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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

lundi 19 novembre 2012

Les Passeurs de Bon Sens


La question de l’école, de l’instruction publique, est fondamentale lorsque l’on cherche à comprendre notre société.

L’école est le moyen par lequel la société pérennise son modèle :
les jeunes vont à l’école pour avoir une chance de trouver une « bonne » place dans la société par la suite. Ils vont à l’école pour avoir des diplômes et ainsi pouvoir prétendre à une reconnaissance sociale par leurs pairs (via un bon boulot, un bon salaire, etc.).

Les parents ne disent-ils pas toujours qu’il faut bien travailler à l’école, avoir de bonnes notes ? Alors qu’eux même souvent trouvaient l’école pénible, peut-être agréable pour les copains qu’on y fait.

Pourquoi bien travailler: pour avoir une bonne place dans la société ? Ne pas avoir de problème d’argent ? Se trouver soi-même ? Etre libre ?

L’école est loin de n’être qu’un vecteur de réussite sociale. L’école est même beaucoup plus importante que cela. C’est un outil que nous avons à notre disposition pour changer notre société en profondeur.

1- Unilateralité

Lorsque l’on observe le fonctionnement général de l’institution, on arrive à un certain constat :
Le paradigme de transmission des connaissances est unilatéral. On déverse des informations d’un connaisseur à un enfant dont la disposition à recevoir ces connaissances n’est pas prise en compte.

L'instituteur ou le professeur, devant ou derrière son bureau, debout sur l'estrade, à côté de cette dernière ou bien assis sur la chaise de son bureau, domine de manière plutôt austère et solennelle son auditoire ignare. Il dicte, il énonce, en un temps limité, une leçon, un état des lieux sur un sujet précis, dans une matière précise. Face à lui, sa classe de 20 ou 30 élèves, nez sur le cahier et poignets agités, prend des notes, copie ce qui est au tableau ou bien fait semblant et préfère dessiner dans les marges.
Un, deux ou trois élèves sur l'ensemble vont être réceptifs au contenu de la leçon mais pour le reste de l'auditoire, les mots lâchés par la bouche professorale résonneront en toute disharmonie dans leurs oreilles pour filer sans autre truchement vers le poignet.

Cet exemple de comportement est assez fréquent et il illustre la passivité des auditeurs qu'il serait opportun de dénoncer. Bien sûr, en fonction de la fibre pédagogique de certains enseignants, l'élève peut être sollicité à intervenir davantage au cours de la leçon, mais il reste que le modèle de transmission des connaissances est en effet à sens unique - non pas que les élèves aient des leçons à donner aux enseignants - mais dans la nature passive du rôle attribué aux  élèves dans cet échange académique.

Les enfants, lorsqu’ils sont particulièrement jeunes, (3 ans, 7 ans…), ne sont-ils pas naturellement curieux de tout ? Pleins d’énergie, ils courent partout, aiment dessiner, inventer, construire (un peu comme le chante le slogan de Fisher Price…). 
L’école cherche à les discipliner, leur apprendre peu à peu à se concentrer, ne pas s’éparpiller, se calmer pour que vers l’âge de 6 ans ils puissent tenir derrière un pupitre, compter sur leur doigts et tracer de beaux signes alphabétiques en respectant les lignes de la page.

Ce sont des connaissances primordiales : lire, écrire et compter, qui permettent de déchiffrer les codes fondamentaux  régissant les interactions humaines.

2 - Apprentissage

Cependant il pourrait être préférable de penser les choses sous forme d’apprentissage, plus que d’enseignement, pour contrecarrer l’unilatéralité du flux d’informations et peut-être lutter contre l’inadaptation ou le retrait de certains enfants.

C'est-à-dire instaurer un dialogue continu entre les apprentis et le maître d’école, comme c’est davantage le cas dans les classes maternelles.

Le contact entre un adulte et un enfant est plus souvent profitable à l’adulte. Les souvenirs enfouis d’une spontanéité refoulée, étouffée, d’une liberté intrépide bridée et pliée sous le poids de plus en plus pesant du regard d’autrui (la socialisation), remontent à la surface pour être encore une fois rapidement balayés. Cependant ils laissent généralement une sensation agréable.

Il n’est pas pertinent de considérer qu’un enfant est nécessairement le terme faible dans un échange avec un adulte.

