Voici un article sur Pepe Mujica, le président de la simplicité qui défraye, malgré lui, les chroniques du monde occidental.
Jose "Pepe" Mujica, président de la République Orientale
de l’Uruguay.
Avez-vous entendu
parler de ce président? Affublé de l’épithète « normal », la presse
tend à ériger ce président en exemple de ce que François Hollande prétendait
incarner : la normalité présidentielle. On est surpris, par chez
nous, de constater que la normalité présidentielle peut être davantage qu’un
effet de style démagogique.
Alors
qu’entendons-nous sur Pepe.
Depuis que le
Courrier international lui a consacré sa Une du mois de novembre 2012, les
médias se jettent sur le sujet et reprennent en boucle les mêmes
éléments : principalement le passé de Pepe, les mesures prises sous le
gouvernement de gauche et enfin, son style « décomplexé »
aimerions-nous dire.
Voici quelques liens
pour découvrir le personnage et ce qui s’en dit :
Pepe Tupamaro.
Dans les années 60,
José Mujica est un des dirigeants des tupamaros, aux côtés d’autres dissidents
du parti socialiste, du parti Nacional, d’indépendants ou de
syndicalistes. La direction du mouvement est collégiale, ce qui est déjà très
rare pour ce genre de mouvements révolutionnaires. Les Tupamaros s’engagent en
premier lieu dans la défense des petits paysans. Le nom Tupamaros vient de
Tupac Amaru, chef indo-américain qui conduisit une des principales révoltes
contre les Espagnols en 1780 dans l’actuel Pérou.
Pour faire court,
les Tupamaros défendent l’action plus que les paroles («les paroles divisent et
l’action unit ») et leur projet initial, quoique le définir théoriquement
ne fût pas une priorité, tournait autour d’une critique de la révolution du
prolétariat russe, « soutenant davantage une démocratie populaire pluripartite
et une forme d’autogestion ouvrière » pour reprendre les termes de
l’article wikipedia sur les Tupamaros[i].
A l’époque, dans les
années 60, le paysage politique compte deux partis traditionnels : le
parti Blanco (national) et le parti Colorado ; oscillant entre
conservatisme et libéralisme. De notre point de vue on considérerait ces deux
partis comme étant de droite mais le clivage droite/gauche que l’on entend ne correspond
pas nécessairement aux échelles de valeurs idéologiques latino-américaines.
Toujours est-il que le pays est pauvre et que les libertés sont bafouées.
Inspiré par la révolution cubaine de 1959, les Tupamaros défendent le petit
peuple.
En 1973, les
militaires prennent le pouvoir par un coup d’état. Les dirigeants Tupamaros
sont en majorité arrêtés par les forces armées. On les considère comme les
« otages de la dictature », soumis à l’isolement et aux tortures
quotidiennes. La dictature prend fin en 1985.
A la fin des années
80, les Tupamaros se sont intégrés au paysage politique uruguayen. Ils
ont politisé leur action. Tous les mouvements de gauche rassemblés sous une
même étiquette, le Frente Amplio (le front large) depuis 1971, accueillent en
1989 le Mouvement de Participation Populaire (le mouvement Tupamaros politisé).
Pepe a donc été
membre de ce mouvement guérillero et emprisonné sous la dictature. Il passa 9
années en isolement total. Libéré en 85, il poursuit son engagement au sein du
mouvement politisé.
Déterminés à faire
changer les choses dans le petit pays qu’est l’Uruguay, les courants de gauche
se sont unis, si bien qu’en un peu plus de 10 années, le Frente Amplio est
arrivé au pouvoir. Pepe Mujica est le second président élu issu de ce parti.
L’exemple de Pepe
Pepe est le surnom
régulier pour tous les José en « Hispanie », comme par exemple Pancha
l’est pour Francesca et ainsi de suite pour beaucoup de prénoms.
Au-delà des mesures
politiques mises en place sous le gouvernement du front large (droit à
l’adoption pour les couples homo, avortement, légalisation des drogues douces)
que les médias français soulignent, c’est la personnalité de Pepe qui suscite
la curiosité.
Ce monsieur de 77
ans à la figure débonnaire, un bon papi ventru et joufflu, ne mâche pas ses
mots. Il refuse d’emménager dans la demeure présidentielle, reverse 90% de son
salaire aux œuvres caritatives, vit dans une petite ferme avec sa femme et fait
pousser des fleurs. Son seul bien matériel consiste en une vieille et jolie
coccinelle bleue. On lit dans les journaux de ce côté de l’Atlantique que Pepe
Mujica est un président pauvre, et de citer ses propres dires : « le
pauvre, c’est celui qui a besoin de beaucoup ». « Il faut travailler
moins pour consommer moins », « Je ne suis pas pauvre, je suis
libre »… On insiste sur son refus du port de la cravate et sur sa
décomplexion protocolaire.
