J’aime beaucoup ce genre de titres pompeux qui
ne veulent rien dire… Cependant, de tous les titres qui m’ont traversé l’esprit, c’est celui-ci
qui correspond le mieux à ce dont traite le présent petit texte.
De la constance de la lune
En cette douce soirée du mois de juin, sur une petite route perdue
au cœur des Vosges, je me promène avec mon père.
La nuit tombe sur notre promenade. Tous les deux avons décidé de faire une petite marche sur la route qui sinue entre quelques montagnes. Il n'y a pas de maisons au bord de cette route. Partout où le regard se porte, il n'y a que des montagnes, des arbres, un ruisseau coule en contrebas et longe la route. Nous sommes seuls.
La nuit tombe sur notre promenade. Tous les deux avons décidé de faire une petite marche sur la route qui sinue entre quelques montagnes. Il n'y a pas de maisons au bord de cette route. Partout où le regard se porte, il n'y a que des montagnes, des arbres, un ruisseau coule en contrebas et longe la route. Nous sommes seuls.
Le pas de mon père est lourd. Tout est lourd, terriblement lourd. Les respirations se font avec effort. Elles se veulent profondes, comme si l’oxygène manquait dans cette nature.
Mon père a du chagrin. Un vrai chagrin. Son grand frère vient de mourir dans un accident de planeur. Ce frère unique vient de nous quitter en plein vol. En plein exercice de sa passion. Mon père vient de perdre son frère et il se promène avec sa fille, la nuit.
Mon père a du chagrin. Un vrai chagrin. Son grand frère vient de mourir dans un accident de planeur. Ce frère unique vient de nous quitter en plein vol. En plein exercice de sa passion. Mon père vient de perdre son frère et il se promène avec sa fille, la nuit.
Cependant, mon père avance. Marcher lui fait du
bien.
Son regard se pose sur les bois alentours, les montagnes sombres un peu
plus loin. La phrase qu’il vient de prononcer,
il y a quelques minutes, comme un éclair brisant le silence, résonne dans ma tête : « c’est beau la
nature ».
A travers ce petit commentaire que l’on pourrait juger anodin,
je vois quelque chose d’essentiel.
Je vois l’effort qu’il fait pour « continuer », l’effort
qu’il fait pour ne pas laisser les pensées les plus sombres l’envahir. Je réponds un "oui" sincère qui sort du plus profond de mon coeur. Oui, c'est beau la nature. C'est inespéré, touvé-je en cet instant, de reconnaître la beauté au milieu du plus profond chagrin. Toutes mes pensées se focalisent alors sur le réconfort que la nature apporte à mon père. Je souhaite que ce réconfort soit immense et balaye la peine. Cette peine lourde qui ralenti nos pas, comme si la gravité avait doublé et que chaque mouvement nous demandait plus d'effort.
Une grosse boule jaune dans le ciel, un peu sur le côté, me fait plisser les yeux. Sa lumière rompt la mélancolie et je me sens dérangée dans mon chagrin. Elle rayonne si pleinement que j'y vois d'abord de l'arrogance.
En mon for intérieur, je l’invectivai alors de la sorte :
En mon for intérieur, je l’invectivai alors de la sorte :
- Hey, toi, tu ne pourrais pas te faire plus discrète et respecter la
douleur des gens ? A-t-on idée de se donner en spectacle en de telles circonstances ? Que fais-tu là à rayonner de mille feux quand nous pleurons la perte d'un être cher ?
De son silence éloquent, elle me répondit :
- Mais ma petite, je ne me donne pas en spectacle. Je suis chez moi,
le ciel est ma maison. La nuit est mon moment. Que cela te plaise ou non, c’est
ainsi. Libre à toi de détourner le regard, fermer les yeux et trébucher.
Suspicieuse, je
continue mon chemin en gardant notre lune au coin de l’œil.
Elle persistait à
être et je ne voyais rien qui l’eût empêché de persister à être.
Nous
faudrait-il nous accommoder de sa
présence jusqu’au bout ? En toutes circonstances, envers et contre tout ?
N’avait-elle jamais la flemme de se montrer ? Certaines nuits elle savait se montrer discrète, noire, absente, occupée ailleurs sur un autre hémisphère mais, quand bien
même on ne la voyait pas, elle était toujours là. Toujours là.
