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mercredi 14 novembre 2012

Etre comédien

Le métier de comédien est une aventure anthropologique formidable.

Je vois deux aspects principaux dans cette aventure. Ils sont liés mais je souhaite les distinguer pour mieux les souligner.
Avant tout, je propose içi une approche du point de vue du comédien, et non du spectateur ou bien de la société.

Lorsqu'un comédien est chargé d’interpréter un personnage, quel qu'il soit, une aventure commence pour lui.
Elle se déroule en 3 étapes.
On commence par une étude de l'auteur pour avoir à l'esprit ses intentions, comme un petit rai de lumière qui éclaire le travail.
Ensuite, à la lecture du rôle, on relève tous les moindres détails qui nous informent sur sa personnalité. Pas seulement les informations directes et explicites mais aussi celles qui surgissent entre les lignes (s'il tape souvent du pied nerveusement , s'il préfère le vert au rouge, la manière de marcher, etc...)
Enfin, à partir de ce florilège de détails, on va se poser tranquillement dans un coin et construire la vie de ce personnage depuis quasiment sa naissance jusqu'au moment où il ouvre la bouche pour sortir les premières lignes de texte. On reconstitue les évènements qui ont pu le marquer pour devenir ce qu'il est. On doit alors entrer dans sa construction psychologique pour imaginer de manière vraisemblable ce qui explique pourquoi il dit et fait ce qu'il y a dans le texte.

Il ne s'agit pas tant d'intellectualiser le personnage, mais de passer du temps avec lui et de le "cerner" dans un élan d'empathie. Il s'agit de sentir le personnage.
Cela représente une grande partie du travail de comédien. Mais ce n'est pas tout.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il existe autant de manières de comprendre un personnage qu'il y a de comédiens pour l’interpréter.
Ce qui est aussi très intéressant, c'est cette magie qui s'opère lorsque le personnage prend vit sous les traits de son interprète. Il devient unique, ce n'est plus le comédien, ce n'est plus un ensemble de mots fictifs, c'est une personne, prenant un peu de la personnalité de l'interprète qui embrasse une situation inédite.

Prenons l'exemple d'un personnage de sexe masculin, âgé de 43 ans, veuf,  vivant au 19ème siècle, issu de la classe ouvrière anglaise et qui, mettons, tombe amoureux de la femme de son patron.
On aura choisit un interprète masculin faisant la quarantaine, vivant à Paris en 2012, peut-être marié et père. Se mettre dans la peau de ce personnage et comprendre les enjeux de la décision qu'il doit prendre - déclarer ou taire son amour au risque de tout perdre, être malheureux ou bien les deux...- demande au comédien d'oublier sa propre situation pour se mettre à la place de cet homme comme s'il s'agissait de sa propre existence.


Une fois sur scène -ou devant une caméra- tout cela doit être oublié, digéré, intégré dans son inconscient, devenir intuitif, parce qu'à ce moment il n'y a plus qu'un seul mot d'ordre: la sincérité.
Une sincérité qui s'inscrit dans un moment présent qui est celui du personnage actant. Donc un moment réel.
S'il y a du stress avant de monter sur scène, il est atténué par la nécessité de se détacher de soi pour devenir un autre soi qui a des choses importantes à dire, qui priment sur la crainte de ne pas être à la hauteur.


Le premier aspect dont je parlais plus haut est celui-ci:

Etre comédien, c'est partir à la rencontre des autres possibilités de soi-même, au-delà de l'espace et du temps. C'est découvrir les autres existences potentielles que l'on aurait pu connaître si l'on était né içi ou ailleurs, de nos jours ou dans une lointaine époque, voire une époque imaginaire. C'est découvrir l'irréductible fond d'humanité qui réside en chaque homme une fois les "accidents" culturels mis de côté.

Voici le second. Il est d'ordre psychologique.

Etre comédien, c'est partir à la découverte de soi, de sa personnalité, son individualité, son unicité. Se confronter aux autres possibilités de soi-même permet d'apprendre à se connaître. Cela permet de prendre du recul par rapport à son quotidien, souvent suite à l'effet catharsique des situations romanesques rencontrées qui ont demandé au comédien de donner beaucoup de lui-même. Aller à la rencontre de personnages, c'est être tolérant envers la nature incroyablement différenciée de l'humanité et apprendre à accepter sa particularité individuelle.

Force est de constater que cette vision idéaliste n'habite pas tous les comédiens. Elle n'est d'ailleurs aucunement garante de la qualité d'interprétation. Ce qui l'est, cependant, à mes yeux, c'est la sincérité, l'enthousiasme et l'empathie qui accompagnent le talent, quelque soit la manière dont celui-ci se travaille.



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