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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

lundi 8 décembre 2014

Erratome



Les principes de la physique quantique sont bien mystérieux et nous avons du mal à en mesurer la portée. « Superposition, intrication, non-localité, indétermination » sont autant de phénomènes qui invitent à s'interroger sur la nature de la matière. Plus récemment, la mise en évidence du Boson de Higgs au sein du LHC à Genève relance cette interrogation. On peut dire, pour introduire le sujet de cet article, que la physique quantique nous amène à penser la matière de manière moins matérialiste que nous ne sommes capables de le faire, armés de nos concepts traditionnels hérités d'un autre âge.


Par exemple, les particules élémentaires – telles que les quarks ou les bosons – ne peuvent pas être considérées comme des corpuscules, c'est-à-dire des petits grains de matière, alors même que le mot « particule » impose à notre pensée une image de petite bille bien circonscrite. Or si une particule possède en effet des propriétés corpusculaires, celles-ci cohabitent avec des propriétés ondulatoires, mais on ne peut pas dire pour autant qu'une particule soit corpusculaire ou ondulatoire sous certaines conditions. Une particule est l'un, l'autre, l'un et l'autre et autre chose que l'un et l'autre à la fois... C'est ce que l'on appelle la dualité onde-corpuscule sans que l'on puisse clairement saisir cette dualité.


Vous voyez que l'on touche à quelque chose qui se dérobe à notre entendement. Alors c'est peut-être notre entendement qu'il faudrait interroger ?


J'écoutais l'autre jour le philosophe hélleniste Heinz Wismann parler de l' « atome » chez Démocrite et ce que j'ai entendu mérite d'être creusé. Présenté puis creusé. (Voir références en fin d'article).
On a tous entendu parler d'Aristote et de Platon, disciple de Socrate, philosophes de l'antiquité grecque ( dans les environs de -400, -300 avant JC). A la même époque, au bord de la mer Noire, au nord d'Athènes, vivaient d'autres philosophes parmi lesquels un certain Démocrite, disciple de Leucippe.
De la pensée de Démocrite, il nous est parvenu peu de choses. Quelques « Fragments » qui sont passés entre les mains d'Aristote, curieux des idées que ces hommes du nord énonçaient.
Parmi ces idées, il y avait celle de l' « atome » qui s'inscrit dans une réflexion plus large sur la matière - la nature du réel - et sur le vide.


Heinz Wismann a travaillé sur certains Fragments de Démocrite - non retouchés par Aristote - et nous en livre une traduction très surprenante :
« Pour Démocrite, le vide est plein d'atomes » qui ne sont pas des corpuscules. Démocrite « soutient que le vide se propage sous la forme de trajectoires d'énergie que sont les atomes ». Pour Démocrite, l'atome n'est pas un corps, mais une « idée de l'indivisibilité posée comme problème ». Comment peut-on représenter l'indivisibilité ? « Dans le Grand vide, en expansion continue, se forment des trajectoires d’énergie bi-dimensionnelles que l'on peut comparer au tracé de l'écriture » et Démocrite distingue ce « Grand vide » en expansion continue du « Petit vide » circonscrit par l'existence des corps . « Les atomes sont comme des filaments qui se propagent avec un certain rythme dans le grand vide. » Ou encore : « Pour Démocrite, les atomes sont l'autre face du vide. Ils sont des concrétions du vide, de son énergie en expansion absolue ».
Voilà qui dénote singulièrement de la représentation que l'on se fait de l'atome. Ce n'était pas un corpuscule chez Démocrite ? Allons bon. Alors pourquoi avons-nous considéré Démocrite, père fondateur de l'atomisme, comme père fondateur de l'atome corpusculaire ?

La découverte du Boson de Higgs en particulier, et la physique quantique en général, nous invite à concevoir une matière dont l'essence s'appréhenderait davantage en terme de « champs », en terme de « mouvement », de dynamisme et d'interaction ; des termes qui semblent trouver une résonance lointaine, très lointaine, dans les idées de Démocrite, lui donnant en retour une actualité. Démocrite « l'idéaliste » et non le « matérialiste ».


Alors, pour commencer, qu'entendons-nous, traditionnellement, par « atome » ?


Nous avons appris que pour les Grecs de l'antiquité, - tous trop hâtivement jetés dans un même sac - un atome ( a-toma = insécable) est une petite partie de matière que l'on ne peut pas subdiviser en plus petites parties indivisibles. Un atome peut être envisagé comme une particule élémentaire, c'est-à-dire constituée d'un seul élément. Un grain de matière indivisible. Un corpuscule.


En 1905, Einstein entérine la découverte du physicien Jean Perrin : il existe une toute petite particule qui pourrait bien être insécable, un « atome ». La tradition étant massive (pour ne pas dire pesante) et l'inertie de la pensée étant ce qu'elle est, on a assimilé la découverte de Jean Perrin à l'idée toute théorique qu'on se faisait de l'atome jusque là.


Assez rapidement, on a découvert que notre atome expérimental n'était pas insécable. Il est composé de plus petites particules et d'un noyau lui-même composé de plus petites particules.


On a atomisé l'atome, si bien que ce que l'on appelle atome aujourd'hui n'a plus rien d'atomique au sens propre (insécable).


Cependant, l'interrogation sur l'insécabilité théorique de la matière – c'est-à-dire sur l'existence d'un quanta de matière, une « particule irréductible »- ne s'arrête pas là.


Penser qu'une quantité de matière puisse être subdivisée à l'infini est compliqué. On imagine plus facilement un « infiniment petit fini », soit, un « quanta » irréductible et indivisible, tendant vers une « unité », qu'un infiniment petit qui se sublimerait dans un néant impossible. La notion d'indivisibilité est inséparable de la notion de néant.


Ce sont les mathématiques qui ouvrent la voie d'un « infiniment petit infini » grâce au calcul infinitésimal que Leibniz et Newton ont élaboré (chacun de leur côté). Mais il s'agit là d'un infiniment petit qui se dérobe à l'expérience tant pratique qu'intellectuelle, quasi métamathématique... un néant plein de vide.


Quand on s'interroge sur l'insécabilité de la matière, on pose la question de la « dénombrabilité », on touche à l'enfer de Cantor (« Existe-il des infinis plus grands que d'autres ? »), et on met aussi, joyeusement, les pieds en plein dans la question aporétique du « discret » et du « continu » ( sur laquelle j'ai déjà rédigé au moins cinq articles qui ne font que reposer la question...) Jusqu'où pouvons-nous découper le réel ? L'infiniment petit se dilue-t-il dans une continuité infinie ?  Ces questions sont-elles seulement « bien posées », « efficaces » ? N'émanent – elles pas d'une vision du monde pré-conçue ?


D'après Heinz Wismann, Aristote a falsifié sciemment les travaux de Démocrite. Ce sont les travaux de Démocrite revisités par Aristote qui ont fait autorité et qui ont traversé les siècle pour nous parvenir déformés au 20ème siècle.


Démocrite emploie le terme « atomos », de genre féminin, qui se rapporte à « idea », qui veut dire « idée », mais Aristote l'a volontairement traduit par « atoma », de genre neutre, qui se rapporte au « corps ». Aristote n'était pas d'accord avec les idées des philosophes du bord de la mer Noire. Il les a présenté comme étant des « idiots qui pensaient que l'on pouvaient arrêter la division spatiale des choses », ce qu'ils n'étaient pas. Plus encore, Aristote a changé le mot « rythme » de Démocrite et l'a remplacé par le mot « forme », ôtant ainsi tout dynamisme à l'idée atomiste initiale. D'un mouvement de pensée, d'une trajectoire d’énergie, Aristote en fait un corps matériel inerte qu'il dénigre.
Et c'est ce corps matériel, figé, séparé, stoppé, qui nous est parvenu.


Si l'on en croît l'herméneutique de Wismann ( un mot compliqué pour dire « l'interprétation » que Wismann fait de la lettre démocritienne), chez Démocrite, l'atome est intrinsèquement une idée, un concept et non un corps. L'atome c'est « l'idée de l'indivisibilité », c'est le mouvement de la pensée dans l'indivisibilité, c'est une trajectoire dans le vide, un filament dans un champ d'énergie. Ce n'est pas un grain.
Et si la pensée de Démocrite nous était parvenue sans avoir subi de détour aristotélicien ? Pouvez-vous l'imaginer ? Toute la culture judéo-chrétienne qui nous façonne est basée en grande partie sur la pensée d'Aristote. Le cartésianisme, le matérialisme historique marxiste, la rationalisme, et plus généralement le cadre dans lequel nous pensons notre condition humaine et notre rapport au réel, sont issus d'une vision principalement aristotélicienne.


Heureusement, la pensée sur la matière ne se limite pas aux considérations matérialistes.
Ce qui suit est un peu plus ardu à suivre mais je vais faire mon possible pour être claire.


Nous avons hérité de la pensée aristotélicienne l'idée que « la matière se laisse découper ». (a)
Nous avons hérité d'une « conception de la matière ». (b)
Nous avons hérité d'une « conception matérialiste du réel » ("le réel est la matière" - à chacun de définir ce qu'il entend par matière).(c)


Vous remarquerez qu'entre la phrase (c) et la phrase (a), il y a un dézoomage de notre point de vue sur le réel. On recule, on gagne en degrés d'abstraction. Nous étions jusque là, dans ce qui a été dit précédemment, dans les degrés (a) et (b), et maintenant nous allons nous attarder au niveau (c).


L'atome « traditionnel » que nous avons appris à connaître s'inscrit dans cette conception matérialiste du réel héritée en grande partie d'Aristote. Il est le philosophe fondateur d'un premier « matérialisme ». Le réel est là, autour de nous et nous pouvons le connaître grâce à notre capacité de raisonnement. ( Aristote était un éminent logicien). « Le réel est là » est une phrase qui résume à elle seule toute une cosmologie : « le réel est » est une ontologie, c'est à dire une réflexion sur l' « être ». Le réel est la matière et la matière est intellectuellement préhensible. Pour Aristote, « on ne peut pas aller au-delà de ce qui est présent dans le réel. Le cosmos est la totalité du réel présente à elle-même, sans faille, ni trous, ni ailleurs » (H. Wismann). Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l'homme évolue dans un monde qui est tout autour de lui, et que ce monde, l'homme peut le toucher avec ses mains dans ce qu'il a de visible, et avec son esprit – sa raison – dans ce qu'il a d'invisible ( de trop petit pour être visible), et qu'il peut le connaître dans la totalité de son être. La philosophie d'Aristote est un « discours sur ce qui est ». D'après lui, « on ne peut pas dire que ce qui est repose sur ce qui n'est pas ». On peut parler de matérialisme ontologique aristotélicien .