Elle était même là depuis le début, depuis des
millions d’années, des milliards...
D’un coup, je suis saisie par le doute :
- En des milliards d’années,
on a le temps d’en voir des choses, et combien d’hommes comme moi ont connu la
tristesse et lui ont reproché une constance inopportune ! Quelle
ingratitude envers les astres. Mais au fait, elle m’a répondu alors que je la
mettais au défi. Qu’a-t-elle dit ? Que si elle me gênait, libre à moi de
fermer les yeux et trébucher. Je comprends alors que j'ai le choix. Je peux décider de voir sa lumière, ou bien je peux décider de rester dans l'ombre.
Je commence à réaliser que sa douce clarté ne se répand pas
seulement sur le paysage nocturne, mais aussi sur nos esprits peinés. Sa
constance au premier abord froissant, devenait immanquablement source de
réconfort.
Persévérance dans l’être - le conatus
Il est des choses qui, bien qu’elles aient été
intellectualisées, ne restent pleinement compréhensibles que par la sensation.
Je crois que le conatus est une de ces choses. Descartes et Spinoza se sont épanchés
sur le sujet et je dois bien avouer que Spinoza gagne mes faveurs sur ce point
comme sur de nombreux autres.
Lorsque l’on est réceptif à la force que dégage la constance
de certaines choses, comme notre lune ou la nature par exemple, on éprouve le
conatus.
A l’origine du conatus, une observation très simple :
tout, dans la nature, tend à persister dans son être. Les arbres n’ont qu’à
être, le sol de même, les montagnes, l’océan, l’animal, jour après jours, tout
persiste. Qu’importe la mort, les accidents, les destructions d’une petite
partie, l’ensemble persiste. Il semble que la vie de ces choses soit en fait un
effort constant qui vise à persévérer, continuer, rester vivant. Il semble que
depuis des millions d’années, tout s’organise afin de permettre à la vie de
persister. Le conatus est l'effort que fait une chose qui tend à persévérer dans son être.
La notion de conatus n’a rien à voir avec celle d’éternité
ou de survie dans l'au-delà telle qu’on pourrait l’entendre d’un point de vue anthropocentré. Le
conatus semble être une propriété du vivant, peut-être même le vivant n’est-il
que conatus – effort.
La notion de conatus a tout à voir avec ce proverbe que nous connaissons tous: "la plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber mais de se relever à chaque fois que l'on tombe". Le conatus a à voir avec ce qui nous fait nous relever.
La notion de conatus a tout à voir avec ce proverbe que nous connaissons tous: "la plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber mais de se relever à chaque fois que l'on tombe". Le conatus a à voir avec ce qui nous fait nous relever.
Il est entendu que le vivant
reste pour nous un grand mystère. Nous ne sommes capables de définir la vie
que par ses manifestations et quelques propriétés (dites biologiques).
Fondamentalement, nous ne savons pas de quoi il retourne. Réciproquement nous
ne savons pas ce qu’est la mort si ce n’est une absence de vie. Ainsi le
mystère reste entier.
Lorsque l’on perçoit l’effort de vie qui anime la nature,
notre propre sensibilité entre en contact avec la force de la constance des
choses. Nous sommes contaminés par l’effort de vie. Nous nous croyons détachés
de la nature et non-concernés par ce qui la régit ? Qu’à cela ne tienne.
Malgré nous, en notre for intérieur, il y a quelque chose qui nous maintient
debout alors que l’adversité s’abat sur nos épaules.
Alors que quelque chose de terrifiant semble pouvoir nous
terrasser, nous anéantir psychologiquement, une certaine disposition de l’esprit
lutte pour empêcher l’ensemble de s’effondrer.
J'illustre immédiatement ma pensée:
J’ai vu il y a quelques temps un excellent documentaire sur
deux alpinistes partis escalader un sommet au Pérou. « Touching the void » ou « La mort suspendue » de Joe Simpson
raconte comment un homme a lutté pendant 4 jours pour s’en sortir alors qu’il
était tombé dans une crevasse. Une jambe cassée, sans eau, seul et sans aucun
espoir, le jeune homme traverse les unes après les autres toutes les insurmontables
étapes. Il plonge malgré lui dans les abîmes de son esprit et y trouve une force impossible et pourtant là. Une
volonté désincarnée de persévérance.
