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mercredi 27 janvier 2016

Croyance

A l'origine, ce texte a été écrit à un ami. Il fait suite aux articles "Espoir et espérance" et "retour de bâton"

Janvier 2016:

Juste un petit retour sur ce que je disais dernièrement à propos des règles /lois :
Ce qu’on appelle les « lois » physiques rendent compte de l’ordonnancement de la matière. Quand on emprunte le mot « loi », on laisse la possibilité d’imaginer que quelque chose d’extérieur ou de supérieur, une sorte d’autorité par exemple, a légiféré, a dicté la loi. Je trouve le mot loi inapproprié précisément pour cette raison. Je préfère le mot « règle ». Et s’il n’y avait pas de lois mais plutôt des règles ? Partout, tout autour de nous. Qu’en penses-tu ? Des règles de fonctionnement, un réglage complexe des rouages du vivant… Le terme et l’idée de règle impliquent quelque part l’idée de mesure, comme une règle graduée, et c’est cela qui est vraiment intéressant. En partant de l’idée de règle et de mesure qui seraient au fondement de l’ordre des choses, et non de loi, on ouvre la possibilité que les mathématiques soient en effet partout dans la nature. Mettons que les mathématiques que nous connaissons, celles qui décryptent les structures du visible et qui prolongent ainsi le visible dans l’invisible, ces mathématiques qui traitent de l’espace et du temps – de l’espace-temps- dans lequel s’inscrit la matière, mettons que ces mathématiques ne soient qu’une petite partie d’un grand corpus mathématique qui rende compte d’un ensemble de règles bien plus vaste. Il se peut qu’il existe d’autres mathématiques qui prolongent un invisible ici qui nous entoure, dans l’invisible… qui nous entoure sans être plus distant ! Je n’ai pas fumé et ne suis pas défoncée. Je veux simplement dire qu’il n’y a pas que la matière qui obéisse à des règles, tout le vivant obéit à des règles auxquelles on a difficilement accès. Des règles que les sciences du vivant ont bien du mal à appréhender. Des règles que nos mathématiques ne permettent pas encore d’appréhender (là j’extrapole, voire je rêve).
- Que faire quand la loi des hommes n’est pas conforme aux règles du vivant ?
- Et surtout, question fondamentale : comment pouvons-nous connaître les règles du vivant ? Par quel moyen ? On se doute bien que ce n’est pas la démarche scientifique à proprement parler qui nous permettra de découvrir ces règles, démarche qui, dans sa nature profonde de rationalisation (distinction de concepts, de propriétés, découpage de la matière) est fondamentalement incompatible avec le principe de mouvement continu du vivant… (de nouvelles mathématiques !! )
Bref.
Un exemple de règles du vivant :
Se nourrir « correctement » : comment savoir ce qui est bon pour nous ? Manger végétal est sensé être meilleur que manger carnivore (des « études scientifiques « le disent…) On peut commencer par manger plus de légumes et de fruits et diminuer fortement la viande et voir ce qui se passe dans notre corps. Il est difficile de se priver de manger de la viande si on le fait sans conviction. Il faut donc une intention sincère, une motivation pour aller vers un mieux.
Ne pas respecter les règles du vivant conduit l’homme à tomber malade, au sens premier comme dans un très élargi (« la société est malade »).
En parallèle à ce régime fortement végétal, on imagine que les exploitations industrielles de porcs en élevage ou autres animaux, contrevient au respect des règles du vivant, de même que l’agriculture chimique, que la modification génétique. Au stade ou en sont nos connaissances, nous ne sommes pas prêts à jouer avec la biochimie du vivant. Peut-être un jour serons-nous prêts, mais pas maintenant. La sagesse (qui nous fait défaut) voudrait qu’avant de toucher à la nature, on l’observe
suffisamment longtemps. Je parle d’une observation de plusieurs siècles, et donc de générations entières d’hommes qui transmettent le fruit de réflexions basées sur les observations faites, à d’autres générations. L’accumulation d’un grand savoir naturel. Les sociétés traditionnelles et désormais marginales sont dépositaires d’une petite partie d’un savoir naturel qu’il nous faudrait savoir entendre, discerner, derrière le poids de traditions qui nous sont étrangères, derrière nos préjugés, etc. Dans de nombreuses sociétés et petites communautés, tout apprentissage commence par des années d’observation sans rien toucher et sans rien dire, dans le silence. On regarde et on écoute. On lit, on apprend.
Enfin, un mot sur la croyance afin de boucler (à la façon dialectique d’un devoir de terminal) la réflexion qui a été amorcée :

Résumé de l’hypothèse 1 (texte Espoir et Espérance): la croyance remplit une disposition naturellement présente en l’homme, un besoin de foi. L’homme se construit un récit, un rapport au monde, qui nourrit une espérance et donne du sens à son existence. Le sens auquel on croit se concrétise dans des gestes quotidiens intentionnés, remplit de sens, qu’on peut appeler « petits rituels » (ou grands). Ces rituels peuvent constituer une sorte de règle tout droit sortie de la croyance quand cette dernière est partagée par une communauté.