Heinz Wismann, suspendu au pied de la lettre démocritienne, en quête d'intégrité intellectuelle, cite un passage tiré d'un Fragment : « Ce qui est n'est pas plus que ce qui n'est pas ». Cette phrase est loin d'être anodine, malgré son apparence. Elle déconstruit fondamentalement toute l'ontologie aristotélicienne. Elle veut dire que le réel peut ne pas être, et que le réel est autant qu'il n'est pas.
Cette phrase veut dire que le réel ne nous est pas fondamentalement accessible, à nous, hommes de pensée. Qu'il nous échappe dans une mesure incommensurable et nous ne pourrons jamais en saisir la totalité.
« Le réel nous échappe de manière asymptotique », précise Heinz Wismann en se référant à Kant.
Notre connaissance avance mais ce faisant elle repousse les limites de notre ignorance, cette dernière demeurant infinie - un infini moins grand qu'il ne l'était avant que nous ne connaissions davantage...


La physique quantique nous amène à envisager le réel comme n'étant pas ce qu'il est. Elle nous pousse à repenser le matérialisme qui structure fondamentalement notre rapport au réel. Elle s'acoquine avec une certaine lecture phénoménologique, une lecture dynamique d'un réel en mouvement, récalcitrant au cadre et à la mesure. Enfin, elle invite à une refondation de notre approche des choses, et par là, à réinventer notre condition humaine.
On peut certainement dire que la découverte du Boson de Higgs est extraordinaire par ce qu'elle nous apprend sur la matière, parce qu'elle valide la puissance conceptuelle de la physique quantique, mais elle est encore plus extraordinaire dans le lien qu'elle tisse avec l'histoire de la pensée sur la matière. Cette découverte réhabilite, de manière inattendue, la pensée atomiste première de Démocrite et rend à cet homme un hommage bienvenu. Il se peut qu'une relecture des Fragments laissés par Démocrite vienne à son tour éclairer la nature du réel que la physique quantique interroge. Un échange de bon procédé sur un pont de 2 300 ans.


Voyez-vous, en découvrant la pensée de Démocrite à travers les propos de Heinz Wismann, j'ai été touchée par le fait qu'un homme ayant vécu près de 2 300 ans avant nous ait pu avoir une telle intuition. Cela nous montre que partout, de tout temps, nous sommes semblables. Notre position dans le monde a peu évolué et la nature qui nous entoure souffle le même vent de mystère aujourd'hui, ici et maintenant, qu'à l'époque, il y a plus de 2000 ans, sur les bords de la mère Noire. Malgré tous nos progrès, nous n'en savons pas beaucoup plus et l'aventure de la pensée a de beaux jours devant elle.


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"Les avatars du vide: Démocrite et les fondements de l'atomisme", Heinz Wismann, éd. Hermann, 2010


"Penser entre les langues" Heinz Wismann, éd. Fammarion, 2014


A venir : "L'ultime atome: de Démocrite au Boson de Higgs et au-delà" Etienne Klein, Heinz Wismann, éd. Albin Michel, 2015


Emission "La conversation scientifique", sur laquelle s'appuie cet article: "physique et philosophie: quels liens".

Les Compagnons de l'Aube

Hommage à Henri Fertet, alias Emile 702, résistant pendant la seconde guerre mondiale et mort fusillé à l'âge de 16 ans le 26 septembre 1943. Il a été reconnu à titre posthume par le Général de Gaulle comme faisant partie de cette fraternité discrête appelée l'Ordre de la Libération. Peu de temps avant de mourir, peut-être quelques dizaines de minutes à peine, le jeune Henri écrit une lettre à ses parents dans laquelle il parle de courage face à la mort, de l'espoir qu'il entretient envers la cause résistante, de la nécessité de continuer le combat, de continuer à vivre. Dans cette dernière lettre, le jeune homme déclare à ses parents un amour filial d'une éclatante pureté, montrant qu' une réalité tragique ( quoi de plus tragique que la guerre et de plus réel que la mort ? ) débarrasse souvent et précocement un cœur jeune des atermoiements de son insouciance, pour lui révéler une vérité sans âge.


Retrouvez la lecture de cette lettre dans cette brève émission de France Culture : "La vie moderne" et dans l'ouvrage « Les Compagnons de l'Aube – Archives inédites des Compagnons de la Libération. »  de Guillaume Piketty et Vladimir Trouplin.



mardi 2 décembre 2014

Le vide avunculaire


Dernièrement, je suis tombée sur un mot totalement inconnu à mon répertoire. Jamais de ma vie je ne l'avais vu jusqu'à ce qu'il apparaisse, hier, au détour d'une phrase anodine, dans une nouvelle d'Asimov.
Prise dans le flot des mots, d'un coup je m'arrêtai net sur celui-ci, comme si je venais de me cogner contre un arbre sorti de nulle part.

La phrase que je lisais, la voici :

«  J'admets que j'ai une certaine faiblesse pour les femmes jeunes et douces, d'une beauté hors du commun – mais d'une manière digne et avunculaire- et je me dis qu'après tout, je pouvais lui rendre service sans lui parler d'Azazel. »

( I. Asimov «  Un sourire qui coûte cher », 1982)

« Avunculaire ? », « a-vin-cu-laire ? », « a-vun-cu-laire ? », « a-van-cou-laire ? »..., me demandai-je, dérangée dans ma lecture et un peu étourdie. « Mais qu'est-ce que c'est que ce truc... ». Restant à distance pour jauger la chose qui venait de me frapper au coin de la figure, je regardais les lettres du mot en y cherchant un indice étymologique quelconque. Je n'en vis aucun. Mon latin rudimentaire n'était d'aucun secours.
La chose semblant inerte, elle-même peut-être également étourdie par la collision, je m'en suis approchée pour la saisir à deux mains et la retourner dans tous les sens.


D'après le contexte de la phrase d'où sortait le drôle de mot, je bricolais un sens :

« une manière digne, affable et bienveillante » :

un « a » privatif ;
un « vunculaire » - que je décidai de prononcer « vainculaire » - qui aurait un sens péjoratif, dans la veine d'un « vaindicatif » ;
et les deux – le « a » et le « vainculaire » - signifiant logiquement quelque chose de positif - « affable et bienveillant » - puisque le « a » privatif privait le terme péjoratif de son côté péjoratif...

Me contentant de ce bricolage, je mis le mot dans ma poche et poursuivis ma lecture. Le lendemain arriverait suffisamment vite pour que je le « googelise » et en trouve le sens véritable.

Bien. Maintenant, je l'ai, le sens officiel de ce mot. Comme je suis un peu joueuse, je ne vais pas vous le verser tout cuit dans le bec. Non, je vais tenter de vous le présenter à ma manière.

Le sens est caché dans ce petit texte que je me suis empressée de rédiger ce matin, emportée par l'enthousiasme de la connaissance nouvelle et de l'étonnant à-propos de cette rencontre sémantique ( en effet, depuis quelques jours, il se trouve que je réside dans une maison avunculaire) :

« Le vide a vaincu l'air.

Oncle Patrick aimait voler. Dans les airs, s'entend. Pas à l'étalage.

A l'âge de 14 ans, sacré plus jeune bachelier de son année, il passait son brevet de pilotage.

Devenu mathématicien et bidouilleur de milles choses, pendant plus de 50 ans, Oncle Patrick a vaincu l'air.

Sa passion pour le vol-à-voile aura toutefois eu raison de lui.

Cette passion avunculaire aura laissé place à un grand vide.

Un vide avunculaire. »

Je brouille volontairement un peu les pistes sinon ce serait trop facile. Le mot « avunculaire » n'a de fait rien à voir avec le vol ou l'air, et tout à voir avec l'oncle.
Du latin « avunculus : oncle maternel », signifiant assez largement «  qui est relatif à un oncle ou une tante », il se prononce d'une manière qui me chagrine un tantinet : « avONculaire ».
Je préférerais qu'on le prononce « avAINculaire », étant donné l'écho que ce drôle d'adjectif me fait entendre avec le mot "vaincu".
Un oncle qui a passé son temps dans les airs, chevauchant le vide sans vergogne et disparu trop tôt des suites de sa passion, laissant, à sa place, un vide incommensurable, trop plein d'air et terre-iffiant, donne à mon « avunculaire » une texture étonnement pleine.

Finalement, c'est l'oncle qui remplit une chose avunculaire. Mieux, c'est le rapport entre l'oncle et la nièce (ou le neveu, ou la tante), qui donne sens à cet adjectif. Le mot, pris tout seul, ne veut pas dire grand chose. Il est comme une coquille vide. Et chez moi, « avONculaire » ne permet pas de rendre compte de tout ce que le terme recouvre. Bien au contraire :  avONculaire renvoit à "oncologie", ou encore à "furoncle", et cela ne me plaît pas. Alors je me dis que je peux bien décider, d'un commun accord avec moi-même, de prononcer le mot « avAINculaire ». Les autorités peuvent bien m'accorder une dérogation, n'est-ce pas ? Regardez : dans « commun », « un » se prononce « in ». Pronocé de la sorte, le mot "avunculaire" prend tout son sens à mes oreilles. Un sens avunculaire, tout spécifique à la mémoire de mon oncle, affable et bienveillant.

mercredi 26 novembre 2014

Rosalie


Voici un petit texte que j'ai écrit pour mon amie Nathalie qui me parlait de son beau métier : intuitif, spontané, bariolé de folie, de travail, de doute et de richesse. J'ai cherché à raconter son ressenti ineffable et merveilleux. C'est elle qui parle.


"Je vous présente Rosalie.

Rosalie et moi sommes amies depuis longtemps maintenant. Au début, elle faisait simplement partie de mon paysage amical, sans que je lui prête plus d'attention que cela, mais depuis quelques mois tout a changé. Rosalie est devenue ma meilleure amie.

