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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 16 janvier 2016

Espoir et espérance

A l'origine, cet article a été écrit pour un ami, quelques jours avant ma première cérémonie avec Grand-Mère. J'y fais le point sur ma position intérieure. Cet article entre dans la continuité de celui-ci: la philosophie, balbutiement de spiritualité.

Janvier 2016:

Mes yeux sont rapidement passés sur un petit encart signé de ta main dans le Point de ce jour. Il y est fait mention d’espoir et d’espérance, sujet qui me parle beaucoup depuis quelques temps.
Ne crois-tu pas que si on perd espoir, c’est aussi parce que l’on rejette l’espérance, trop connotée religieusement ? Ne crois-tu pas que l’espoir repose, qu’on le veuille ou non, sur un socle de foi profondément enfoui en chacun de nous, un petit socle qu’on rechigne trop souvent à interroger mais qui est bien là ? Une disposition naturelle, en quelque sorte, un besoin inné ou atavique de croire ?
On peut entretenir une forme d’espérance qui ne soit pas religieuse mais plus largement spirituelle. Il devient difficile de croire que rien n’existe autour de nous, sans pour autant penser qu’il y ait un dieu qui nous surplomberait de toute sa superbe. Ce n’est pas parce qu’on ne regarde plus au-dessus qu’on ne peut regarder autour. Il est probable que notre problème réside en ce que nous avons peur de réaliser que nous croyons, malgré nous, tout au fond de notre être. Croire est devenu facile, primitif, et on a trouvé bien mieux depuis longtemps : la raison. On croit en la raison mais on se garde bien de dire qu’il s’agit là d’une croyance. On déteste la croyance. Si bien que notre besoin naturel de croire est étouffé, nié, écrasé et laissé dans un état virtuel. Il faudrait réhabiliter la foi pour entretenir l’espoir. Remplir ce besoin de croire, le prendre entre quatre yeux et l’interroger, le regarder, le laisser aller pour voir où il va, que sais-je. C’est comme cela qu’on retrouvera une espérance et donc de l’espoir, en regardant sa foi. Peut-être construire une cosmogonie nouvelle, réintroduire du rituel et de la sacralité autour de petites choses du quotidien comme regarder la lune, croquer dans une pomme, regarder la flamme d’une bougie, se brosser les dents, prendre un livre, etc…. Construire une espérance commune pour permettre des espoirs particuliers. Sans foi, espoir ni espérance, ne restent que la peur et la crainte. J’ai bien l’impression que sans espérance, il n’y a pas d’espoir possible, mais c’est peut-être un peu vite dit…
Toi, en quoi crois-tu ? En la science ? En sa vérité ? En la démarche scientifique ? A l’intelligence humaine ? En la réalité de la mort et donc en l’urgence de vivre ? En quoi crois-tu, je voudrais bien savoir.
Moi, j’ai très longtemps cru en la philosophie. La création de concepts et d’idées et leur maniement dialectique, cet exercice rationnel de pensée. J’ai longtemps cru qu’il fallait que tout le monde pense et que la philosophie apporterait plein de réponses. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à nuancer cet élan. J’ai réalisé que la philosophie occidentale était basée sur la rationalité, on pense de façon rationnelle, discrète et conceptuelle et cette façon de penser a façonné notre philosophie, c'est-à-dire qu’elle a façonné le fruit même de l’exercice de pensée. Appelle cela une bijection qui fait refléter le processus dans le procédant. Or je crois que l’excès de rationalité est un des plus grands maux de la modernité. J’ai bien dit l’excès, et non la rationalité même. Or si l’on réduit l’usage de la rationalité, par quoi compenser l’espace laissé à la pensée ? Par plus de créativité artistique, certes, et ce serait très bien, mais ce n’est pas suffisant.
Et pourquoi le vide ainsi fait dans l’esprit ne laisserait-il pas à des capacités endormies et virtuelles la place de se réveiller, pour peu qu’on leur insuffle un tout petit peu d’énergie ? Pas des capacités « magiques » mais des formes de sensibilités jusque là étouffées ?
Je garde cette réflexion à l’esprit : la démarche scientifique nous a amené à accroître considérablement nos connaissances sur ce qui nous entoure. La philosophie essaie de proposer du
sens à nos connaissances. Or la plus grande des connaissances à laquelle on ait abouti en suivant cette démarche est, à mes yeux, qu’on ne sait presque rien. L’astrophysique nous dit aujourd’hui que nous ne connaissons que 5 % de ce qui compose l’univers. Je ne dis pas que la démarche scientifique ait touché ses limites. Je dis qu’elle est un moyen de connaissance parmi d’autres que nous n’explorons pas. Je dis que ce qui est à connaître se donne à nous par d’autres truchements que celui de la rationalité.
Je commence à croire depuis peu que le corps est un outil de connaissance. Je ne parle pas d’étudier le corps humain au microscope ou à l’aide de scalpels. On retomberait dans une démarche rationnelle. Je parle de laisser le corps s’exprimer, lui qu’on n’écoute quasiment plus. Je crois que le corps peut être un moyen de « démentaliser » l’être humain. Il existe des techniques de méditation qui permettent vraiment de vider l’esprit et ne plus penser. Ces techniques, à force de répétition, ont un effet sur la psyché. Pas d’effet miraculeux, loin de là, mais des effets simples et bienvenus, comme un mieux-être, un rapport à soi serein. Rien que ça. Les techniques qui ont ma préférence sont celles de méditation en mouvements. C’est là qu’intervient le corps. Je pense notamment aux « arts internes » qui viennent de Chine et sont inscrits dans la philosophie taoïste ( Qi, Yin-Yang…). Ces techniques, comme le Qi Qong et le Taï Chi Chuan, demandent d’habiter pleinement son corps et de se considérer, au départ, comme une forme de non-être (Wu-Ji), situé entre la terre et le ciel. Un non-« être individuel » mais un être fondu dans un grand tout. Ca, c’est de l’abstraction…