Résumé de l’hypothèse 2 (texte Retour de bâton): la croyance est liée à l’ignorance. Le manque de connaissance engendre la construction de récits sans fondements, pouvant conduire à la superstition et à la dévotion, à la soumission à des règles rituelles qui, parce que pouvant être non conformes aux règles du vivant ignorées, ne permettent pas l’épanouissement de l’homme.
Le rituel peut être séparé de la croyance et devenir une marque de respect de la règle du vivant dont on a connaissance. Le rituel est important car il donne en effet du sens à notre existence. Il vaut mieux que ce rituel repose sur une connaissance que sur une croyance qui comble une ignorance.

Partie 3 :
Ce n’est pas parce qu’une croyance comble souvent une ignorance qu’une croyance n’accompagne jamais la connaissance. Croyance et connaissance ne sont pas ennemies.
Croire ce que l’on sait, c’est aimer le fruit de la connaissance. Croire, c’est aimer.
Mais ce n’est pas tout. Il peut y avoir plusieurs degrés de crédulité, quand la croyance n’est pas liée à une connaissance.
Une croyance qui comble un vide de connaissance peut ne pas être une soumission mue par une crainte. Cette croyance peut aussi être un affect : j’aime un récit, une vision. Cette croyance peut constituer une vérité personnelle qui peut être partagée, discutée, etc, mais qui ne peut en aucun cas être érigée en vérité générale.
Le problème est de déterminer efficacement un critère qui distingue bien une croyance d’une connaissance car ce que nous jugeons de notre point de vue être une croyance chez l’autre peut être une connaissance à ses propres yeux, et vice versa, ce que nous jugeons connaissance pour nous peut être perçu comme une croyance aux yeux de l’autres…. J’ai bien peur qu’un tel critère soit
infiniment compliqué à trouver. (Tant mieux, cela laisse place à la discussion – et à la guerre malheureusement si nous ne nous armons pas de tolérance…).
Par exemple, on peut croire de différentes manières dans la bible. On peut aimer les écritures, aimer le christ, etc, on peut croire aussi mot pour mot ce qui y est écrit, on peut être persuadé que la bible relate une vérité factuelle, tandis que pour d’autres elle présente une vérité de cœur universelle et adogmatique. On peut aussi croire en la bible par crainte des représailles d’un dieu peu miséricordieux. Il existe plusieurs façons de croire, en terme d’intensité (au point d’assimiler parfois sa croyance à une connaissance) et en terme de couleur d’affect (amour ou crainte).
Ce n’est pas la crainte qui devrait engendrer une croyance, mais l’amour pour une idée belle qui susciterait un affect. Cette idée peut être le fruit d’une connaissance ou pas. Toujours est-il qu’il me semble intéressant que cette idée belle, si, par une expérience de pensée par exemple, on la met en pratique et on la généralise, elle devrait respecter les trois principes de la morale Kantienne. Ces trois principes me semblent constituer un bon critère à l’aune duquel réévaluer le degré de croyance (d’amour) à porter à notre idée. (Je dis réévaluer car il est probable qu’un affect soit spontané, ce qui ne l’empêche pas d’être réévalué, comme je disais). Aussi le critère de beauté, aussi subjectif soi t-il, est à mon avis un critère qui peut révéler que l’on n’est assez proche du vrai ou du juste.
Croire véritablement, c’est aimer. Donc croire (de manière générale), ce devrait être aimer et non craindre. C’est en soi, en son for intérieur que cela se travaille. Si croire c’est aimer, cela veut aussi dire que l’ignorance aussi vaste soit-elle ne doit pas être un motif de crainte. On peut aimer notre ignorance car elle est constitutive de notre condition d’homme. C’est elle qui engendre les fabuleux récits que nous sommes capables d’inventer, dans une tension naturelle avec nos connaissances qui elles aussi nous inspirent. C’est avec cette forme de croyance qui est une forme d’amour, qui accompagne aussi bien notre connaissance que notre ignorance, qu’il faut se réconcilier.

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