C'est étrange comme les choses sont faites. Je me rends compte maintenant que Rosalie a toujours été là, qu'elle a toujours su trouver les mots, qu'elle a toujours voulu que je sois bien, et moi je ne l'entendais pas, ou bien j'entendais sa voix au loin, comme un écho auquel je ne voulais pas donner de résonance. Pourquoi l'écouter? Ce qu'elle me suggérait était fou, hors de considération. Que je lâche mon boulot ? Que je suive mes envies inconsidérées ? Vous n'y pensez pas. Rosalie était folle, j'avais ma vie et tout était pour le mieux. Je tentais de m'en persuader et j'y parvenais plutôt bien. Jusqu'au jour où je n'y suis plus parvenue. Plus du tout. C'est à ce moment que Rosalie m'a ouvert les bras. Je voyais dans son œil malicieux et néanmoins chaleureux qu'elle m'attendait depuis longtemps. Très longtemps. Je voyais, à sa manière de m'accueillir, ferme, résolue et confiante, qu'elle savait que je viendrais, tôt ou tard, et qu'il était temps que j'arrive parce que la route à faire était encore longue...

Rosalie et moi avons une relation étroitement intime. Je ne peux rien lui cacher. Quand je veux garder pour moi certaines choses, des choses qui font mal, des choses dont on n'est peu fier, des faiblesses, des choses ridicules, des choses qu'on ne veut pas montrer car elles semblent ne servir à rien d'autre qu'à parasiter l'existence, comme des réactions triviales, peut-être immatures, impolies et sûrement inutiles, alors Rosalie n'est plus vraiment elle-même. Elle est insatisfaite. Je vois bien qu'il lui manque quelque chose. Elle ne s'amuse plus. Je lui propose de se contenter de toute la matière qu'elle a déjà et je résiste à lui montrer ces choses qu'elle demande à voir. Mais non. Elle est intransigeante. Le petit truc que je me refuse à lui donner semble être la seule chose dont elle a le plus besoin, là, maintenant. Elle veut tout ! Ce que j'ai de faible comme de fort, de beau comme de laid, de grand comme de petit, de riche comme de pauvre, de lumineux comme de noir. Alors je suis bien obligée de lui donner tout de moi avec une sincérité crue. Sans jugement d'aucune sorte, Rosalie prend. Avec enthousiasme, elle prend tout. D'un grand geste ravi, elle se saisi de tout ce qui me fait, et bizarrement, par je ne sais quelle magie, elle transforme mes états d'âme les moins glorieux en une chose merveilleusement humaine. De tout ce que je suis et ce que je donne, Rosalie en fait une matière humaine universelle, belle et nuancée, surprenante et simple à la fois, imprévisible et toujours juste cependant. Elle m'oblige à me réconcilier avec moi-même à chaque instant. Elle m'entraîne à être intégralement moi.

J'ai appris à lui faire confiance et à tout lui montrer, sans plus me poser de question. Ainsi, elle et moi, avançons main dans la main, nous avançons sereinement et solidairement.

Rosalie a besoin de sincérité car là où nous allons, nous ne pouvons pas y aller sans.

Elle et moi allons à la rencontre de l'autre. Cet autre est souvent âgé, assis sur une chaise dans une maison de retraite, allongé sur un lit dans une chambre impersonnelle. Le regard parfois absent, l'esprit ailleurs, recroquevillé dans les quelques souvenirs de toute une vie ou bien perché dans un des recoins de l'univers, cet autre, personne ne le regarde plus vraiment. Quand Rosalie et moi arrivons, nous savons ce que nous avons à faire : une chose simple et terriblement compliquée à la fois, un « tour de magie » en quelques minutes.

Je vois Rosalie s'avancer vers cet autre. Gonflée à ras-bord de toute sa personne, remplie de l'intégralité de ce qu'elle est, elle lâche prise et déconnecte. Elle n'est plus qu'écoute. Improvisant une parole amusante, elle crée un monde nouveau à partir des petits objets sur lesquels se pose son œil réceptif. Une chambre sans attrait, des tuyaux fins et une poche de liquide, deviennent un bord de rivière où il fait bon pêcher de gros poissons tout mous. Un lit familier devient un tapis volant dominant aussi bien le pays des merveilles qu'un coin de Normandie où une grosse fermière trait des vaches récalcitrantes. Rosalie s'amuse mais elle ne peut s'amuser seule. Elle doit aller chercher cet autre, où qu'il soit, établir un lien, provoquer une réaction. Quand elle le trouve, ce lien avec l'autre, il lui faut l'entretenir et prolonger l'amusement collectif.

Rosalie ne peut trouver ce lien que si elle est sincère et juste, et elle ne peut être sincère et juste que si elle se fait confiance. Une confiance aveugle en ce qu'elle est et en son ressenti. Une confiance en ce qu'elle fait car ce qu'elle fait a du sens, véritablement. Alors seulement elle peut écouter l'autre silencieux. Entendre ce qu'il ne dit pas. Le trouver, où qu'il soit, et le prendre par la main. Lui montrer des choses qu'il ne voit pas et l'amuser, pour quelques précieuses minutes qui continueront à s’égrainer dans son esprit bien après que Rosalie soit partie.

Si Rosalie est incomplète, qu'elle ne se rend pas totalement disponible à l'assaut de spontanéité qui permet à la magie d'opérer, alors Rosalie ne s'amuse pas. Elle est à côté, elle n'est ni juste ni sincère dans son propos, dans le regard qu'elle porte autour d'elle. Elle devient sourde. Elle n'amuse alors personne, ou elle n'amuse pas vraiment. Pour être complète, Rosalie a besoin de moi. Je dois tout lui donner sans faire la fine bouche, sans douter de l'intérêt et de l'utilité de certains de mes traits. Je dois être intégrale autant qu'intègre. Je suis la matière première de Rosalie, sa source la plus précieuse, intarissable et en continuel mouvement.

Je suis Nathalie. Je suis Rosalie et je suis un clown."


dimanche 23 novembre 2014

Des nouvelles de Stefan Zweig

Je lis depuis quelques jours des nouvelles de Stefan Zweig et je dois dire qu’il me laisse sans mots. Vraiment, à chaud, lorsque je referme le bouquin, je ne sais pas quoi dire. 
Alors je cherche, ailleurs. Je ferme les yeux et je regarde ce que je vois. Dans quel univers m’a-t-il amenée ? Voyons. C’est comme si, au fil de sa prose, des organes humains, des cœurs, des poumons, sanglants et à vif, se présentaient devant ma bouche afin que je morde dedans, laissant ensuite le goût du vrai, du sang, du sang vivant, chaud et circulant, pas du sang morbide et effrayant mais le sang de la vie, courir dans mon gosier. Vous imaginez, croquer dans un cœur vivant ? Un cœur plein de vie, beau dans ce qu’il a d’humain, c’est-à-dire sa souffrance, son enthousiasme, ses palpitations, en un mot, sa passion.
Des essoufflements, des vertiges, des poussées de fièvre, des mains, des corps serrés sous leurs vêtements, sont comme des personnages qui viennent tourner autour de moi, s’agglutinant dans la chambre autour du lit sur lequel je suis posée, les yeux fermés et le livre de Zweig négligemment fermé, glissant de ma main, prêt à s’en échapper. Ce ne sont pas les personnages qui viennent, non, ce sont des essoufflements, des mains qui se crispent, des poitrines oppressées sous des corsages, des cœurs qui s’offrent à la morsure, généreusement, tous totalement gonflés jusqu’à la boursouflure, entièrement possédés par l’émotion.

C’est quelque chose à vivre que de lire des nouvelles de Stefan Zweig. Je n’en ai pas lu beaucoup : « La Confusion des sentiments », « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » et « Le voyage dans le passé ». « Vingt-quatre heures… »  m’a moins marqué que les deux autres. Et pourtant, j’en ai vu danser des mains et des gouttes de sueurs, des étourdissements, et même le spectre de la douleur la plus grande, l’essoufflement ultime, mortel, mais au final, je me suis moins laissée séduire par cette passion pour une raison toute personnelle que je vous dirai après. « Le voyage dans le passé » m’a beaucoup plu, mais pas autant que la « Confusion des sentiments », livre par lequel j’ai commencé et qui m’a amenée bien loin.

La « Confusion des Sentiments »  m’a littéralement subjuguée. Je pense avoir haleté, dans la soirée que j’ai passée à lire cette nouvelle, plus de fois encore que le jeune homme sur les six mois que dure sa confusion. J’ai senti le sang me monter aux joues au détour de chacune de ses longues phrases parfaitement précises et justes. Zweig est un virtuose, un véritable génie qui rend palpables, charnelles, des choses aussi diffuses et abstraites que les émotions. Plus que palpables, il leur donne une incarnation carnassière, il les « incorpore », leur donne un corps, comme si une émotion, une douleur, une attente, une déception, une rancœur, un désir, une ardeur, devenait un objet de chair et de sang dont chaque nervure, chaque irrigation nous était contée. La chair caoutchouteuse de l’émotion cède sous la pression de la canine et déverse son flux intense, glacial et bouillant, de sang et de vitalité, dans notre gosier assoiffé de vérité. Avec Stefan Zweig, le personnage est tout entier en train de ressentir l’émotion, depuis le bout des orteils jusqu’à la pointe de ses cheveux. Il devient l’organe, le souffle, la blessure, la partie, qui « prend le pas sur le tout », qui transcende l’être grand et complexe  pour n’en faire plus qu’un morceau de chair convulsant d’un seul et même allant.

Les quelques nouvelles que j’ai lues sont certes connues et plébiscitées jusqu’à être considérées comme des classiques de la littérature, cependant elles traitent toutes de la passion amoureuse, ce qui est loin d’être le seul thème de prédilection de notre auteur. La passion, plus généralement, oui. La passion qui engendre une forme de monomanie comme dans « le Joueur d’échec », écrit quelques mois avant son suicide en 1942. Mais dans ces quelques histoires à l’abord aisé, on retrouve avec force le plaidoyer en faveur de la « passion » – la disposition « passionnée » d’une âme, le tempérament « passionné » - qui fut le fil conducteur tant de sa vie que de son œuvre. En gros, ces histoires constituent une belle introduction à la « passion » selon Zweig. La passion de la connaissance, de l’étude, de la liberté, la passion amoureuse…
En ce qui me concerne, c’est là un thème qui me plaît beaucoup. La « passion ».

