance » que d’autres. Aussi, le modèle de société que nous avons développé autour de nous est responsable d’une grande partie de la pauvreté, on peut affirmer qu’il en engendre ou génère une grande partie. En contrepartie, alors, à l’initiative des citoyens, d’associations ou groupes divers, des « canaux de charité » sont instaurés pour permettre à ceux qui ont de donner un peu à ce qui n’ont pas. Des canaux de charité, ou bien encore des « prêts à agir ». Les collectes alimentaires, vestimentaires, les centres d’hebergement sociaux, etc… Ces canaux sont nombreux et malheureusement, ils n’éradiquent pas la pauvreté, à peine la jugulent-ils. 

Bon, c’est ainsi.

On se rend compte, avec un peu de bonne volonté que ce n’est pas ainsi que l’on résoudra les problèmes de pauvreté autour de nous, et encore moins les problèmes de pauvreté au bout du monde. En effet, la pauvreté n’est pas un problème de quantité – quand bien même on donnerait tout ce dont on n’a pas besoin et davantage aux organismes caritatifs, on ne résoudrait pas le fond du problème. 
La pauvreté résulte d’un problème de « paradigme », comme le dit Pierre Rahbi. Pour synthétiser son propos auquel nous adhérons, la pauvreté – et bien d’autres maux !- est inhérente au système, donc c’est le système qu’il faut repenser.

La pratique du café suspendu, aussi innocente, petite et insignifiante qu’elle puisse paraître aux yeux de beaucoup, s’inscrit dans une logique qui s’éloigne des logiques du système.
Elle est inscrite dans le système car à la base, il s’agit de « payer » quelque chose dans un petit commerce, donc de consommer de manière « traditionnelle », cependant, autour de cette consommation traditionnelle, il y a autre chose de très important. Si l’on fait attention à quelques points, la pratique peut se généraliser et entrainer dans son sillage beaucoup plus de changement qu’on ne l’imagine.

La chose la plus importante à mes yeux est de ne pas stigmatiser le « receveur » en tant que pauvre en marge du système, assisté. Surtout pas. Cette pratique de café suspendu ne peut marcher que si n’importe quelle personne demandant un café suspendu quand il y en a, a son café. Cela suppose un exercice très compliqué de la confiance. Cela requiert aussi de la part de chacun, d’être responsable. Tant pour le receveur que le donneur ou le cafetier intermédiaire. Ce qui est certain pour l’instant, c’est que les donneurs sont nombreux.

Dans un réflexe de pensée inscrite dans la logique du système, la première chose qui peut venir à l’esprit est qu’il va y avoir des abus car les gens sont supposés être égoistes et se jeter sur toute forme de gratuité. On peut aussi penser que cette pratique de café suspendu ne résout rien car ce n’est pas un café qui va changer la situation d’une personne aux moyens moindres. Ou bien encore que ce n’est qu’un moyen supplémentaire de se donner bonne conscience.

On peut aussi penser « autrement », c’est d’ailleurs à la mode, ce penser « autrement ». Pour commencer, il s’agit de penser en terme de confiance, de responsabilité et d’altruité. Il s’agit aussi de penser « petit », « petit » après « petit », caillou après caillou, ce qui à terme (un long terme que l’on a du mal, en ces temps d’instantanéité, à accepter ou concevoir) permet en fait de déplacer des montagnes. Une somme de petits rien peut faire un grand tout.

Confiance, responsabilité et altruité : voyons cela de plus près.

Si le cafetier voit dans la pratique du café suspendu la possibilité de gagner 10 euros par jour en ne respectant pas la règle, grand bien lui en fasse. S’il respecte la règle, ce qu’il a à gagner n’a rien de pécuniaire. Ce qu’il a à gagner c’est de donner à sa profession son sens originel : tenir un lieu de convivialité au sein duquel les gens viennent se poser quelques instants pour se retrouver entre amis, pour se jeter un petit café au fond du gosier avant de retourner travailler, etc. C’est d’être pleinement un petit commerçant au service des gens qui passent dans son établissement. Que le « merci » du client soit sincère et gratifiant. C’est, au fond, ce qu’il y a de plus important dans son métier. La pratique du café suspendu est l’occasion, pour le commerçant, de redonner du sens à son travail. Dans les établissements qui ont mis en place cette pratique, nombreux sont les cafetiers qui n’hésitent pas à contribuer au geste en complétant de leur poche une monnaie laissée insuffisante. Ils laissent par exemple une petite boîte sur le comptoir pour les monnaies « incomplètes » et ajoutent ce qui manque.

Si une personne se dit que c’est pour elle l’occasion de ne plus avoir à dépenser pour son café et qu’elle décide d’y aller allègrement, régulièrement, elle se rendra compte que le café, quand on en abuse, c’est mauvais pour la santé. C’est surtout irréfléchi que de se dire qu’on peut profiter de la générosité des autres à travers la consommation de café. Il est en fait si peu probable que des gens y voit une réelle opportunité de profit que le nombre d’individus concernés est trop faible pour priver les autres de leur petit café. Rappelons-le, les donneurs sont vraiment nombreux.

Comme je le disais plus haut, le fait qu’ils soient nombreux est révélateur. Non pas du fait que les gens cherchent à se jeter dans des prêt a agir pour se donner bonne conscience, mais révélateur du fait que les gens se sentent concernés et ont besoin de se sentir responsables. Ils ont besoin de faire quelque chose, de savoir ce qu’ils font et comment le faire. Pour cela, agir à petite échelle, à « proximité » est indispensable. C’est une des clés du changement auquel on aspire. Le petit, le local, la proximité vont de paire avec la confiance, la responsabilité et l’altruité (sur laquelle je reviendrai prochainement).

La pratique du café suspendue crée de l’engouement chez les personnes qui en ont entendu parler. Elle s’est ouverte à d’autres biens tout aussi « petits » : la baguette de pain, un sandwich, un repas chaud, un livre de poche. Dans de nombreux cas, le petit commerçant est pro-actif et « complète » le geste du donneur.
Le "petit" est essentiel.

C’est une affaire à suivre et à faire tourner. Encore une fois, penser « autrement », c’est d’abord penser « petit ».





1 commentaire:

  1. "Ce qu’il (le cafetier) a à gagner c’est de donner à sa profession son sens originel : tenir un lieu de convivialité au sein duquel les gens viennent se poser quelques instants pour se retrouver entre amis, pour se jeter un petit café au fond du gosier avant de retourner travailler, etc."
    J'espère profondément que les patrons de brasseries et bars en tous genres sont sensibles à cette notion de convivialité et non pas du remboursement de leur crédit en 7 ans... Il me parait difficile à croire que cette pratique, si généreuse soit-elle, soit entendue par la plupart des commerçants. Mais comme vous dites Shantee-Bellefleur " Une somme de petits rien peut faire un grand tout". Espérons que cela soit compris par les patrons...

    RépondreSupprimer