Ce qui m’étonne,
c’est que l’on idéalise ce monsieur. Bien sur, son exemple réchauffe le cœur,
on aimerait bien voir chez nous un homme capable de ce genre d’abnégation,
d’engagement, de fidélité entre ses dires et sa pratique. Il y en a plein
mais ces hommes là ne sont pas président de la république.
Ca nous change aussi
des dépenses somptuaires et scandaleuses que les hommes politiques d’içi et
d'ailleurs ont pour habitude de faire une fois au pouvoir.
L’Uruguay est un
petit pays de 3 millions d’habitants mais ce n’est pas cela qui explique
l’accession de la normalité au pouvoir. C’est davantage le poids des
institutions chez nous qui empêche ce genre de phénomènes.
Dans les pays qui
sont à l’origine théorique des formes institutionnelles du pouvoir (séparation
des pouvoirs législatif, executif et judiciaire, bicamérisme, citoyenneté,
codification, constitutionnalisation, etc), les institutions en question se
sont ampoulées, se sont systématisées, si bien que les institutions prennent le
pas sur les hommes qui les incarnent. Une volonté personnelle pèse peu face au
poids psychologique des coutumes. Ce n’est pas le cas ailleurs. Souvent, cette
absence de mythification des institutions induit-elle des formes de corruption.
Par exemple, en Amérique latine, la séparation des pouvoirs est souvent
joliment marquée sur le papier mais nullement respectée dans la pratique. Aussi
les hommes politiques sont-ils issus des milieux d’affaires et les lobbies
consuméristes dirigent-ils en sous-main la politique du pays au nom d’intérêts
pétroliers ou « estadounidenses » (etats-uniens). Mais là nous avons,
et c’est effectivement rare pour nous, un exemple différent.
Quand la pratique
l’emporte sur la théorie, sur la forme, sur le protocole.
Quand une
philosophie humaniste de la simplicité l’emporte sur les milliards d’intérêts
contradictoires.
Ca nous demanderait
un gros effort de notre côté de l’océan pour dépasser les fausses excuses qui
nous retiennent dans notre confortable modèle de société, mais ce n’est pas
impossible. On voit d’ailleurs souvent les pays que l’on jugeait émergents nous
donner des exemples en matière d’écologie et de développement durable. Ce
n’est, à mon humble avis, que le début.
Libertad
Ce qui nous touche
chez Pepe, c’est la forme de sagesse qu’il incarne. Sa philosophie pratique de
la liberté. Nous concevons ce qu’il définit comme sa liberté comme étant le
résultat d’une « renonciation ». Or ça n’en est pas une car on ne
renonce pas à ce qu’on ne désire pas. Nous concevons ce qu'il définit comme sa
liberté comme étant le résultat d’une forme d’austérité mais ça n’en est pas
non plus, car il a tout ce dont il a besoin (sa compagne, un toit sur la tête,
un chien, une occupation honorable (les fleurs), et un engagement pour l’esprit
(la défense de ses idées). Tout le travail que nous ne voulons pas faire
consiste à apprendre à ne plus désirer toutes les autres choses, ces choses
matérielles qui nous rassurent parce qu'elles nous possèdent et nous limitent.
Le plus étonnant à
nos yeux, je pense, c’est que cet homme est apparemment vacciné contre la
« maladie du pouvoir ». Oui, car qui, motivé par les plus belles
idées, une fois les clés du coffre-fort en main, - gagnant du loto, président-
conserve son idée première ? Qui ne succombe pas à l’effet grisant que
procure la détention d’un pouvoir ? Il faut apparemment avoir traversé les
plus dures épreuves de la vie, médité longtemps, pour percevoir le sens de la
vie autrement que comme un profit égoïste.
Il faudrait creuser davantage pour connaître la réalité
économique du pays. J’ai noté cependant que l’éducation était une priorité (ce
qui est une bonne chose car l’éducation est fondamentale).
Autre petite question : concernant la citoyenneté. La
citoyenneté peut être perdue pour toute personne jugée inapte physiquement et
mentalement. La citoyenneté étant composée du devoir de vote (obligatoire) et
de son pendant en droit. Il faut creuser la question du traitement politique et
social des « décitoyennisés », en gardant bien à l’esprit que
« citoyenneté » chez nous ne recouvre pas forcément la même réalité
que « citoyenneté » là-bas.
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