Je trouve éclairant le petit passage qui suit. Il se trouve au début de « La Confusion des Sentiments » :

« Mais dans ces excès, je ne faisais qu’obéir à une particularité de ma nature : dès mon enfance, incapable de m’intéresser à plusieurs choses à la fois, j’étais d’une indifférence radicale pour tout ce qui n’était pas la chose qui m’occupait ; toujours et partout mon activité s’est déployée suivant une seule ligne, et encore aujourd’hui, dans mes travaux, je mords en général à un problème avec un tel acharnement que je ne le lâche pas avant de sentir dans ma bouche les dernières bribes, les derniers restes de sa moelle. »

Une passion sans concession et qui prend tout le corps en otage, sans en  épargner aucune parcelle.
Cette chose mystérieuse, folle, dangereuse, brûlante et totale que peut être la passion, nous montre à quel point l’esprit et le corps sont intimement liés. Pouvant aussi bien mener à de grandes joies qu’à de terribles souffrances, elle impose un travail constant à celui qui, soumis à ses influx, cherche à ne pas s’y perdre. Jamais un tel emportement de l’esprit sur le corps n’a demandé autant d’effort au « cocher » pour maîtriser sa monture. ( On fait ici le pari que la somme du corps et de l'esprit,- de la pensée plutôt- forme quelque chose de « plus » que les parties prises séparément. Le cocher étant alors cette somme diffuse et ineffable de corps et de pensée qui ne cesse de nous dire, à travers les canaux de l’intuition, à travers les cris du corps, ce qui est bon pour soi et ce qui ne l’est pas. En sachant, de toute façon, que la passion qui nous anime – quand elle nous anime -est comme un cheval fou qu’il faut laisser courir, et qu’il faut savoir ramener lorsqu’il s’est égaré, pour le laisser repartir… etc.)

Alors pourquoi ai-je été moins emportée par « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme ». Comme je le disais, c’est pour une raison sans grande légitimité parce que toute personnelle. C’est lié à l’écho que l’histoire de Mrs C trouve en moi. Mrs C est une femme bien rangée et qui a toujours placé la bienséance, le « bien comme il faut » comme une règle fondamentale aiguillant chaque pas de son existence. Pour resituer la narration, voici la situation de départ. Dans un hôtel luxueux sur la riviera, des gens de bonne société commentent un évènement qui vient de se produire : Mme Henriette est partie dans la nuit avec un jeune français rencontré la veille, laissant derrière elle son époux et ses deux enfants. Une vieille dame, Mrs C,  se souvient alors d’un épisode de sa vie survenu vingt ans plus tôt et prend le parti de se confier à un jeune homme qui manifeste ouvertement sa compassion vis-à-vis de l’attitude de Mme Henriette, alors que le reste des personnes s’offusquent d’un tel départ. Mrs C raconte, tout au long de la nouvelle, les vingt-quatre heures qui auraient pu bouleverser sa vie. Elle aussi, dans sa jeunesse, à rencontré un jeune homme pour lequel elle aurait été prête à tout quitter.
Ainsi, lorsque la jeune Mrs C rencontre le jeune homme, qu’elle le voit et l’observe, comme attirée par un aimant, elle se sent submergée par une émotion qui l’aveugle et qu’elle ne peut définir. Elle ne peut ni ne veut d’ailleurs, lutter contre. Elle va ainsi à sa rencontre, touchée par le désarroi profond qui émane de sa figure excessivement lumineuse et expressive, cherchant à l’aider, alors que bien des choses laissent supposer que ce jeune homme est une cause perdue. Biensûr, elle se fourvoie et sombre alors dans un grand malheur qui, bien que les années l’ait apaisé, n’a cessé de la hanter pendant vingt ans.

Bon. Ce n’est aucunement dans la forme du récit que mon enthousiasme s’est embourbé. La prose est d’une virtuosité égale à celle de la « Confusion des Sentiments ». Non. Voici ce qui rend compte de ma modération : lorsqu’il s’agit de « passion », on peut distinguer les gens selon deux types de tempérament. Il y a les gens capables de se tenir dans le monde, c’est-à-dire capables de faire des concessions avec eux-mêmes, de suivre les règles et de modérer leurs ardeurs. Je les différencie des gens pour lesquels il est beaucoup plus compliqué de composer avec les règles de la société (parce que ces concessions les étouffent, les brident, éteignent leur feu intérieur). J’envie les premiers car ils dominent, le plus souvent, leurs élans et mènent une vie sans trop de tumultes. Les seconds passent leur temps à suivre leurs élans et à les canaliser tant bien que mal. Cependant, c’est aux premiers qu’il arrive, parfois, de se trouver confronter à une émotion qui les dépasse jusqu’à les emporter dans des tourments qu’ils ne connaissaient pas et contre lesquels une vie de droiture les avait pourtant prémunis. Les seconds, eux, passent leur temps à être dépassés. Se connaissant un peu mieux, habitués peut-être à suivre leurs élans et devinant sans doute mieux jusqu’où ces derniers peuvent les conduire, ils sont moins susceptibles de se perdre dans les méandres de désirs refoulés et surgissant à l’improviste. C’est une description un peu schématique, mais en gros, c’est un peu cela quand même. Je me sens donc moins proche de Mrs C  - qui appartient à la première catégorie- que du narrateur de la « Confusion des Sentiments » qui, depuis son enfance, est habitué à composer avec un tempérament passionnel qui aurait pu le perdre mille fois.

Cependant, l’une et l’autre de ces histoires sont riches en vérité, en humanité, riches de ces eaux troubles et mystérieuses que l’âme humaine nous fait traverser bien souvent, toutes et tous.

En lisant la « Confusion des sentiments », une chose m’est aussi venue à l’esprit. C’est l’exemple concret que cette histoire donne à une réflexion antérieure que j’ai eue sur la sapiosexualité ; l’attirance magnétique, le trouble amoureux que ressent le jeune homme pour son professeur. Ce dernier, vieux maître et pédagogue de génie, inspire un enthousiasme de forcené pour l’étude de la littérature chez le jeune homme, mais il lui inspire aussi le désir d’entrer dans la vie du vieil homme, d’être avec lui, de lui apporter sa confiance et sa compassion, d’apaiser les tourments qui assombrissent l’œil de vieux maître, de lui insuffler à son tour un enthousiasme de jeune homme. Le vieil homme prend son jeune étudiant en affection.  Les deux ressentent l’un pour l’autre une forme d’amour confus, dérangeant, pur et sincère à la fois, et pourtant très différent chez l’un comme chez l’autre. Je trouve cela sublime. C’est pourquoi j’ai pris plaisir à retranscrire certains passages de cette nouvelle, que vous trouverez plus bas.

Concernant « Le Voyage dans le passé », voici brièvement la situation : un jeune homme dont l’enfance a été durement marquée par la précarité, s’acharne par le travail à se faire une situation. Il rencontre et tombe passionnément amoureux d’une femme qui l’aime tout aussi intensément. Cependant, leur histoire pleine de promesses est mise entre parenthèses le temps que le jeune homme parte exécuter une mission à l’étranger pour plusieurs années. A son retour, dix ans plus tard, les choses ont changé alors que leur amour même est resté intact. 

L’auteur, une fois de plus, décrit majestueusement le ressenti du jeune homme. Son tourment violent côtoyant la folie, l’impuissance qu’on ressent face à l’impossibilité de faire vivre un amour qui aurait dû être vécu, qui ne l’a pas été et qui ne peut plus l’être, non pas pour des raisons pratiques, non plus pour des raisons de volonté de part et d’autre, mais juste parce que quelque chose s’est essoufflé, à trop attendre, fantasmer et souffrir de la distance. Une belle histoire sur les priorités que l’on se donne, sur leurs conséquences, sur la passion bien évidemment, la passion vécue ou bien mise entre parenthèses.

Cette nouvelle a été publiée dans son intégralité à titre posthume bien qu’elle ait été écrite avant les années 30. Le brouillon en a été retrouvé bien plus tard et le titre « Le voyage dans le passé » était raturé. Que l’auteur lui en eût  préféré un autre, il n’en aura pas laissé trace, si bien que c’est le titre raturé qui a été conservé par les éditeurs. Cela dit, pour ma part, je trouve que ce titre aurait parfaitement convenu à la nouvelle intitulée « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », car dans cette dernière, la narratrice secondaire, Mrs C, fait un exercice de mémoire résolument époustouflant. Elle revit instant après instant la journée qui l’a tant bouleversée, faisant parfaitement abstraction de la tentation d’user de la connaissance de l’ensemble des évènements pour en réécrire une instantanéité faussée. Non, à aucun moment elle ne se laisse distraire par la vision d’ensemble de cette journée vécue vingt ans plus tôt. La fin douloureuse ne brouille à aucun moment la joie, la passion et le trouble vertigineux qui ont précédé la chute. Chaque seconde retrouve son authenticité d’alors. La capacité qu’elle a à revivre exactement chacune de ces secondes bénéficie, avec une objectivité sans défaut, du commentaire que le recul des ans lui permet d’avoir désormais. Mrs C voyage dans le passé avec autant d’agilité - peut être davantage - que le jeune homme qui, le temps d’un voyage en train, se remémore l’intensité de la rencontre avec sa bien aimée d’il y a dix ans.

En rédigeant ces quelques lignes, celles qui précèdent et non celles qui suivent, je me rends compte que je fais des phrases longues et alambiquées à la manière de Zweig, ce qui n’est pas le style que je me connais. Et pourtant, je ne saurais écrire autrement ce que j’écris à son sujet. C'est comme si, toute pleine de sa sensibilité à lui, je voyais les choses avec ses yeux, pour un instant.

Maintenant, place au texte.

