Aujourd’hui, en milieu d’après-midi, j’ai été prendre un café avec une copine. Il
faisait beau et doux et nous avons décidé de nous retrouver à une petite
terrasse en ville, après qu’elle ait déposé son fils de 8 ans à son cours de
batterie.
« Je suis habillée comme je sais pas quoi aujourd’hui,
j’ai mis un truc ample pour aller au yoga ce matin et un truc chaud en haut
parce qu’il commence à cailler, je me suis pas changée… mais bon, on s’en fout non ? dit-elle.
- Biensûr qu’on s’en fout.
- Alors on s’en fout. »
Après avoir fait le tour des derniers épisodes émotionnellement
pertinents des derniers jours et avoir vidé nos tasses de café respectives,
nous allons ensemble récupérer le fiston à la sortie de son cours. Le pas est
léger, le cœur aussi. Nous rions de nos faiblesses, de nos bêtises, de nos
espoirs.
-On raccompagne Marie chez elle, ok ? dit-elle à son
fils.
Toutes à notre conversation, suivies de près par le jeune
homme qui s'amuse dans les feuilles mortes rassemblées sur le bord du trottoir, nous passons devant chez moi et ne nous arrêtons pas. Arrivées devant
chez elle, elle dit :
- Du coup, c’est toi qui nous a raccompagnés. Tiens, est-ce
que tu aimes les figues, y’en a plein le jardin, si tu en veux…
Je la suis chez elle, dans le jardin. Son téléphone sonne et
elle répond pendant que je cueille quelques figues.
- C’était pour le boulot. Je devais jouer demain mais c’est
annulé.
- Ah bon ? mais pourquoi…
- Je devais jouer demain à Grenoble, à l’hôpital des enfants.
Y’en a un qui vient d’être admis dans l’unité de fin de vie, et comme je devais juste faire un remplacement dans leur équipe, que je ne connais pas cet hôpital, ils ont préféré m’éviter de vivre ça. Pour une première fois dans un nouvel endroit, c'est un peu rude.»
Le souffle coupé, j’arrache la figue qui résistait sur sa
branche alors que la maturité la présentait comme prête à tomber.
Aujourd’hui, j’ai pris un café avec Rosalie, clown en milieu
hospitalier, clown auprès des personnes âgées atteintes d’Alzeimher, clown
auprès des enfants malades.
Je suis profondément touchée par ces personnes qui
ressentent cette vocation, celle d’être là pour
ceux qui n’ont plus rien et qu’on rassemble dans des hospices en
attendant la fin. Les clowns sont des gens extraordinaires et je tiens à leur
rendre hommage. J’ai eu la chance, grâce à Rosalie, de pouvoir observer de près
leur travail. De les suivre dans l’intimité des chambres d’hôpital. Ce qu’ils
arrivent à toucher chez le patient alité est tout bonnement merveilleux. Ils obtiennent
un contact. Un déridement , un soulèvement de sourcil, une perplexité, un
décalage qui fait réagir, sourire, qui anime l’être occupant la chambre. Par la
légèreté, par leur culot, leur provocation toute en douceur, ils permettent de
briser les barrières de compassion convenue qui est celle que le bien-portant
ressent presque par obligation quand il est face à un malade. Là, non. Il n’y a
plus de malade. Il y a Huguette, Jérôme, Jaques, Antoine, Mélanie. Il y a les
parents auprès de leurs enfants, et tout le monde réagit face à la maladresse
du clown, sa familiarité, sa douceur. Le clown capte l’attention. Par sa présence,
ses chansons, son affirmation, son arrogance volontaire, toujours adaptée à la
seconde près face à ce que renvoie la personne pour laquelle il fait le clown, il
est comme un cheveu hirsute qui tombe
sur la soupe froide. Il dérange gentiment. Il relègue au dernier plan la
tristesse. Il Anime, il apporte le vivant là où le vivant semble s’effacer
naturellement derrière la maladie et la fin de vie.