Ce qu’il y a à retenir dans cela, c’est qu’il faut profiter de la disposition naturelle qu’ont les enfants à s’intéresser à tout, pour peu qu’on ne les planque pas devant un écran de télévision, qu’on sache solliciter leur attention. C’est la fonction de l’école. Petits, on leur apprend et ils sont contents. On fait un énorme effort pour susciter leur intérêt. Si on ne leur parle pas avec sincérité, on ne peut les amener à faire une activité. Un enfant respecte un adulte qui, au-delà de savoir faire preuve d’autorité, lui parle avec son cœur.

C’est cela qui se perd lorsque l’on avance dans le cursus.

C’est l’entrée au collège qui marque un grand changement.
C’est donc probablement en 6ème qu’il faut modifier certaines choses.

On peut envisager de modifier certaines choses si l’on se met d’accord, au préalable, sur ce que doit être l’école à partir du moment où les enfants savent lire, écrire, compter et réfléchir un peu, soit, à la sortie du primaire.

Une fois armés du primordial, souhaitons nous en faire de bons petits soldats ou bien des citoyens responsables?

3 - Une école du bon sens

Principalement au collège, les enseignants doivent suivre un programme chargé. La classe est nombreuse. Tant mieux pour les jeunes qui suivent, tant pis pour ceux qui restent à la traîne. On passe d’un cours d’histoire à un cours de maths, un cours de géographie, un cours de français, on court, on court de cours en cours, vers les examens, vers la fin de l’année, vers la fin du cursus et les diplômes – CAP, BTS, BAC, licence,  master,  etc.

Et on ne prend pas le temps…

Quels que soient les tempéraments des uns et des autres, les dispositions que les jeunes manifestent (facilité avec les langues étrangères, goût pour la lecture, grande imagination, préférence pour les activités de plein air, le sport, talent pour l’abstraction mathématique, etc.) il est une chose qui semble fondamentale : pour comprendre quoi que ce soit, il faut savoir pourquoi on doit ou on veut la comprendre.

Comprendre signifie, étymologiquement, prendre avec soi, faire sien. Il y a une démarche volontaire vers la connaissance pour l’intégrer, la digérer. La connaissance émise par une bouche savante, malgré toute la pédagogie de l’émetteur, trouve un écho dans un esprit disposé à la recevoir : attentif, intéressé, volontaire.

On ne donne pas assez de place à la dimension épistémologique des disciplines que l’on enseigne, et encore moins à la question épistémologique de comprendre pourquoi on les enseigne.

On ne va pas seulement à l’école pour avoir de bonnes notes et des diplômes, se faire des amis, respecter l’autorité, ou avoir une bonne culture générale.

On va à l’école pour apprendre à réfléchir, pour apprendre à observer la société, pour développer un sens critique, pour devenir responsable de ses choix, faire des choix en bonne connaissance des causes et conséquences, bref, pour devenir un adulte construit, un citoyen dont la voix est pertinente, réfléchie et légitime.

4 - Propositions

Voici les modifications que l'on pourrait envisager d’apporter à l’école.


Premièrement, pourquoi attendre la classe de seconde pour enseigner la philosophie ?

Parce que l’on estime qu’à 15 ou 16 ans, un jeune est prêt à se frotter à des questions existentielles et métaphysiques.

Parce que la philosophie que l’on enseigne est principalement une histoire des idées.

N’est-il pas pertinent de relever qu’à 15 ou 16 ans, un jeune n’a que faire de ces questions existentielles ? Qu’il est davantage concentré sur l’agitation pubère qui grouille dans son caleçon ? Et il a bien raison !

Ne serait-il pas plus judicieux de profiter de l’enfance qui habite encore les jeunes lorsqu’ils arrivent en 6ème pour les initier à une manière de penser ?

La philosophie n’est pas qu’un corpus d’idées complexes, abstraites, rebutantes et fascinantes. C’est une manière de penser.

Elle consiste à se demander, comme les enfants le font naturellement, pourquoi. Elle consiste à interroger et creuser.