Voici tout d’abord le passage des « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » qui m’a le plus marquée, et qui illustre magnifiquement le voyage dans le souvenir (traduit de l’allemand par Olivier Bournac et Alzir Hella, révision de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, édition 2011- la traduction est un travail d’orfèvre !) :

Mrs C se souvient de son aventure avec un jeune homme blond, il y a vingt ans, et raconte son histoire au client de l’hôtel, l’ homme que le départ de Mme Henriette au bras d’un jeune français inconnu n’offense pas :

«  Je vous ai promis d’être entièrement sincère. Et je m’aperçois combien nécessaire était cette promesse, car c’est à présent seulement, en m’efforçant de décrire pour la première fois d’une manière ordonnée tout ce qui s’est passé dans cette heure-là et en cherchant des mots précis pour exprimer un sentiment qui alors était tout replié et confus, c’est maintenant seulement que je comprends avec netteté beaucoup de choses que je ne savais pas alors, ou que peut-être je ne voulais pas savoir ; c’est pourquoi je veux dire, à moi-même comme à vous, la vérité, avec énergie et résolution : alors, à cette heure-là, quand le jeune homme quitta la chambre et que je restai seule, j’eus (ce fut comme un évanouissement qui s’empara lourdement de moi), j’eus la sensation d’un coup venant frapper mon cœur. Quelque chose m’avait fait un mal mortel, mais je ne savais pas (ou bien je refusais de savoir) de quelle manière l’attitude à l’instant si attendrissante et pourtant si respectueuse de mon protégé m’avait blessée si douloureusement. Mais aujourd’hui que je m’efforce de faire surgir tout le passé du fond de moi-même, comme une chose inconnue, avec ordre et énergie, et que votre présence ne tolère aucune dissimulation, aucune lâche échappatoire d’un sentiment de honte, aujourd’hui je le sais clairement : ce qui alors me fit tant de mal, c’était la déception… la déception… que ce jeune homme fût parti si docilement… sans aucune tentative pour me garder, pour rester auprès de moi… qu’il eût obéi humblement et respectueusement à ma première demande l’invitant à s’en aller, au lieu… au lieu d’essayer de me tirer violemment à lui… qu’il me vénérât uniquement comme une sainte apparue sur son chemin… et qu’il… qu’il ne sentît pas que j’étais une femme. Ce fut pour moi une déception… une déception que je ne m’avouai pas, ni alors ni plus tard ; mais le sentiment d’une femme sait tout, sans paroles et sans conscience précise. Car… maintenant je ne m’abuse plus…, si cet homme m’avait alors saisie, s’il m’avait demandé de le suivre, je serais allée avec lui jusqu’au bout du monde ; j’aurais déshonoré mon nom et celui de mes enfants… Indifférente au discours des gens et à la raison intérieure, je me serais enfuie avec lui, comme cette Mme Henriette avec le jeune Français que, la veille, elle ne connaissait pas encore… Je n’aurais pas demandé ni où j’allais, ni pour combien de temps ; je n’aurais pas jeté un seul regard derrière moi, sur ma vie passée… J’aurais sacrifié à cet homme mon argent, mon nom, ma fortune, mon honneur… Je serais allée mendier, et probablement il n’y a pas de bassesse au monde à laquelle il ne m’eût amenée à consentir. J’aurais rejeté tout ce que dans la société on nomme pudeur et réserve ; si seulement il s’était avancé vers moi, en disant une parole ou en faisant un seul pas, s’il avait tenté de me prendre, à cette seconde  j’étais perdue et liée à lui pour toujours.  Mais… je vous l’ai déjà dit… cet être singulier ne jeta plus un regard sur moi, sur la femme que j’étais… Et combien je brûlais de m’abandonner, de m’abandonner toute, je ne le sentis que lorsque je fus seule avec moi-même, lorsque la passion qui, un instant auparavant, exaltait encore son visage illuminé et presque séraphique, fut retombée obscurément dans mon être et se mit à palpiter dans le vide d’une poitrine délaissée. Je me levai avec peine, […]. Il me semblait que mon front était surmonté d’un casque de fer lourd et oppressant sous le poids duquel je chancelais : mes pensées étaient décousues et aussi incertaines que mes pas lorsque je me rendis enfin à l’hôtel, auprès de mes parents. Là je restai assise, morne au milieu d’une causerie animée, et j’éprouvais un sentiment d’effroi chaque fois que par hasard je levai les yeux et que je rencontrais ces visages inexpressifs qui (comparés à l’autre, animé comme par les ombres et les lumières d’un jeu de nuages) me paraissaient glacés ou recouverts d’un masque. Il me semblait être au milieu de personnes mortes, si terriblement dépourvue de vie était  cette société ;  et tandis que je mettais du sucre dans ma tasse et que je disais quelques mots, l’esprit absent, toujours au-dedans de moi-même surgissait, comme sous la poussée brûlante de mon sang, cette figure dont la contemplation était devenue pour moi une joie ardente et que (pensée effroyable !) dans une ou deux heures, je verrais pour la dernière fois.»

Extraits de « La Confusion des sentiments », (mêmes traducteurs, même révision, édition 2001) :

Le jeune homme, avant de rencontrer son professeur, fuit l’étude.

« Lors de mon premier, et bref, passage dans un amphithéâtre, l’atmosphère viciée, l’exposé monotone comme celui d’un pasteur et en même temps ampoulé m’accablèrent déjà d’une telle lassitude que je dus faire effort pour ne pas m’endormir sur le banc. C’était là encore l’école à laquelle je croyais avoir heureusement échappé, c’était la salle de classe que je retrouvais là, avec sa chaire surélevée et avec les puérilités d’une critique faite de vétilles : malgré moi, il me semblait que c’était du sable qui coulait hors des lèvres à peine ouvertes du « Conseiller Honoraire » qui professait là – tant étaient usées et monotones les paroles ressassées d’un cours, qui s’égrenaient dans l’air épais. Le soupçon, déjà sensible au temps de l’école, d’être tombé dans une morgue pour cadavres de l’esprit, où des mains indifférentes s’agitaient autour des morts en les disséquant, se renouvelait odieusement dans ce laboratoire de l’alexandrinisme devenu depuis longtemps une antiquaille ; et quelle intensité prenait cet instinct de défense dès qu’après l’heure de cours péniblement supportée je sortais dans les rues de la ville, dans ce Berlin de l’époque, qui tout surpris de sa propre croissance, débordant d’une virilité trop vite affirmée, faisait jaillir son électricité de toutes les pierres et de toutes les rues, et imposait irrésistiblement à chacun un rythme de fiévreuse pulsation qui, avec sa sauvage ardeur, ressemblait extrêmement à l’ivresse de ma propre virilité, dont je venais précisément de prendre conscience. […] depuis le matin jusqu’à la nuit, je vagabondais dans les rues, j’allais jusqu’aux lacs, j’explorais tout ce qu’il y avait là de caché : vraiment l’ardeur avec laquelle, au lieu de m’occuper de mes études, je m’abandonnais aux aventures de cette existence toujours en quête de sensations nouvelles, était celle d’un possédé. […] Alors, dans ce Berlin, le sentiment de la liberté devint pour moi un enivrement si puissant que je ne supportais même pas la claustration passagère des cours magistraux de la Faculté, ni même la clôture de ma propre chambre. Tout ce qui ne m’apportait pas une aventure m’apparaissait temps perdu. Et le provincial tout nouvellement débarrassé du licol du collège et qui n’était qu’un béjaune, montait sur ses grands chevaux pour avoir l’air bien viril : je fréquentai une association d’étudiants, je cherchais à acquérir dans mes manières (timides en réalité) quelque chose de la fatuité et de la morgue des étudiants au visage balafré ; au bout de huit jours d’initiation à peine, je jouais au fanfaron de la grande ville […] ; j’appris avec une rapidité étonnante […] la vanité et la fainéantise des piliers de cafés. […] Il y a des moments où il me semble que jamais jeune homme ne gaspilla son temps plus sottement que je ne le fis pendant ces mois-là. »

Première rencontre avec le professeur :

« Poussé par cette impatience de ne pas perdre une heure, et tout aussi ardent dans mon élan à rejoindre la connaissance que je m’étais appliqué auparavant à l’éviter,  je me trouvais (après un tour rapide à travers la petite ville, qui par comparaison avec Berlin me semblait plongée dans l’engourdissement) à quatre heures précises à l’endroit indiqué. L’appariteur m’indiqua la porte du séminaire. Je frappai, et comme il me sembla avoir entendu répondre une voix de l’intérieur, j’entrai. Mais j’avais mal entendu. Personne ne m’avait dit d’entrer, et le son indistinct qui m’était parvenu, c’était simplement la voix haute, l’élocution énergique du professeur, qui devant un cercle d’environ deux douzaines d’étudiants formant un groupe serré et très rapproché de lui, prononçait une harangue visiblement improvisée. Gêné d’être là sans autorisation par suite de ma méprise, je voulus me retirer sans bruit ; mais je craignis précisément, en le faisant, d’éveiller l’attention, car jusqu’alors aucun des auditeurs ne m’avait remarqué. Je restai donc près de la porte et malgré moi j’écoutai ce qui se disait.  L’intervention du professeur paraissait faire suite à une discussion ou à un exposé ; du moins, c’est ce que semblait indiquer la disposition informelle et spontanée du professeur et de ses étudiants : il n’était pas assis doctoralement sur un siège, à distance, mais sur une des tables, la jambes légèrement pendante, presque d’une façon relâchée ; et autour de lui étaient rassemblés les jeunes gens, dans des attitudes sans apprêt qui, d’abord nonchalantes, s’étaient sans doute fixées dans des poses de statues, sous l’effet de leur intérêt passionné. On voyait qu’au début ils devaient être en train de parler ensemble, lorsque soudain le professeur s’était juché sur la table et là, dans cette position surélevée, les avait attirés à lui par sa parole, comme avec un lasso, pour les immobiliser, fascinés sur place. Et après quelques minutes, je sentis moi-même, oubliant déjà le caractère d’intrusion de ma présence, la force fascinante de son discours agir magnétiquement ; malgré moi je m’approchai davantage, afin de voir, par-dessus les paroles, les gestes remarquablement arrondis et élargis des mains, qui parfois, lorsque sonnait un mot puissant, s’écartaient comme des ailes, s’élevaient en frémissant et puis s’abaissaient peu à peu musicalement, avec le geste modérateur d’un chef d’orchestre. Et toujours la harangue devenait plus ardente, tandis que, comme sur la croupe d’un cheval au galop,  cet homme ailé s’élevait rythmiquement au-dessus de la table rigide et, haletant, poursuivait l’essor impétueux de ses pensées traversées par de fulgurantes images. Jamais encore je n’avais entendu un être humain parler avec tant d’enthousiasme et d’une façon si véritablement captivante ; pour la première fois j’assistais à ce que les Romains appelaient « raptus », c’est-à-dire l’envol d’un esprit au-dessus de lui-même : ce n’était pas pour lui, ni pour les autres, que parlait cet homme à la lèvre enflammée, d’où jaillissait comme le feu intérieur d’un être humain. »

Plus tard, lorsque le jeune homme et son maître ont pris l’habitude de travailler le soir ensemble.

