(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.)
Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant
est sa capacité à inventer, à créer. Bien sur il pense, il réfléchit, ce qui
est déjà bien, mais lorsqu’il crée, il se passe quelque chose de mystérieux. C’est
ce mystère-ci que je propose d’aller sonder.
Qu’est-ce que peut bien être une création ? Qu’est-ce
que créer ?
Ce que l’on peut faire pour tenter de comprendre quelque
chose à cette étrange créativité, c’est réfléchir ensemble et ouvrir ainsi des
pistes de réflexion.
Pour cela, je vous emmène en balade et notre balade commence
maintenant, avec le « scientifique ». Ce drôle de personnage sera rejoint, plus tard, par un autre olibrius: l'"artiste". Tous deux sont en effet "exemplaires" lorsqu'il s'agit d'illustrer la créativité.
Alors, qu’est-ce qu’un scientifique ?
On peut dire simplement qu’un scientifique est un homme qui cherche,
en respectant une démarche faite de normes, de postulats, de protocoles et d’hypothèses.
Il cherche et parfois, il trouve.
Tout au long du processus, une tension se manifeste entre la contrainte protocolaire inhérente à la démarche scientifique, permettant à tout chercheur de chercher, et le sursaut de créativité qui donne sens à cette recherche. Mais commençons tranquillement.
Tout au long du processus, une tension se manifeste entre la contrainte protocolaire inhérente à la démarche scientifique, permettant à tout chercheur de chercher, et le sursaut de créativité qui donne sens à cette recherche. Mais commençons tranquillement.
1 – La démarche scientifique illustrée
Qu’est-ce qu’un scientifique qui cherche ?
Quand un scientifique cherche, il ne cherche pas
nécessairement quelque chose. Car quand on cherche quelque chose, on a de
fortes chance de trouver ce quelque chose, or il est très probable que le
quelque chose que l’on trouve parce qu’on le cherchait, ne soit pas vraiment ce
que l’on cherchait, si vous voyez ce que je veux dire… En gros, quand un
scientifique cherche, il étudie. Et quand il trouve, c’est qu’il comprend un
peu plus.
Je vous propose d’illustrer tout cela.
Imaginons un bonhomme
–notre scientifique- à l’orée d’une épaisse forêt très sombre et noyée dans le
plus dense des brouillards.
De bonnes chaussures de marche aux pieds, un sac à dos
contenant tout le nécessaire de survie et notre bonhomme est paré pour commencer
à se frayer un chemin dans cette forêt que personne n’a encore traversée.
Pour schématiser, disons que notre scientifique, à l’orée de
son épaisse forêt de brouillard, cherche une réponse à une question : « Est-ce le brouillard qui rend cette
forêt si sombre ou bien la forêt serait-elle aussi sombre sans ce brouillard ?»
Il commence à avancer, avancer et avancer jusqu’à avoir l’impression
de tourner en rond puisque partout, il ne semble y avoir que forêt et
brouillard enlacés. A aucun moment, où que se pose son regard, il ne peut dissocier le brouillard de la forêt et l'ensemble crée une obscurité encombrante. Il se demande alors
s’il a posé la bonne question. A force d’avancer, il réalise que c’est l’obscurité de l’ensemble qui est problématique et il
reformule une autre question :
« L’obscurité
existe-elle au-delà de cette forêt ? »
Puis il reprend sa marche dans une autre direction. Plusieurs
fois, notre bonhomme s’arrêtera, coincé dans une impasse, et reformulera sa
question :
« Le brouillard peut-il exister sans qu’il y ait de forêt dans laquelle s’engouffrer ? »,
« Existe-t-il plusieurs forêts ou bien n’existe-t-il qu’une seule et immense forêt ? Une forêt infinie ? »,
« Existe-t-il plusieurs forêts ou bien n’existe-t-il qu’une seule et immense forêt ? Une forêt infinie ? »,
Etc.…
Un ensemble de questions prend forme.
Un ensemble de questions prend forme.
En fait, chercher, étudier, c’est cela : c’est
reformuler ses questions, c’est modifier l’agencement des termes qui la
composent. C’est interroger chacun des termes qui la composent, avant d’en
ajouter éventuellement d’autres qu’on aura au préalable questionnés. Et toutes
ces questions qui se répondent et se renvoient les unes aux autres permettent à
notre scientifique de se frayer un chemin aux nombreuses ramifications et aux
bifurcations inévitables, dans sa grande forêt mystérieuse. Un réseau de
concepts, d’idées et d’hypothèses se met en place et constitue une sorte d’exploration
topologique. D’idées en concepts et en reformulations, la réflexion se nourrit,
la forêt se laisse parcourir.
Au bout d’un certain temps, si l’on regarde le réseau de
sentiers que notre scientifique a percé dans la forêt, on remarque que certains
sentiers sont très accidentés, que d’autres à la limite du praticable s’arrêtent
brusquement (c’est que notre homme aura dû faire demi-tour), et d’autres encore
sont au contraire confortables, larges et bien dégagés. Certains sont sportifs,
il faut grimper, d’autres sont glissants, mais ce n’est pas pour autant qu’ils
ne mènent nulle part pour peu que l’on fasse l’effort de les emprunter, ou qu’on
ne se laisse pas rebuter par leur abord peu engageant.
