Depuis mon plus jeune âge, je voue à la philosophie une
passion inébranlable. Je considère qu’il n’y a rien de plus important que de
poser des questions, de s’étonner de ce qui nous entoure, sur comment on
fonctionne, sur ce qui se passe dehors et en nous. Poser des questions, puis
chercher des réponses. Plus que dans les livres, je trouvais, pour ma part,
plus enrichissant de les chercher en soi, pas à pas, enfermée pendant des
heures ou en retraite dans les bois. Faire fonctionner son esprit. C’était là
la vision que je défendais de la philosophie. Je considérais que le but de
cette pratique était de nous aider à trouver notre place en ce monde, non pas
une place sociale individuelle les uns par rapport aux autres, mais une
véritable place dans l’ordre des choses, dans l’ordre du vivant, une place naturelle. Comprendre ce qu’est la
condition humaine, s’en faire sa propre définition. En observant les évènements
quotidiens, les drames, les joies, les peurs métaphysiques, je pensais que la
réflexion philosophique était ce qu’il y avait de plus puissant comme outil
pour nous permettre d’avancer dans l’existence. Pour moi, la philosophie était
la forme la plus noble de la spiritualité car je la considérais dépourvue de
croyance. Je considérais en effet la croyance – quelle qu’elle soit- comme un
parasite rendant impossible l’exercice de la réflexion rationnelle.
Chose étrange, dans ma philosophie personnelle, je bannissais
également à grands coups de crayon la rationalité que je considère comme un
très grand danger quand elle est placée sur un pied d’estale. Je défendais l’intuition, l’introspection, le
rêve, la naïveté, l’enthousiasme, la spontanéité, la créativité, etc alors que
je plaçais, au final, sans le vouloir, la réflexion en premier chef puis que je
rationnalisais tout dans la forme des mes réflexions. J’étais dans ma tête, que
dans ma tête, et je sentais mon corps vouté parfois soumis au frisson grisant
de la naissance d’une idée.
Je redonne très brièvement une définition de ce que j’entends
par croyance : c’est un ressenti ineffable, une chaleur au niveau du
plexus, quelque chose d’injustifiable, une certitude sans preuve.
La rationalité, c’est la mise en ordre, le classement, la
généralisation, la conceptualisation. (A mon avis ce n’est qu’un outil de
transmission permettant à l’autre de nous comprendre, via une argumentation
organisée,- comme je le fais présentement avec mes trois définitions- mais ça ne nous permet pas, in fine, de comprendre vraiment le monde,
sinon juste une toute petite partie. Il est hasardeux de se baser sur la petite
partie du monde que l’on croit comprendre grâce à la science notamment, pour se
permettre de la modifier à notre guise).
La spiritualité, c’est l’exercice de l’esprit dans un sens très
large. On peut considérer que la raison est une partie de l’esprit, une toute
petite partie, mais pas la principale. La conscience en est surement plus
représentative. Là, chacun peut s’amuser à construire son puzzle sur les
constituants de l’esprit ( la mémoire, la pensée consciente, l’inconscient, les
émotions, les idées, etc.)
Comment peut-on bannir à la fois la croyance et la rationalité tout en défendant la réflexion philosophique ? Comment cette réflexion peut-elle être spirituelle sans raison ni foi ?
Elle ne peut pas.
Elle ne peut pas.
Je ne me rendais tout simplement pas compte que je croyais bien plus que je ne raisonnais, et que j'étais un peu empêtrée dans des contradictions diffuses.
Je croyais en la philosophie, en la nature humaine, en la force de la pensée et en la force de la nature. Je ne croyais pas, au plus profond de moi, en notre modèle de société, sans trop savoir pourquoi. Je le sentais pervers, faux, hypocrite et reposant sur n'importe quoi, des idées fondamentalement fausses à mes yeux. (la supériorité de l'homme? Totale coupure avec la nature relayée à un simple décor? etc)
Je rejetais la raison suite à une réflexion rationnelle, et donc cela signifiait que la raison se rejetait elle même, sans pour autant disparaître car elle est indispensable. Elle me murmurait quelque chose comme : "cherche ailleurs, lâche-moi, laisse-moi à ma place, et continue, va sans moi", quelque chose comme ça. Continuer, ok, mais vers où ? C'est en traversant une douloureuse dépression qui me mettait face à mes contradictions et à mes choix les plus fondamentaux, que j'ai commencé à continuer ce fameux chemin. J'ai senti que perdre la foi, c'était perdre la vie. La foi en la philosophie, en la nature, et en soi, bien sûr. Ce n'est pas la raison qui m'a aidé à remonter, ce n'est pas l'esprit, mais c'est le corps. Un travail sur le corps, sans réfléchir, en totale résignation: "Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien, je n'ai plus rien à perdre, je ne suis plus rien, je vais donc laisser faire le reste". Et c'est venu. Je n'avais pas perdu la foi, jamais, mais je refusais d'accepter le fait que je lui accordais plus d'importance que je ne le voulais. Il était inconcevable à mes yeux de revendiquer l'acte de croire comme étant sérieusement fondamental. Je n'osais pas. La rationalité me tenait encore fermement dans ses filets. Je me disais sans y croire, que ce qui n'est pas rationnel est forcément fou, que personne ne peut décemment accepter de croire en quelque chose de plus que le rationnel. Je mettais un couvercle sur mon désir de croire, alors qu'il était ardant, flamboyant, incandescent. Je l'ai soulevé, ce couvercle, très progressivement. J'ai jeté un oeil curieux et attentif, dans le petit espace du couvercle à peine levé. J'ai constaté à ce moment qu'il s'agissait de foi. Et que la seule solution pour moi d'avancer, était de soulever entièrement ce couvercle.