C’est un métier difficile. Pouvez-vous imaginer combien il
faut être fort pour surmonter l’ambiance qui règne dans un hôpital, pour
surmonter son propre émoi face à un enfant mourant qui a l’âge de son propre
fils, ou face à une vielle femme qui a l’âge
de sa propre mère ? Combien il faut surmonter ses propres émotions pour
donner de la joie, apporter de la vie et s’oublier soi-même ?
Vraiment, pour l’avoir vu de mes propres yeux, les clowns
font un travail extrêmement important auprès de leur public hospitalisé. Les
parents des enfants malades en témoignent, le personnel hospitalier aussi, et
la présence de ces Trublions de la vie devrait se généraliser dans tous les hôpitaux.
C’est un métier difficile et ceux qui ont choisi la voie du Nez en milieu
hospitalier ne l’ont pas choisie par plaisir et légèreté, mais par vocation,
répondant à un appel profond de compassion profonde pour leur prochain. Ils
défendent, consciemment ou non, le fait que toute vie est bien vivante tant qu’elle
n’est pas morte. Que jusque au dernier moment, l’amour et la joie doivent s’imposer
sur la tristesse et la fatalité. Ils méritent tous nos encouragements, notre
reconnaissance, notre soutien. Ils sont
trop souvent incompris et jugés à l’aune de critères faux.
Combien de fois avons –nous vu un mourant, quel que soit son
âge, réconforter son proche qui va lui survivre ? Le clown incarne l’étincelle
de vie qui brûle le bois jusqu’au dernier atome de matière consumable. Il est
une respiration, un souffle léger, une caresse, qui embrase ce qui reste de
vivant en toute personne, aussi malade soit-elle. Le clown fait le choix de la
vie et ce choix l’amène à se questionner sur sa propre personne, ses propres
craintes, sur sa foi en la vie, son rapport à la mort, à la douleur, à l’injustice.
Le travail qu’il fait sur lui-même pour être capable d’intervenir dans ces milieux
difficiles est extrêmement lourd. Le
clown n’est pas inconscient, il est au contraire bien plus conscient et malgré
son image encore incomprise par beaucoup tant elle est à contre courant de la
bien-pensance qui s’afflige devant le malheur, il déploie son énergie pour apporter l’étincelle
de joie là où le besoin s’en fait le plus sentir, c’est-à dire dans les hôpitaux,
mouroirs, lieux de Fin.
A nous qui sommes en bonne santé, le clown apporte aussi un
message. Tout comme le mourant nous en apporte un. Surmontons nos craintes,
notre tristesse, acceptons que les choses aient une fin et tant qu’elles ne
sont pas finies, efforçons-nous d’être dans la joie. Laissons-notre peine de
côté et accompagnons l’autre, jusqu’au bout, jusqu’au bout du voyage, et
célébrons la vie avec lui tant qu’un souffle émane de sa personne. Si nous tenons
la main de notre proche alors que la vie le quitte, souhaitons-nous qu’il soit
contrit de nous voir accablé et détruit ? Lui doit partir, contre sa
volonté, il n’a pas le choix, alors voulons-nous lui faire sentir cette
injustice ? Ou préférons-nous lui faire sentir que nous sommes là, forts,
profondément tristes mais dignes et capables de dire au revoir, que nous
acceptons son départ et ne l’oublierons jamais ? Au-delà de la peine que
ressentent ce qui restent, il est infiniment important qu’une personne parte en
paix, sans culpabiliser du fait qu’il
doive mourir. Le mourant doit savoir que nous nous en sortirons. Ses proches
doivent faire ct effort insurmontable d’accepter le départ. C’est cet effort
que font les clowns quand ils entrent
dans un hopital. Qu’ils voient sur le
visage de chaque patient celui d’un proche. Qu’ils le voient sourire. Ils se
disent : « si ça avait été mon père, j’aurais été content qu’il vive
ça. »
Vive le Nez.
AUTRES ARTICLES SUR LES CLOWNS:
http://shantee-bellefleur.blogspot.fr/2015/11/pour-lamour-du-nez.html
http://shantee-bellefleur.blogspot.fr/2014/11/rosalie.html
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