Dans ce réseau, on remarque également certains endroits où l’on
sait qu’on peut s’assoir un temps, pour se reposer, reprendre des forces. Ces
endroits sont comme des points de « stabilité hypothétique », c'est-à-dire
qu’à ce point de la réflexion, de l’exploration, les postulats retenus, les
concepts évoqués, permettent de formuler une hypothèse qui résiste à la
contradiction. On peut s’y fier, du moins pour un temps raisonnable, avant de
reprendre sa marche vers l’incertain.
Laissons là la vue d’ensemble du réseau et zoomons à nouveau
sur notre scientifique qui continue à se frayer un chemin.
Mettons que notre randonneur se trouve, précisément au
moment où nous zoomons sur lui, dans une impasse et obligé de rebrousser
chemin. Ce qui l’empêche d’aller plus loin peut être un précipice terrifiant qu’il
ne peut franchir faute d’avoir le matériel adéquat, par exemple. Il rebrousse alors son chemin jusqu’au dernier
point de stabilité qu’il a déterminé. A partir de ce dernier, il partira dans
une autre direction. Il se peut également que notre randonneur soit forcé
de rebrousser chemin au-delà de son
dernier point de stabilité hypothétique si, à partir de ce dernier, il n’a pu
ouvrir aucune voie praticable.
La recherche est fastidieuse, minutieuse, rigoureuse,
exigeante. (Et passionnante!)
Cependant, que notre scientifique avance ou rebrousse
chemin, chacun de ses mouvements constitue une avancée. Ainsi, savoir que ce n’est
pas dans telle direction qu’il faut poursuivre est aussi important que de
savoir dans quelles autres directions on peut aller.
A force d’avancer et de rebrousser chemin, notre
scientifique a fini par délimiter un secteur où il peut évoluer. Ce qui était
une impasse lorsqu’il venait de la droite s’est avéré franchissable lorsqu’il
passait par la gauche. Si bien que maintenant, notre chercheur s’est familiarisé
avec une bonne partie de la forêt.
Cependant, le secteur dans lequel il évolue est
bordé à certains endroits par un précipice affolant, et à d’autres par une falaise
inconcevablement haute.
A cette étape de l’exploration, notre randonneur ne pense
plus au brouillard, à l’obscurité, ou à l’unicité éventuelle de la forêt. Ses
questionnements ont bien changé au fur et à mesure de sa progression. Ce qui l’obsède désormais c’est de comprendre
pourquoi lorsqu’il veut continuer à avancer il tombe parfois sur une falaise,
parfois sur un précipice.
« Y a-t-il une continuité
entre les deux qui borderait toute la forêt? La falaise que je vois d’en
bas est-elle le précipice qu’ailleurs je vois d’en haut ?
Et comment expliquer que sans avoir l’impression
de monter davantage que de descendre ou bien l’inverse, la falaise d’un endroit
devienne précipice plus loin ?
Puis-je prévoir sur
quoi je tomberais si je prends telle direction ? Tomberais-je nécessairement
sur l’un ou l’autre ? A un moment, ne pourrai-je pas trouver un passage …. »
Un bel imbroglio justement vertigineux…
… Qui n’a pas finit
de tourmenter notre chercheur.
Assis à quelques mètres de la falaise, il réfléchit :
« Je peux tenter
de suivre la falaise…
… Je peux aussi rester
sur mes sentiers et étudier plus spécifiquement leurs dénivelés respectifs,
pour savoir si ces derniers peuvent expliquer pourquoi içi je tombe sur une
falaise, et ailleurs sur un précipice…
… Si je voulais escalader
la falaise, que me faudrait-il ? Et où pourrais-je trouver ce qu’il me
faut ?
… Je peux peut-être
tenter de retrouver l’orée par laquelle je suis entré… Mais, étais-je vraiment
à l’orée de la forêt ? N’étais-je pas déjà dedans ?
… C’est vrai tiens, qu’y
avait-il exactement derrière moi avant que je ne m’engage droit devant…
Par tous les Arbres, je
ne sais pas comment je suis arrivé à mon point de départ ! Je suis
complètement perdu et je ne sais plus ce que je cherche !.... »
Je vous laisse un instant apprécier le désarroi très certain
dans lequel notre bonhomme s’enfonce.
Ces grands moments de solitude sont propres à tout chercheur
consciencieux. Ils ont beau être intensément déstabilisants, ces moments n’en
sont pas moins passagers, et heureusement.
Pendant que notre ami désespère, prenons le temps, nous
aussi, observateurs que nous sommes, de réfléchir un peu.
Depuis le début de son exploration, notre chercheur a déjà
fait preuve, à de nombreuses reprises, de créativité. Ainsi, alors qu’il se
trouvait dans une impasse, il a rebroussé chemin et ouvert une autre piste qui
lui a permis de surmonter ce qui l’avait auparavant empêché d’avancer. Et il a
fait cela plusieurs fois, si bien qu’il a finalement exploré la presque
totalité de la forêt. Il ne pouvait en être autrement, pouvons-nous nous dire,
car à force de marcher, il allait forcément avancer. Pour ne plus avancer, il
eut fallu qu’il abandonnât son exploration.
Maintenant, cependant, notre homme a l’air sérieusement
coincé, comme pris au piège d’un territoire qui lui est familier mais qui est
aussi, malheureusement, cerné d’infranchissable.
Comment peut-il poursuivre son exploration alors qu’il ne
sait plus ce qu’il cherche, ni comment il est arrivé là ? Qu’il est épuisé
et, littéralement, au bord du gouffre ?
C’est ce que nous allons voir, ensemble, si vous voulez bien
vous donner la peine de continuer notre balade.
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