Il y a un peu plus d’un an, alors que je réfléchissais à une dimension
atemporelle et immanente pour une petite histoire de science fiction, j’ai
passé une bonne semaine à questionner la notion de temps, à raison de 8 heures
par jour... Il faut dire que je travaillais en tant qu'hôtesse d'accueil dans
une grande banque parisienne et que je n'avais rien de plus intéressant à
faire...
Depuis des années, je me rangeais aux côtés de Kant en considérant
que l’espace et le temps sont des « formes a priori de l’esprit ». La
réalité est perçue via le prisme de notre entendement qui l'inscrit
naturellement dans l'espace et le temps, comme l’eau - contenu - épouse les
contours d’un vase - contenant.
Je n’étais plus satisfaite de cette vision. Je la questionnai donc.
Pourquoi, saperlipopette, ne pouvons-nous concevoir le temps
autrement que par une flèche, une ligne, une rivière, linéaire ou circulaire ?
Avec les notions de sens et de direction, de courant, que cela
induit ?
Entre les millisecondes, les siècles et l’inconcevable éternité,
le temps n’est-il qu’un découpage conventionnel de la réalité afin de nous la
rendre rationnellement préhensible?
Une mise en « épochè » du « temps » se révèle
être un exercice particulièrement ardu, quand on ne peut, premièrement,
délimiter les contours de la notion.
La mise en "épochè " s'apparente au travail d'un
biologiste qui, l'oeil collé au microscope, tente avec une petite pince de
séparer la molécule qu'il veut étudier du reste de la substance dont elle est
issue. En philo, il s'agit d'une mise entre parenthèses de la réalité pour ne
garder que l'"objet" qui nous intrigue. ( Pour en savoir plus, voir
la phénoménologie de Husserl)
Dans le cas de l'étude du "temps", il nous faut alors prendre l’ensemble de la réalité et peu à peu lâcher du lest, comme une montgolfière cherchant à s’élever.
La première étape par laquelle je suis passée consiste à
dépouiller le «temps» des notions de « sens », de
« direction » et de ses conventions de mesure. . Pour cela j'ai mis de côté les notions de "passé", de "présent" et
de "futur", d'"origine" et d'infini".
Que reste-t-il après cela ? Parmi tant de choses, voici les
raisonnements les plus intéressants.
Le temps et la matière sont effectivement indissociables.
La question du « vide » est incontournable pour saisir
le lien fondamental qui existe entre l’ « espace » et le
« temps ».
Dans la réalité qui nous entoure et que nous connaissons, le vide
absolu n’existe pas. A chaque fois que l’on parle de vide, on parle de basses
pressions mais aucunement d’absence totale de particules – donc de matière
(voir l’invention de Torricelli, par exemple). Les notions de forces,
d’énergies, de températures que l’on peut retourner dans tous les sens nous
permettent de modifier des processus, de les ralentir (la congélation comme
moyen de conservation, par exemple), mais pas de les arrêter de manière absolue.
Concevoir une absence totale de matière demande de concevoir une
absence totale de mouvement, donc une extraction du temps.
On voit bien que la matière est en mouvement et ce mouvement-là
est nécessairement lié au mouvement que nous appelons « temps ».
On parle donc de la dimension spatio-temporelle pour définir le
mouvement dans lequel toute chose s’inscrit, (notamment la «vie»).
Voici quelques propositions auxquelles on abouti :
- Le temps est un mouvement ;
- La matière est indissociable du temps ;
- La matière n’Est que parce qu’elle se manifeste dans le temps.
On arrive donc à cette même conclusion qu’Einstein et d’autres
scientifiques : l’espace (la matière dans ses trois dimensions) et le
temps sont deux expressions d’un même continuum.
Cela dit, tout cela ne nous avance pas beaucoup plus sur la
question du temps, il faut secouer davantage la notion en faisant appel à
d’autres disciplines scientifiques pour voir ce que l’on peut en apprendre.