Le sport, rétorqueras-tu, fait la même chose. Ce à quoi je répondrais, oui, mais le corps ne sert pas qu’à faire du sport. Il recèle bien plus en lui. Il peut illuminer dans notre esprit des facettes jusque-là laissées dans l’ombre. Rien d’exceptionnel, encore une fois, mais quelque chose de plus profond que la libération d’endorphine. En l’incarnant pleinement, ce corps nous réconcilie, vraiment, c’est le mot. Il nous réconcilie avec notre humble et fantastique condition et avec la nature qui nous entoure. Cela ne peut pas nous faire de mal, a priori.
Ce n’est pas tout. Je parlais du corps comme moyen de connaissance. Tu sais que depuis quelques temps, je m’intéresse à la médecine traditionnelle Amazonienne, pour ne pas dire au chamanisme.
Cette médecine repose elle aussi sur un pilier fondamental et primordial : le corps. C’est une médecine « guerrière », éprouvante, qui prône la confrontation à soi. Ce n’est pas une médecine qui soigne mais une médecine qui entretient la santé sous toutes ses formes. C’est un art de vivre peut-on dire (qui soigne aussi quand il le faut et qu’elle le peut, bien entendu). Elle s’appuie sur une technologie qui mêle plantes, chants, rituels tous profondément étudiés. Il n’y a pas de mysticisme aveugle ni aucune magie. C’est nous qui, depuis notre point de vue, décrétons que ces pratiques sont mystiques. Il y a beaucoup de foi par contre. Une foi dans la nature et dans le corps. Il y a beaucoup d’humilité, de gratitude et de respect.
C’est une pratique qui spiritualise le corps. Vois-tu le cheminement que je cherche à te faire voir ? Démentaliser l’être par de la méditation en mouvement… puis spiritualiser le corps… En corporalisant l’esprit… Après il n’y a plus de mots, que de la pratique.
Réconcilier l’homme avec la nature, c'est-à-dire réparer, en quelques sortes, la scission fatale qui a été initiée au 17è siècle par la pensée occidentale moderne (sûrement involontairement car l’homme ne sait pas ce que fait ce qu’il fait). Remettre l’homme dans son environnement (où il n’a jamais cessé d’être), qu’il ne se pense plus comme en-dehors, ou pire, au-dessus. Est-ce possible ? Avec
toutes ces choses qui font notre gloire, Tweeter, les Iphone, les pub télé, les produits standardisés fabriqués à la chaine dans des usines qui polluent, promus par des milliers d’agences publicitaires et de communication qui déversent leurs propagandes sur mille supports dématérialisés. On n’a jamais été aussi matérialistes. C’est cela qui tue l’espoir. Il n’y a plus d’émerveillement pour les choses simples. Plus de considération pour ce qui est invisiblement exceptionnel. Ca ne nous suffit pas, on veut plus, on veut devenir des surhommes alors qu’on ne sait pas ce que c’est qu’être homme. On a peur. Je te jure qu’en posant quelques instants la main sur l’écorce d’un puissant tronc d’arbre, on vivifie sa foi, on est envahi d’espoir. D’autant plus quand on a spiritualisé son corps ;)
Et toi, en quoi crois-tu ? Tu te méfies de la croyance, terme vague, et tu la penses sans doute en opposition à la science d’après ce que j’ai pu lire, mais ne crois-tu pas qu’elles marchent main dans la main depuis toujours ? Il ne faut juste pas laisser la croyance en jachère car c’est là que les grands manitous trouvent un écho à leurs sermons mystiques. Il faut donner un contenu à la croyance, instiller un reliquat de sacralité dans la vie des gens, c’est cela qui donne du sens et aux choses et aux évènements, et aux choix qu’on fait. Je ne sais pas si une démarche rationnelle est suffisante. On a besoin de sacré et de rites, on a besoin de sens.
Regarde par exemple le rituel du vote aux élections. Un rite au pied de l’autel de la démocratie. Il tombe en désuétude ; l’autel en ruine. Pourquoi ? Parce que la démocratie telle que nous la pratiquons ne fait plus sens. Elle est attaquée par des forces mercantilistes bien plus puissantes qui, elles, ont un impact bien réel sur nos vies et sur l’environnement. Enfin, c’est un autre débat. Un autre exemple : tous ces bouquins à la mort moi le nœud qui sortent et qui ont le mot quantique dans le titre… c’est n’importe quoi. Encore une fois, ça comble un vide et beaucoup se précipitent sur ce qui pourrait le combler. Il ne faut pas le combler à la va-vite. Il faut le prendre par la main et le travailler au quotidien.
Un point commun que je souhaite souligner entre la tradition chinoise et la tradition amazonienne : l’importance capitale du groupe. Toute pratique a son moment pour être pratiquée seule – c’est important- et son moment pour être pratiquée en groupe, si ce n’est en groupe de groupes. C’est ainsi que l’on travaille son rapport à soi, en tension dialectique avec l’ensemble. C’est aussi ce qui nous manque. Travailler le corps, travailler le groupe. Faire le vide et voir ce qui en sort.
Toi tu défends la science, moi je veux réhabiliter la croyance. Va-t-on se battre ou marcher main dans la main ? J’ai plein espoir en la seconde option. D’ailleurs, j’ai autant foi dans les mathématiques que dans le corps.

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