« Mais le plus inexplicable, le plus irritant pour moi, c’étaient ses escapades. Un jour, quand j’arrivai à la faculté, il y avait un écriteau disant que le cours était interrompu pendant deux jours. Les étudiants ne semblaient pas étonnés ; mais moi, qui la veille encore m’étais trouvé auprès de lui, je courus à sa demeure, poussé par la crainte qu’il ne fût malade. Sa femme ne fit que sourire sèchement devant l’émotion que trahissait mon apparition précipitée. « Cela arrive assez souvent » dit-elle avec une froideur étrange, « simplement, vous n’y êtes pas habitué.» Et de fait, j’appris par mes camarades qu’assez souvent il disparaissait ainsi pendant la nuit, parfois ne s’excusant que par une dépêche : un étudiant l’avait rencontré à quatre heures du matin dans une rue de Berlin, un autre dans un café d’une ville éloignée. Il partait soudain, comme un bouchon saute d’une bouteille, et revenait ensuite sans que personne ne sût où il était allé. Cette disparition brusque m’affecta autant qu’une maladie : pendant ces deux jours je ne fis qu’errer ça et là, l’esprit absent, inquiet et distrait. Soudain l’étude, hors de sa présence accoutumée, était devenue pour moi vide et sans objet ; je me consumais en hypothèses confuses, non dépourvues de jalousie ; et même un peu de haine et de colère surgit en moi à cause de sa dissimulation, qui me laissait comme un mendiant sous le froid glacial, en dehors de sa véritable vie, moi qui brûlais d’y participer. En vain je me disais que, n’étant qu’un adolescent, un étudiant, je n’avais aucun droit de lui demandé des comptes et des explications, car sa bonté m’accordait cent fois plus de confiance qu’un professeur de Faculté n’y est tenu par sa fonction. Mais la raison n’avait aucun pouvoir sur ma passion ardente : dis fois par jour, je vins sottement demander s’il n’était pas rentré, jusqu’au moment où je sentis déjà chez sa femme de l’irritation, à la façon dont ses réponses négatives devenaient toujours plus brusques. Je restais éveillé la moitié de la nuit, guettant le bruit de son pas lorsqu’il rentrerait ; le lendemain matin je rôdais avec inquiétude autour de la porte, n’osant plus maintenant poser de questions. Et quand finalement le troisième jour il entra à l’improviste dans ma chambre, la respiration me manqua : mon effroi fut sans doute extraordinaire, comme je le compris du moins à son expression de surprise embarrassée, qu’il tenta de dissimuler en me posant précipitamment quelques questions indifférentes. En même temps son regard m’évitait. Pour la première fois notre entretien alla de travers, les mots trébuchaient les uns contre les autres et, tandis que tous deux nous faisions effort pour écarter toute allusion à son absence, c’est précisément ce que nous ne disions pas qui barrait la route à toute conversation suivie. Lorsqu’il me quitta, la brûlante curiosité flambait en moi comme une torche : peu à peu elle dévora mon sommeil et mes veilles. »

Enfin, pour finir, un passage qui décrit magnifiquement la confusion des sentiments du jeune homme :



« Et réellement, mon maître ne me rendait pas la vie facile. Plus je le servais avec passion, plus il paraissait indifférent à mon culte empressé. Il était rare qu’il me remerciât ; quand je lui apportais au matin, le travail qui m’avait demandé une partie de la nuit, il se contentait de me dire sèchement : « Vous auriez pu attendre jusqu’à demain. » Si dans mon zèle ambitieux je prenais une initiative pour lui plaire, soudain, au milieu de la conversation, il pinçait les lèvres et un mot ironique me repoussait. Il est vrai qu’ensuite, en me voyant m’écarter humilié et troublé, son regard chaud et enveloppant se posait de nouveau sur moi, pour calmer mon désespoir, mais combien cela était rare, oui, combien rare ! Ce chaud et froid, cette alternance d’affabilité cordiale et de rebuffades déplaisantes troublait complètement mes sentiments trop vifs, qui désiraient… Non, jamais je n’aurais pu formuler nettement ce qu’à vrai dire je désirais, ce à quoi j’aspirais, ce que je réclamais, ce à quoi visaient mes efforts, quelle marque d’intérêt j’espérais obtenir par mon enthousiaste dévouement. Car, lorsqu’une passion amoureuse, même très pure, est tournée vers une femme, elle aspire malgré tout inconsciemment à un accomplissement charnel : dans la possession physique, la nature inventive lui présente une forme d’union accomplie ; mais une passion de l’esprit, surgissant entre deux hommes, à quelle réalisation va-t-elle prétendre, elle qui est irréalisable ? Sans répit elle tourne autour de la personne adorée, flambant toujours d’une nouvelle extase et jamais calmée par un don suprême. Son flux est incessant, et pourtant jamais elle ne peut se donner libre cours, éternellement insatisfaite, comme l’est toujours l’esprit. Ainsi son voisinage n’était jamais, pour moi, assez proche ; sa présence ne se manifestait et ne se réalisait jamais complètement dans nos longs entretiens ; même quand il abolissait les distances et se confiait, je savais que l’instant suivant pouvait  détruire d’un geste brutal cet accord profond. A chaque fois, cette instabilité troublait mes sentiments et je n’exagère pas en disant que dans ma surexcitation j’étais souvent sur le point de commettre une folie, simplement parce qu’il avait repoussé avec indifférence, d’une main nonchalante, un livre sur lequel j’avais appelé son attention, ou parce que soudain, lorsque le soir, nous étions plongés dans un profond entretien et que je suivais en haletant le jaillissement de ses pensées (juste après avoir tendrement appuyé sa main sur mes épaules) il se levait tout à coup et disait avec brusquerie : « Mais maintenant, partez ! Il est tard. Bonne nuit. » De telles vétilles suffisaient pour me bouleverser pendant des heures, pendant des jours et des jours. Peut-être que ma sensibilité surexcitée et continuellement sur le qui-vive apercevait une offense là où ne s’en trouvait aucune intention ; mais peut-on après coup s’apaiser soi-même, lorsqu’on éprouve des sentiments aussi perturbés ? Et la même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon cœur se glaçait ; sans cesse, j’étais déçu par sa dissimulation sans qu’aucun signe vînt me rassurer, et le moindre hasard jetait en moi la confusion. »

lundi 8 septembre 2014

La simplexité

Epistémologie de la créativité*

Il n’est pas très compliqué de saisir l’origine étymologique de cette audacieuse construction néologistique qu'est la simplexité. (Une création tout droit issue de la simplicité et de la complexité).

Rassurez-vous, j’emploie des mots qui font peur juste pour vous faire peur. Mais j’arrête à partir de cette ligne. En fait, si l’on regarde au-delà de l’apparente complexité des termes, les choses sont assez simples. Et c’est précisément cela qui nous intéresse ici.

Mais j'arrête, j'ai dit.

Tout d’abord, familiarisons-nous avec le mot « simplexité ». Juste le mot.

Simplexité. Simple excité. Simplexe… plexité, flexe, vexe… mais aussi : simplet, replet, plaît.
Prenons le temps de sentir chaque micro mouvement que ce mot impose à notre langue.

Il y a quelque chose de pesant et de crochu dans ce mot. Quelque chose de lourd et de long qui peine à s’élever - dans le son « simp » , « sss » étendu, serpentant ; « im » long et trainant ; « p » tombant - et quelque chose, au contraire, de très envolé, de vif et de fugace, d’échappé, d’insaisissable, de retord, de coquin  – dans le son « plexe », « pl » est souple, mobile, agile, « ex » est coupant.
On ne sait lequel des deux aspects l’emporte, au final. Est-ce que cela termine au raz du sol, entièrement dévoué à la saisie mentale, ou bien haut dans les airs, virevoltant, insaisissable, disparaissant. On ne sait pas. Cela dépend.
De quoi ?
Cela dépend…

Simplexité.

Au-delà de son goût et une fois passée la sensation du mot, il convient d’ouvrir la porte sur ce que peut être la simplexité. Plus qu’un mot, un son ou une sensation, c’est un univers. Un concept.

Un concept qui peut être envisagé, dans un premier temps, comme une « sublimation de la complexité ».

Je m’explique. Tout d'abord, débarrassons la table pour pouvoir y poser nos hypothèses.

Posons comme hypothèse de départ qu’une  chose simple est "élémentaire" (c’est-à-dire constituée d’un seul élément- dans la mesure du possible, ou de très peu d’éléments) et qu’une chose complexe est « composée » de tant d’éléments que sa décomposition – son analyse- semble impossible. 

Posons également que le processus de « comprendre » une chose complexe consiste, dans un premier temps, à « analyser », c’est-à-dire « décomposer » cette chose en autant d’éléments que l’on pourra cerner avec pertinence. 

Ceci étant posé, prenons, ensuite, un esprit.
Pas n’importe quel esprit mais un esprit « disposé » à s’intéresser à des choses, à apprendre. Un esprit curieux et ouvert. Et suffisamment confiant… (Tous les esprits sont ouverts et curieux, mais nous vivons, hélas, dans un monde - le monde des hommes- qui bride cette ouverture).

Enfin, prenons un « évènement ». Il peut s’agir d’un problème, d’une contradiction, d’une information, une observation, une situation… Un évènement qui pose problème si vous préférez. 
Un problème compliqué.

Bon.

