La philosophie est un vaste domaine.
Elle prend aussi
différents visages. Parfois, elle prend celui d’un historien qui retrace le fil
des idées philosophiques et de leurs auteurs depuis un passé lointain jusqu’à aujourd’hui.
D’autres fois, la philosophie questionne.
Lorsque la philosophie questionne, elle s’intéresse à des
sujets à l’abord compliqué, c’est-à-dire des sujets que notre quotidien ne nous
met pas sous le nez régulièrement. Pourtant ces sujets sont très importants :
il peut s’agir de la condition humaine, du sens de la vie, de la foi et des
idéologies, de la nature de la réalité.
Grâce à ce questionnement, la philosophie garde l’esprit en
alerte. Elle tente de ne rien considérer comme « allant de soi ».
Elle permet de remettre en cause des idées reçues et de se projeter dans un « autrement »
potentiel.
Elle cherche avant tout à réconcilier l’homme avec lui-même.
Il est une question qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai
abordé certains concepts mathématiques. Pour être plus précise, disons que
certains concepts mathématiques m’ont permis de poser une question dont les
termes avaient déjà été soulevés au cours de réflexions sur le temps et la rationalité.
Voici de quoi il retourne.
En mathématiques, il existe un problème très important sur
lequel de très grands esprits se sont penché (Newton, Leibnitz, Cantor et beaucoup d'autres) : c’est l’opposition
entre discret et continu. Il apparaît que notre esprit ne peut concevoir
quelque chose de continu autrement que comme une succession d’éléments
discrets.
Un élément discret est simplement un élément dénombrable, séparable,
unitaire, distinct d’autres éléments. Le caractère discret, c’est- à-dire
séparable, dénombrable, est applicable à toute sorte de choses. Par exemple, un
gaz est constitué de particules, l’eau est aussi constituée de particules. En mathématiques,
Newton et Leibnitz ont inventé une manière d’étudier le mouvement d’un fluide
qui consiste à dire, dans un premier temps, que le fluide est constitué d’une
infinité de points. Ensuite, il s’agit de calculer la position, la vitesse, de
chaque point en chaque endroit pour prévoir l’écoulement du fluide étudié.
Ceci n’est qu’un exemple de la difficulté qui existe dans la
conception de choses discrètes (distinctes) et de choses continues.
Je me suis demandée pourquoi nous rencontrions une telle
difficulté à concevoir le continu autrement que comme le mouvement de choses discrètes.
Tout d’abord, je me suis confrontée à l’intraitable rationalité.
La rationalité est une faculté qui nous est chère. Ici, dans les pays
occidentaux plus qu’ailleurs. Nous avons une histoire des idées qui nous a
présenté la Raison comme étant ce que l’homme avait de plus efficace pour
acquérir des connaissances, pour comprendre. La rationalité repose sur des
processus logiques rigoureux. Elle est objective, c’est-à-dire que n’importe
quel homme peut suivre un processus logique et aboutir a la même conclusion. La
rationalité n’est pas tributaire de l’individu qui l’emprunte.
La rationalité généralise des phénomènes pour pouvoir les
prévoir. La rationalité a établit un principe fondamental : le principe de
causalité. Une même cause produit un même effet. Et toute chose est la
conséquence d’un ensemble de choses. De manière générale, la raison CONCOIT, c’est
–à-dire qu’elle extirpe des éléments de ce qui les entoure. C’est la base de
son fonctionnement. En conclusion de ma réflexion, je me disais que CONCEVOIR
est un acte de DISCRETISATION, et qu’à partir de là, il nous serait en effet difficile
de CONCEVOIR le CONTINU.
Qu’il soit difficile de concevoir le continu, c’est une
chose qui ne semble pas nous faire avancer, mais avoir conscience que c’est la
raison qui rend cela difficile, c’est une avancée. Une petite avancée.
Je me suis ensuite posée une autre question : dans
quelle mesure la discrétisation imprègne-t-elle notre manière de voir le monde,
de le penser, et de nous penser, en tant qu’hommes dans le monde.
La réponse à cette question n’est pas très compliquée :
la discrétisation est omniprésente dans notre manière de voir le monde. Elle l’est
principalement dans la pensée occidentale. Les notions d’individualisme, de
libéralisme économique (capitalisme) sont des idéologies qui reposent sur l’idée
absolue selon laquelle tout ce qui constitue la réalité avec laquelle nous
pouvons interagir, est DIVISIBLE.
Par exemple, les individus sont des corps séparés les uns
des autres, c’est un fait, mais l’individualisme repose plus sur ce qui sépare
les individus que sur ce qui les relie.
Ensuite les exemples sont innombrables : différenciation,
marchandisation de plus en plus de choses à
la limite de l’éthique, matérialisme, satisfaction de l’intérêt personnel…
Cette réflexion sur le discret, si elle ne donne pas de
réponse ni de solution à quelque problème, a le simple mérite d’apporter un
léger éclairage sur certains phénomènes importants. Elle ouvre la voie à d’autres
réflexions. Surtout, cette réflexion affirme que la nature discrète de la
réalité que nous percevons est relative à notre mesure. C’est à dire qu’il peut
être hasardeux de spéculer sur une séparabilité toujours vraie, à toute
échelle, de tout ce qui nous entoure. Il peut être envisageable que la discrétisation
soit une affaire d’hommes. D’hommes trop rationnels…
Article : La discrétion de l'homme moderne
Article : La discrétion de l'homme moderne
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