Aujourd’hui, mon expérience personnelle m’amène à constater
tout simplement que la réflexion philosophique n’est qu’un balbutiement de
spiritualité. En effet, l’usage de la rationalité dans la spiritualité est un
obstacle. Vraiment. La spiritualité est un acte de foi, un art de vivre, des
choix de vie respectueux de convictions lentement forgées. Des convictions non
pas de « ce qui est », mais plutôt de « ce qui n’est pas »,
je crois que ces convictions lentement forgées amènent à la sobriété, une
sobriété heureuse, détachée grandement de superflus matériel.
La spiritualité est globale et non plus mentale et réduite à quelques heures de la journée, mais entière et embrassant tous les pans de l'existence. Elle se reconstruit chaque jour sans jamais devenir routinière puisque chaque instant, pleinement vécu, est unique.
La spiritualité est globale et non plus mentale et réduite à quelques heures de la journée, mais entière et embrassant tous les pans de l'existence. Elle se reconstruit chaque jour sans jamais devenir routinière puisque chaque instant, pleinement vécu, est unique.
Bon nombre de philosophes aujourd'hui sont des personnes qui s'enferment dans un exercice rationnel, et mènent une vie en totale contradiction avec des idées auxquelles ils ne croient pas profondément. D'autres sont tellement urbanisés que leurs idées coupées de la nature sont même dangereuses.Ils n'ont rien de sage. Je dis cela car je crois avec la plus grande ferveur que l'observation de la nature est la plus grande source d'inspiration qui soit.Sans angélisme aucun à l'égard de la nature. Au contraire. Avec le plus grand détachement. De même je me méfie de la philosophie humaniste car sous ce terme se cache parfois l'idée que l'homme est central, supérieur, au sommet d'une hiérarchisation du vivant qu'il s'est construite en se basant sur une conception erronée de la condition humaine. Ces courants défendent souvent le progrès technologique comme assistance et facilitation, allant jusqu'au transhumanisme qui est, à mes yeux, une aberration sans nom.
La sagesse telle que je la vois maintenant, consiste à se taire et à cesser de réfléchir, à observer ce qui se passe dehors et à
renforcer son corps. Développer une écoute, une attention tant envers l’extérieur
à soi qu’à l’intérieur, se laisser traverser par les sensations sans chercher à
les arrêter, les analyser, les comprendre. Elle commence en travaillant le rapport qu'on a à soi-même, puis aux autres, sans se poser de questions, en étant réceptif aux stimulis tous azimuts.
Je crois surtout qu’il
est bien plus difficile de croire que de raisonner, parce que croire
demande de surmonter énormément de peurs accumulées depuis des générations.
Parce que quelle que soit l’intensité de la foi, elle ne sera jamais aussi forte
que la certitude qu’amène la raison. Or, une certitude rationnelle est un
arrêt. Une photo. Et le vivant ne s’arrête pas. La vérité, si l’on veut
employer un mot dangereux, n’est pas figée. Le soulagement de la certitude est donc
illusoire.
Je parle de croire mais je ne dis pas en quoi. A chacun de
trouver sa propre croyance mais je peux dire que la religion est totalement
étrangère à la question, pour ma part en tout cas, étant athée par mon
éducation, puis agnostique, avant de ne même plus voir la religion. Ma croyance
est humaniste et naturaliste, voire principalement naturaliste. Il s’agit plus
de l'acte de croire, que de la chose en laquelle on croit, et qui a priori n’est pas
figée, et donc forcément un peu confus, mouvant, irrationnel, ce qui donne à la croyance son côté « fou » (Comment peut-on
croire en quelque chose de mal défini ? Alors qu’il n’y a pas de preuve ? Eh bien justement, c’est parce qu’il
n’y a pas de preuve que l’exercice de la foi prend tout son sens. C’est faire
un pas dans ce qu’on croit être vide, et constater qu’il n’est pas vide.
Voilà un exercice qui va à l’encontre de ce qui est le plus central dans la
culture occidentale ( La Raison !) et qu’il nous est horriblement
compliqué de faire.)
Je crois, en toute humilité, qu’il est urgent de se dérationaliser,
de corporaliser l’esprit. De développer ses sens au-delà des stimulis brefs et
superficiels qui ne font que nous induire en erreur sur ce qui nous entoure. De
prendre le temps de sentir autrement, sentir plus. De regarder longtemps pour
tenter de voir au fond des choses non pas une vérité, une réponse, mais un
espoir. Un contact. Sentir un mieux être, un plus être, en étant simplement pleinement soi-même.
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