Notre esprit qui ne se laisse pas rebuter par l’apparente complexité des choses relève ses manches et embrasse le problème à bras le corps.  Il analyse, décompose, tourne et retourne.
Parfois, peu de gesticulations suffisent à dénouer les liens maladroits d’un problème. En trois mouvements cognitifs, hop, voilà le problème démonté et remonté autrement, si bien qu’il n’y a plus de problème. Juste un joli ensemble sans doute alambiqué, mais surement compréhensible.

Malheureusement, parfois mille gesticulations ne suffisent pas.  Il arrive même très souvent qu’un problème résiste aux assauts rationnels, qu’il soit insoluble dans l’analyse.
Ce n’est pas parce que notre esprit ne se laisse pas rebuter a priori qu’il ne succombe pas, souvent hélas, devant les intrications inextricables de certains pans de problème. Le problème disparaît alors dans une sorte d’impossibilité fondamentale. 

Alors, l’esprit peut, dans un profond désespoir intellectuel, renoncer.
Renoncer à comprendre !
Dans ce cas, il n’est pas rare d’assister à un phénomène surprenant que l'on pourrait appeler une sublimation de la complexité. Comme si l’acharnement qui avait accompagné l’analyse, bien que celle-ci ait été vaine, ne restait pas vain.

Tout ce qui a été trituré, mélangé, ressassé, dépiauté, dans un maelstrom sans fin, fini par s’agencer dans un processus inconscient. Tout d’un coup, notre porteur d’esprit, notre chercheur, ressent une sensation étourdissante. La sensation que « ca y est », « mais oui bien sûr »… Un chemin s’est ouvert, tout au loin, là où il n’avait rien vu la dernière fois qu’il avait regardé. Mais maintenant c’est là.

Sans doute un mot, une odeur, une situation, une intonation, une implication, peut-être un goût, un détail dans un champ de vision, aura fait écho à une bribe de travail inconscient, aura éclairé cette bribe, l'aura sortie du noir, ou lui aura permis de s’incarner dans un élément de réalité. 
De prendre forme.
Une forme palpable. Préhensible.

Une fois échouée sur la rive de la conscience, cette bribe de travail inconscient, inconnu et imperceptible, "ci-gît" :
 « Hey ! Regardez ce qu’on a trouvé échoué juste là… Mais qu'est-ce que c'est que ce truc... Ca bouge! c'est vivant ! Mais c'est... non.... Hey les gars, revenez! C'est ce que cherchait depuis des mois!  »… - et le travail cognitif, conscient,  peut reprendre de plus belle.

Sans doute faut-il à un moment lâcher prise, accepter qu'on  ne maîtrise pas cette drôle de mécanique qu'est la pensée du début à sa « Fin », l'éclaircie, la compréhension.
On peut ne jamais trouver, ne jamais comprendre, mais bien souvent, une démarche de connaissance qui s’inscrit dans une intention honnête, ouverte, opiniâtre et désintéressée, est fortement propice à l’apparition de « bonnes et belles » idées.

Chercher à comprendre, c’est aussi choisir. 
C’est choisir de croire que l’on peut comprendre, tout en étant bien certain que l’on peut ne pas comprendre. C’est risqué, et c’est avant tout une histoire de confiance. Non pas une confiance aveugle en soi, mais une confiance en l’ « extérieur ». C'est une démarche immodeste et humble à la fois.

Par exemple, je vous donne un avis tout personnel. Un avis sur une question "phénoménologique". Un avis que l'on pourra mettre en "époché" car il n'est, en soi, pas question de cela ici, mais je vous le donne quand même:
On peut penser que les choses de la réalité – ou la « Réalité en soi »-  sont récalcitrantes à se laisser comprendre. La réalité, quelque sens que revête ce terme, est mystérieuse, obscure, et, sans doute, ennemie.Il nous faut l'affronter avec vigilance et s'en méfier. "Elle nous joue des tours", pensons-nous.

Je crois davantage que c’est de nous dont il faut se méfier. Admettons-le. Nous avons du mal à accepter que les choses ne soient pas telles que nous voudrions qu’elles soient. C’est comme si notre esprit ne voulait voir que des choses rondes et ne comprenait pas que des choses soient carrées. Nous voudrions ainsi, par exemple, voir des choses rondes parce que le rond aurait une valeur sacrée, ou religieuse, ou traditionnelle, ou esthétique… et que le carré serait mathématique, idéal, inconcevable, métaphysique, extérieur, autre, différent par rapport à nos présupposés. Si l'on accepte que les choses peuvent ne pas être rondes, alors elles peuvent être carrées, ou triangulaires, ou bien autre chose encore. Bref. Cette réalité phénoménologique est accessible dès que l'on accepte qu'elle n'est pas si étrangère, extérieure à nous, ou contre nous. Elle est beaucoup plus accessible dès que nous acceptons que nous sommes capables de la "comprendre" - de la prendre avec soi.
Le problème de notre méfiance vis à vis du "monde", ce n'est pas "lui", ce monde, cet "autre", non. Bien souvent, c'est nous. Tout point de vue part de celui qui regarde.

Sur cette idée selon laquelle la Réalité ne serait pas récalcitrante à la compréhension, j’en appelle à ce petit jeu de symétrie qui, je l’avoue, m’a séduite:

La simplexité est à la simplicité ce que la complicité est à la complexité. Les unes et les autres se font écho.

On peut voir une complicité entre l’évènement problématique, complexe, l’élément de réalité qui nous échappe, d’une part, et d’autre part notre esprit disposé, confiant, embrassant et opiniâtre, et qui, donc, ne regarde pas les choses avec méfiance, appréhension de leur « sens »  ou de leur supposée implication. 
Un esprit libre, finalement.

La réalité se laisse saisir avec la complicité de l’inconscient. Comme s'ils marchaient main dans la main, la réalité et notre inconscient; notre inconscient pourrait nous être plus "étranger" encore que la Réalité !

Il n’est pas anodin que la « simplexité » - sublimation de la complexité- soit riche de sens et que son parent symétrique – la complicité- sublime à son tour le concept de simplexité. On surmonte généralement la complexité d'un problème lorsque l'on veut sincèrement la surmonter. La bonne volonté ne suffit pas mais elle est déterminante. Et après s'être cogné cognitivement sur un problème, après que notre tête toute embrouillée de milles choses soit épuisée, le ciel se dégage, les choses se débrouillent, et c'est précisément ce débrouillage que l'on peut appeler simplexité. Une sublimation de la complexité.

La pensée semble fonctionner en suivant une symétrie. Une idée ne vient pas de nulle part. Une idée qui apparaît est un écho, un reflet biscornu, un remaniement, un autre point de vue, une autre formulation. Une mise en ordre de choses divagantes et chaotiques. Des bribes de flux de pensée se répondent les unes aux autres, s’évoquent, se choquent, s’invoquent, se fondent et se confondent. Non pas dans un marasme clos ou étouffant mais toujours au contact de l’extérieur. Ce formidable et mystérieux extérieur.
L'inconscient fait un travail gigantesque. Il fait office de "pont", de lien, entre notre pensée consciente et la réalité. C'est donc dans la relation confiante entre "nous" et l'"extérieur" que se dessine notre "compréhension". 


Le sous-titre provisoire de la « petite épistémologie de la créativité- 1ère partie » était : « de la contrainte nécessaire ». En effet, la contrainte est omniprésente, surtout pour un esprit créatif, comme celui d'un artiste. Comprendre ce qu'implique la contrainte, ce qu'elle est et de quelle manière elle est indispensable sera le fruit du prochain article. De la contrainte comme "barrière de potentiel".

A SUIVRE !

* Pour se remettre dans le bain, on jettera un oeil distrait à cet article : "Petite épistémologie de la créativité".






jeudi 31 juillet 2014

Cent !


Mon blog me dit depuis quelques temps que la totalité des articles qui s'y trouvent est très exactement égale au nombre de 100. Il ne le dit qu'à moi et à personne d'autres. Eh oui, j'ai un petit tableau de bord qui tient les comptes. Je ne lui demande rien, mais il les tient. Alors je vois les comptes. Je vois par exemple le nombre d'articles publiés, mais aussi le nombre de ceux qui ne le sont pas. Ils ne sont pas publiés mais ils sont là, abandonnés, attendant ma bonne volonté de les reprendre. Et vous, vous ne voyez rien du tout car vous êtes de l'autre côté du blog. Donc pour le simple lecteur qui se sera étourdi à compter le nombre d'articles, il n'y en a que 85 de disponibles. Tout ébobi qu'il soit, je l'entends cependant bougonner de son côté, derrière l'écran, un impitoyable "c'est tout ?"...

Et cela m'attriste profondément d'être la seule à savoir qu'il y a en fait 100 articles qui gîsent içi. Pour certains ce sont encore des articles en puissance, mais il y en a bien 100. Et un centenaire, cela se partage! Vous ne croyez pas?

Donc, pour l'occasion, après que mon blog m'ait une fois de trop répété qu'il y a 85 articles publiés et 15 brouillons (avec un beau 100 entre parenthèses, le total, vous aurez compris), j'ai décidé de publier les brouillons! Non mais.

Vous chipotez, là, je vous entends... "Pourquoi la liste ci-dessous ne contient-elle que 9 articles et non 15, par tous les mots! Nous croît-elle si naîfs que nous buvons ses paroles et ses calculs en totale cécité? Non mais."

Il y a 9 brouillons dont vous trouverez en effet la liste ci-dessous, et 6 articles qui sont en fait, je vous l'accorde, des doublons. Certains articles ont été mis en ligne 2 fois, tout simplement. Pas bêtement, non, mais tout simplement. Et donc, sur deux articles identiques, j'en ai rebasculé un en mode brouillon et je ne vois pas l'intérêt de le débrouilloner! Voilà, vous savez tout. Ou presque.

L'importance de se salir
Brida
Le Conatus ou le "vivant gagnant"
Asimov et Fondation
La plus belle des solitudes
Histoire de Dissonnance
Le concert des efforts
TrueBlood
Monnaie!