Ce ressort psychologique est trivialement appelé « instinct
de survie ». Cet instinct de survie a tout à voir avec le conatus. Le conatus
est une propriété que l’on peut attribuer à toute chose relevant du vivant, pas
seulement à l’homme. Cela ne veut pas
dire que toute chose vivante dispose d’une « psychologie », loin de
là, mais cela pose la question de la nature de notre psyché, de notre pensée. De quelle manière la « pensée »
est liée à la « vie », étant donné qu’aucun des deux termes ne jouit
d’une définition claire, peut-être
est-ce dans la relation entre la pensée
et la vie.
J’utilise le terme pensée mais je pourrais tout aussi bien
utiliser celui d’esprit, qui n’est
pas plus définit que ne l’est la pensée.
Pour ce qui est de la vie, je dirai que c’est : « être, et plus
encore ». Ce qui ne nous avance pas beaucoup mais nous fait faire un pas
dans toutes les directions. Topographiquement, c'est très intéressant.
Je devine votre perplexité et cela m’amuse beaucoup (!).
Encore un mot sur notre conatus.
Il est une chose qui je pense est très importante sur la nature de la nature.
C’est une forme de brutalité, d’absence de condescendance avec laquelle les choses sont et persistent à être. Il y a quelque chose de dépourvu de tout jugement et de toute morale dans le fonctionnement de la nature. Seul ce qui permet à la nature de persister persiste.
C’est une forme de brutalité, d’absence de condescendance avec laquelle les choses sont et persistent à être. Il y a quelque chose de dépourvu de tout jugement et de toute morale dans le fonctionnement de la nature. Seul ce qui permet à la nature de persister persiste.
Dans
le cas de notre jeune homme seul en pleine montagne péruvienne, on
remarque que son « mental » lui dicte froidement, sans compassion, les
gestes qu’il doit faire sans perdre de temps. C’est à peine si ce mental
ne lui donnerait pas un coup de bâton, s’il pouvait se matérialiser en
un autre.
Affaibli, affamé, blessé, meurtri par le froid, il rampe et se traîne, mètre après mètre, sur des kilomètres, à travers des roches. Pas âme qui vive à l’horizon ? Regarde les vingt prochains mètres et parcours-les, le reste n’existe pas.
Tous les moyens sont bons pour atteindre la finalité de vivre.
Affaibli, affamé, blessé, meurtri par le froid, il rampe et se traîne, mètre après mètre, sur des kilomètres, à travers des roches. Pas âme qui vive à l’horizon ? Regarde les vingt prochains mètres et parcours-les, le reste n’existe pas.
Tous les moyens sont bons pour atteindre la finalité de vivre.
La solitude est une
notion très proche des réflexions sur le conatus. C'est lorsque nous
sommes confrontés à ce qu'il y a de plus profond en nous, dans la plus
grande des solitudes, une solitude vertigineuse, que l'on trouve ces
mystérieuses réserves qui nous permettent de persévérer, mettre un pas
devant l'autre, finir sa promenade et rentrer à la maison, sous l’œil
bienveillant des astres multimillénaires.
Il y a tant de choses à dire sur la solitude que je n’en dirai qu’une, qui résume, au final, toute l'affaire: la plus grande des solitudes, celle qui effraie bon nombre d’entre nous au quotidien, est aussi réelle qu’illusoire.
Il y a tant de choses à dire sur la solitude que je n’en dirai qu’une, qui résume, au final, toute l'affaire: la plus grande des solitudes, celle qui effraie bon nombre d’entre nous au quotidien, est aussi réelle qu’illusoire.
C’est
lorsque je sors des phrases comme cela que je me rends compte qu’il
était grand temps que la physique quantique - et son principe de
superposition - vienne à mon secours.
Pour
terminer notre petite balade, je dirai ceci : il est important, à mon
avis, de s’efforcer de voir le merveilleux qui anime (pas au sens
animiste mais plutôt dynamique) les choses apparemment les plus simples,
les plus triviales et anodines.
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