Imaginons que 2 ou 3 heures de la semaine soient consacrées à une introduction à la philosophie. Cette heure, casée entre deux cours magistraux, (de 10h à 11h le lundi, de 14h à 15h le jeudi, par exemple), est une heure de discussion. Un professeur –pas toujours le même à chaque cours- s’assoit avec les élèves et leur pose des questions :

« Savez-vous pourquoi on vous enseigne l’histoire ? A votre avis ? »
« Pourquoi les mathématiques ? »

Une remarque à propos des mathématiques :

N’est-il pas courant d’entendre adultes et enfants dire :
« À quoi ça sert de résoudre des problèmes de baignoires qui se vident au deux tiers quand Pierre a trois fois la moitié de l’âge de son perroquet ? On ne rencontre jamais ces situations dans la vraie vie ».

Ces exercices fastidieux, compliqués, impossibles et ridicules sont un moyen d’exercer notre esprit à concevoir, conceptualiser, visualiser et abstraire. Certaines personnes ont plus de facilité que d’autres à résoudre ces problèmes, mais les mathématiques que l’on nous enseigne jusqu’au baccalauréat sont très très simples par rapport au degré d’abstraction qu’elles revêtent plus loin. Il est nécessaire de maîtriser les bases de cette discipline fondamentale. C’est à partir des maths que l’on apprend à raisonner. Les maths sont considérées comme constituant la science des structures, les grandes structures qui nous permettent de comprendre le monde qui nous entoure, les lois physiques de causalité, etc…

Prenons un autre exemple : l’histoire.

C’est quoi l’histoire ?

-Une succession de faits qui illustrent le passé des hommes ?

Un peu. C’est surtout une analyse. Comprendre comment des hommes, dans un contexte donné, ont réagi, compris, décidé, pensé, vécu. Et pourquoi.

-Un moyen de tirer les leçons de nos erreurs passées ?

Un peu. C’est surtout une leçon d’humilité. Les évènements ne se reproduisent jamais deux fois et nous ne somme jamais à l’abri de faire des erreurs.

Il faut savoir pourquoi on va à l’école, pourquoi on doit suivre des cours d’histoire, de géographie, de science naturelle, etc.

C’est au cours de ces quelques heures par semaine qu’un intervenant devrait sensibiliser les jeunes tant qu’ils sont réceptifs et attiser tout au long de l’année scolaire cette sensibilité, au moyen de discussions, d’échanges partagés, d’une interaction multivoque. La barrière conventionnelle qui distingue le professeur de ses élèves serait déplacée, chacun pourrait s’exprimer et peu à peu le professeur amènerait les jeunes à comprendre l’intérêt des disciplines.

Voilà en quoi consisteraient ces discussions : un éveil aux questions importantes.

Deuxièmement, on peut se permettre de modifier l'organisation de la journée scolaire.

Si l’on débute une journée vers 8h30 ou 9h, qu’elle se termine vers 18h, et qu’entre temps elle est remplie, par exemple, comme suit :
des heures de cours optimisées car les élèves sont plus nombreux à être intéressés, une heure ou deux de « discussion », deux heures de pause déjeuner avec jeu en plein air, accès à la bibliothèque, liberté, une ou deux heures de sport… ;

il n’est pas nécessaire qu’il y ait des devoirs à faire à la maison. 

Il suffit de bien remplir la journée. Pour évaluer les connaissances, libre au professeur d’organiser pendant son heure de cours une interrogation écrite. Libre de laisser aux jeunes le temps de réviser avant des examens. La journée pourrait ainsi être mieux remplie, en respectant un principe de diversité dans les activités. La journée d'école terminée, on passe à autre chose.

Faire du sport presque tous les jours est presque indispensable. L'absence d'activité physique est aujourd'hui responsable de sérieux problèmes de santé publique (obésité, entretien du cœur). 

La journée bien remplie jusque 18h, on rentre chez soi l'esprit libre. On résous une partie des problèmes de garde, de désœuvrement des jeunes.

Les professeurs, les maîtres, sont des passeurs de bon sens.

L'apprentissage à l'école vise à donner la chance à chaque futur citoyen de le devenir pleinement, parce qu'au cours de sa jeunesse il aura eu la confiance de se découvrir et de se réaliser.  Un tel modèle permettrait au plus grand nombre d’accéder au bon sens pour décider de ce qui est le mieux pour lui et la communauté.

Il est important de penser l’école.

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