Il est probable que je rédige un jour ces articles, mais pour être tout à fait honnête, j'en doute. Ils sont là, en brouillon, latents, depuis plus d'un an. Les idées que je voulais y développer l'ont été différemment, dans d'autres articles. Ou bien je n'ai pas encore trouvé les mots, ou bien l'idée n'est pas assez claire, que sais-je...
Il y a maintenant d'autres sujets qui me trottent dans la tête auxquels je souhaite prêter attention. Sur Asimov, par contre, je dirai très sûrement quelque chose. Pas tout de suite, mais quand j'aurais fini quelques bouquins de plus (je suis dans Les Robots tout à fait actuellement et je m'y plaît plus que de raison).

Je vous invite à jeter un oeil sur ces articles, ces bribes d'articles non rédigés. Y jeter un oeil juste comme cela, parce qu'ils sont 100 en tout, que c'est un tout.

Après, dans l'hypothèse farfelue où quelqu'un me demanderait d'en rédiger un, pour voir un peu ce que j'ai à dire, je le ferais bien volontiers!

Brida

Bouquin de Paolo Coelho.

J'aime beaucoup la "théorie" du physicien sur la "réincarnation": à la mort d'une personne, les atomes de son corps se dispersent dans l'environnement, et puis au bout d'un temps certain, certains atomes se retrouvent à nouveau dans la composition d'un corps humain. Et puis, parfois, de manière exceptionnelle, une personne en rencontre une autre qui dans son corps contient des atomes qui ont par le passé, composé le même corps que certains atomes de la première personne, voyez-vous.  Et c'est ainsi que quelque chose d'imperceptible attire ces personnes l'une vers l'autre, qu'elles se reconnaissent, en un sens. Le sorcier du bouquin, parce qu'il y a un physicien mais aussi un sorcier dans cette histoire, raconte que lorsque l'on rencontre la personne faite pour soi, son grand amour, on voit quelque chose autour d'elle, plus prosaïquement, on doit voir un point à droite ou à gauche de son visage. Ce grand amour, cette "bonne" personne, nous correspond parce que, comme je viens de l'expliquer en reprenant maladroitement l'idée du physicien, une partie de la matière qui le constitue a constitué par le passé, avec les atomes qui nous constituent, le même corps.
Je trouve cette théorie d'abord, assez plausible, ensuite très jolie.

Le Conatus ou le Vivant Gagnant (ébauche)


Le conatus : c’est une notion qui m’a interpelée récemment et qui est en fait très heuristique.
Le conatus est tout simplement une force, un effort, un élan naturel contenu dans toute chose « étant » et qui amène toute chose « étant », existante, à persévérer dans son être.
Cela s’apparente à la notion d’instinct de survie et en ce qui me concerne, le conatus s’apparente à la notion même de vie, d’étant. En effet, je considère que la vie est un mouvement qui, inscrit dans le temps, cherche avec ce dernier à persévérer dans son être, donc  à survivre. Le but premier, l’essence même de la vie, est de continuer, rester, donc vivre.
La définition de conatus a été ensuite interprétée comme une force ou un effort qui justifie chez l’homme la recherche de ce qui augmente son confort et sa joie.  Je m’éloigne de cette interprétation en posant que le confort et la joie sont des notions culturellement relatives et pleinement anthropocentriques. Ce sont des notions qui, posées comme but de l’effort de vie, justifient certains comportements individualistes que je pense en contradiction avec l’intérêt « supra-général ».
L’intérêt supra-général ? Eh bien oui, l’intérêt non pas des hommes dans leur collectivité, mais l’intérêt de l’ordre des choses qui nous entourent et nous incluent, l’harmonie et la symbiose dans la coexistence des espèces.
IL semble évident que si la recherche de la joie et du confort pour un individu ou une espèce se fait au détriment de son environnement, cette recherche devient vaine à plus ou moins long terme.
Cependant, je garde la notion de conatus car je la considère fondamentale dans la définition de ce qu’est la vie.
La vie n’est autre que le mouvement qui persévère l’étant, la vie n’est autre chose que l’action de vivre.
La vie est survie et va bien au-delà de notre survie à nous, humains. C'est pourquoi, si nous voulons rester dans la danse, il nous faire attention à ce qui nous entoure.

Azimov et Fondation

Asimov est sûrement le plus grand auteur de science fiction de tous les temps ( c'est le jury du prix Hugo 66 qui le dit ). Fondation, tome 1, est à ce jour le bouquin le puis puissant que j'ai lu. Après avoir enchainé avec les autres tomes, j'ai commencé la cycle des robots. Non sans appréhension car je sais que l'auteur des davantage connu pour ce cycle-là que celui de Fondation. Il a également, après deux décennies, joint les deux cycles en quelques romans supplémentaires. Après deux tomes des Robots, je dois dire que son génie est indéniable. Un fou. Affaire à suivre et à développer.!!

La plus belle des solitudes

... est aussi celle qui nous terrifie le plus!

inviolabilité de son cerveau,
au plus intime de ses pensées,
cette sensation vertigineuse que l'on peut avoir, par instant, de se savoir seule, toujours, irrémédiablement seule, avec soi-même! Solitude qui fait que l'on se doit de se prendre soi-même par la main
Et de se demander quelques fois si le monde qui nous entoure, entoure aussi les autres de la même manière....

Le concert des efforts

necessité de travailler pour obtenir qq chose
lutter contre la facilité d'obtenir sans efforts

l'effort que l'on se propose de faire pour une chose, quelle qu'elle soit, confère à cette chose sa VALEUR.

Un effort qui n'est pas celui de tirer difficilement un billet de son porte feuille, aussi durement gagné fût ce billet.

Histoire de dissonance

Dissonnance cognitive
Processus de réduction! de "comprehension" = prendre avec soi = intégrer dans son prisme de lecture du monde...
et qui dit réduction de dissonnance
peut aussi dire réduction du paquet d'ondes...

True Blood - série télé

C'est de cette série que je tiens le pseudo Bellefleur
Décomplexion des moeurs
Série qui ouvre la réflexion
sur des questions de sexualité^^......

L'importance de se salir

Notes du 17 janvier 2013

se faire violence
etre ridicule
se laisser dépasser
se mettre en danger
Lâcher prise
parce que trop d’ascétisme, de propreté, de bienséance, en un mot de contrôle, ... et là tu développes ton article ...


lundi 9 juin 2014

Fanes de carottes



On ne le répètera jamais assez, l’alimentation est la meilleure des médecines préventives.
Stop aux produits industriels, aux plats sous vide, aux ersatz de fruits et légumes empilés par milliers sur les étals, emboîtés par centaines dans les rayons des supermarchés. Ces produits contiennent plus de chimie exhaustive, d’artifices colorisant, d’ « E » conservateurs que notre organisme ne peut en tolérer.

Consommons des produits locaux et naturels, mangeons MOINS et mangeons MIEUX.

Ces petites choses étant posées, je souhaite vous parler de ma dernière épopée culinaire qui est à l’origine de cet article.

Je passai quelques jours chez des amis qui vivent à proximité de Paris, dans une petite maison qu’ils occupent en colocation. Sportifs, accrocs au plein air, grimpeurs expérimentés, bourlingueurs du bout du monde, admirateurs infatigables de la nature, beaux comme des dieux et l’esprit vif autant que corrosif, voilà que les p’tits gars se mettent aux fourneaux dans la cuisine un peu vieillie de leur drôle de maisonnée.

Le plan de travail, immense, est égayé de petits saladiers et de grandes corbeilles dans lesquels fruits et légumes se disputent le dessus. Au bout, un germoir. Un germoir ? Oui, un germoir.
Il s'agit d'une sorte de récipient sur deux ou trois niveaux. On y pose des graines (lentilles, moutarde, fenugrec, cresson, épinard, choux, chia, radis, etc…) qui au bout de 5 jours vont donner des pousses. Les graines germées sont excellentes à tout point de vue.*

Par exemple, moi qui ne suis pas un exemple, je prends de temps en temps au petit-déjeuner, dans un petit ramequin, quelques graines germées que je mélange avec du fromage blanc. J’y ajoute quelques gouttes de citron et une pincée de sel. Ce petit pot de graines germées au yaourt citronné, eh bien c’est un délice.


Laissons de côté le germoir et la décoration de la cuisine et retrouvons nos amis en train de s’activer.

Ce soir, c’est soupe de fanes de carottes. Pour ma part, je ne connaissais pas. Je ne suis pas étonnée que les fanes soient comestibles (je mange d’ores et déjà les fanes de radis) mais je suis enchantée de voir que l’on peut en faire une soupe, qui plus est, absolument délicieuse.

Je partage la recette de mes amis en espérant qu’elle se propage parmi vous comme des p'tits pains :

Dans une casserole, un petit fait-tout ou bien une poêle, on fait revenir doucement, dans un peu d’huile d’olive, un oignon coupé en petits morceaux. On y ajoute les fanes d’une botte de carotte (soit d’une dizaine de carottes) coupées menues. Comme elles peuvent être filandreuses, il vaut mieux les couper en tout petits morceaux. On laisse réduire quelques minutes les fanes volumineuses.

Ensuite, trois petites pommes de terre et trois carottes grossièrement coupées (que l’on n’aura pas épluchées si elles sont bio) rejoignent la tambouille.

Quelques minutes plus tard, une dizaine tout au plus, on noie le tout sous un litre d’eau chaude. On couvre, on sale, on poivre et on laisse les choses se faire tranquillement sans nous pendant une petite trentaine de minutes. Certains, s’ils le souhaitent véritablement, peuvent ajouter un bouillon, mais je crois que si l’on sale, on poivre et que l’on ajoute une pincée de ceci et une autre de cela, le bouillon est superflu ! 

Enfin, on mixe le tout assez finement pour obtenir un velouté que l’on pourra parfaire à l’aide d’une cuillère à soupe de crème fraîche et d’un jaune d’œuf.

Ce soir, munis de notre bol de soupe, mes amis et moi nous sommes installés sur la terrasse qui donne sur le jardin et le moment a été résolument savoureux. Tellement simple, et savoureux.

Une petite terrasse et un petit jardin : 



* Sur les graines germées, voir l’ouvrage de Ludmilla De Bardo « Vitalité et Graines germées », O’Active éd., 2011. Préface du Professeur Henri Joyeux.
De même, sur le « manger vivant », on écoutera avec intérêt la célèbre naturopathe Irène Grosjean.