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mardi 2 décembre 2014

Le vide avunculaire


Dernièrement, je suis tombée sur un mot totalement inconnu à mon répertoire. Jamais de ma vie je ne l'avais vu jusqu'à ce qu'il apparaisse, hier, au détour d'une phrase anodine, dans une nouvelle d'Asimov.
Prise dans le flot des mots, d'un coup je m'arrêtai net sur celui-ci, comme si je venais de me cogner contre un arbre sorti de nulle part.

La phrase que je lisais, la voici :

«  J'admets que j'ai une certaine faiblesse pour les femmes jeunes et douces, d'une beauté hors du commun – mais d'une manière digne et avunculaire- et je me dis qu'après tout, je pouvais lui rendre service sans lui parler d'Azazel. »

( I. Asimov «  Un sourire qui coûte cher », 1982)

« Avunculaire ? », « a-vin-cu-laire ? », « a-vun-cu-laire ? », « a-van-cou-laire ? »..., me demandai-je, dérangée dans ma lecture et un peu étourdie. « Mais qu'est-ce que c'est que ce truc... ». Restant à distance pour jauger la chose qui venait de me frapper au coin de la figure, je regardais les lettres du mot en y cherchant un indice étymologique quelconque. Je n'en vis aucun. Mon latin rudimentaire n'était d'aucun secours.
La chose semblant inerte, elle-même peut-être également étourdie par la collision, je m'en suis approchée pour la saisir à deux mains et la retourner dans tous les sens.


D'après le contexte de la phrase d'où sortait le drôle de mot, je bricolais un sens :

« une manière digne, affable et bienveillante » :

un « a » privatif ;
un « vunculaire » - que je décidai de prononcer « vainculaire » - qui aurait un sens péjoratif, dans la veine d'un « vaindicatif » ;
et les deux – le « a » et le « vainculaire » - signifiant logiquement quelque chose de positif - « affable et bienveillant » - puisque le « a » privatif privait le terme péjoratif de son côté péjoratif...

Me contentant de ce bricolage, je mis le mot dans ma poche et poursuivis ma lecture. Le lendemain arriverait suffisamment vite pour que je le « googelise » et en trouve le sens véritable.

Bien. Maintenant, je l'ai, le sens officiel de ce mot. Comme je suis un peu joueuse, je ne vais pas vous le verser tout cuit dans le bec. Non, je vais tenter de vous le présenter à ma manière.

Le sens est caché dans ce petit texte que je me suis empressée de rédiger ce matin, emportée par l'enthousiasme de la connaissance nouvelle et de l'étonnant à-propos de cette rencontre sémantique ( en effet, depuis quelques jours, il se trouve que je réside dans une maison avunculaire) :

« Le vide a vaincu l'air.

Oncle Patrick aimait voler. Dans les airs, s'entend. Pas à l'étalage.

A l'âge de 14 ans, sacré plus jeune bachelier de son année, il passait son brevet de pilotage.

Devenu mathématicien et bidouilleur de milles choses, pendant plus de 50 ans, Oncle Patrick a vaincu l'air.

Sa passion pour le vol-à-voile aura toutefois eu raison de lui.

Cette passion avunculaire aura laissé place à un grand vide.

Un vide avunculaire. »

Je brouille volontairement un peu les pistes sinon ce serait trop facile. Le mot « avunculaire » n'a de fait rien à voir avec le vol ou l'air, et tout à voir avec l'oncle.
Du latin « avunculus : oncle maternel », signifiant assez largement «  qui est relatif à un oncle ou une tante », il se prononce d'une manière qui me chagrine un tantinet : « avONculaire ».
Je préférerais qu'on le prononce « avAINculaire », étant donné l'écho que ce drôle d'adjectif me fait entendre avec le mot "vaincu".
Un oncle qui a passé son temps dans les airs, chevauchant le vide sans vergogne et disparu trop tôt des suites de sa passion, laissant, à sa place, un vide incommensurable, trop plein d'air et terre-iffiant, donne à mon « avunculaire » une texture étonnement pleine.

Finalement, c'est l'oncle qui remplit une chose avunculaire. Mieux, c'est le rapport entre l'oncle et la nièce (ou le neveu, ou la tante), qui donne sens à cet adjectif. Le mot, pris tout seul, ne veut pas dire grand chose. Il est comme une coquille vide. Et chez moi, « avONculaire » ne permet pas de rendre compte de tout ce que le terme recouvre. Bien au contraire :  avONculaire renvoit à "oncologie", ou encore à "furoncle", et cela ne me plaît pas. Alors je me dis que je peux bien décider, d'un commun accord avec moi-même, de prononcer le mot « avAINculaire ». Les autorités peuvent bien m'accorder une dérogation, n'est-ce pas ? Regardez : dans « commun », « un » se prononce « in ». Pronocé de la sorte, le mot "avunculaire" prend tout son sens à mes oreilles. Un sens avunculaire, tout spécifique à la mémoire de mon oncle, affable et bienveillant.

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