Aux premières heures de l’humanité, les hommes ont observé des
récurrences dans la nature : la succession de « jour » et de
« nuit » ; de périodes fraiches, de périodes plus chaudes, ou
pluvieuses, en tout cas nous avons observé des changements dans la
nature, toujours récurrents. Les choses passaient et revenaient. Comme il
devait être effrayant de voir le cycle interrompu par un énorme orage, une
éclipse : on devait craindre la fin de son monde tel qu’on l’avait connu.
Pour communiquer entre nous, nous avons fait ce que nous savons
aujourd’hui faire de mieux, nous avons établi des conventions. Nous avons
conventionné le temps en le découpant. Le découpage du temps est une
interprétation de ce que nous avons perçu, observé, de ce qui nous entoure,
pour interagir avec cet environnement.
Le temps que nous concevons est forcément le temps «pour nous». Là
encore, un petit détour par la physique est éclairant.
Il existe en science physique une grande énigme que nous n’avons
pas résolue (parmi beaucoup d’autres, biensûr). Il s’agit de la question de la
«discrétion» et de la «continuité».
Nous ne savons pas, par exemple, si la lumière [i]est une onde continue ou un
flux de particules discrètes. Nous ne savons pas si une onde continue est
composée de particules discrètes. Nous avons beaucoup de mal à concevoir la
continuité. Par exemple, on nous enseigne qu'une droite, en géométrie, est un
ensemble de points.
Notre rationalité nous pousse à penser, a priori, que la réalité se découpe en petites choses, et ce jusqu’à un infini supposé. C’est ainsi qu’est née la physique quantique, c’est ainsi que Newton a inventé le calcul différentiel utilisé en mécanique des fluides, par exemple. C’est aussi pour cela que l’on utilise la notion de fréquence : nombre de mouvements dans un laps de temps défini, et ce découpage est à la base de la science des structures : les mathématiques. ( Voir aussi le concept de monade chez Husserl et Leibnitz)
Nous structurons notre réalité à l’aide de conventions basées sur
le postulat de la «discrétion» de notre réalité. Le temps est ainsi divisé en éléments discrets que l'on appelle "instant". Les instants sont placés les uns devant ou derrière les autres, pourquoi pas côte à côte, mais toujours selon une logique spatiale. Puis l'écoulement du temps dans l'espace amène un "instant" à succéder à un autre. C'est comme cela que nous percevons le temps, de notre point de vue.
La physique quantique est, elle aussi, confrontée à un problème
irrésolu, passionnant et révélateur: la place de l’observateur par
rapport à l’objet observé.
En effet, il apparaît que le simple fait d’observer un objet
modifie le comportement de cet objet. Une particule observée peut être, pour
l’observateur, « partout » à la fois, devenant une onde, mais restant
particule… un vrai casse-tête… (Voir le chat de Schrödinger et
l'indétermination quantique).
En physique classique, on sait que notre temps se dilate ou se
condense en fonction de l’endroit où se trouve l’observateur et de ce qu’il
observe. Depuis un point situé au niveau de la mer et un point, au même moment,
situé sur le sommet d’une montagne, il y a quelques microsecondes de
différence. De même que le montre la force gravitationnelle, le temps se
« courbe » sous l’effet de la masse physique d’un corps.
La question de l’objectivité et de la subjectivité est présente
dans toutes les disciplines. C’est même une part très importante de la
réflexion épistémologique.
Je pense que l’objectivité est un idéal qu’on peut s’efforcer
d’approcher mais qu’on ne peut atteindre. On parle alors d'objectivation pour
qualifier cet effort cognitif de distanciation et d'abstraction. [ii]
Toujours est-il qu’en matière de temps, on peut partir de la
proposition suivante :
Le temps que nous percevons est le temps « pour nous »,
le temps de la matière, le temps physique, le mouvement de la vie. Un temps qui est rationnel
autant que subjectivement – individuellement- vécu. Notre temps est un
instrument. Un instrument de mesure. Mais il ne se réduit probablement pas à
n’être que cela.
Je pense que l’intuition est une immanence, une extraction de
notre temps donnant accès à un autre temps, à une multitude de temps…
Toutes ces réflexions en amènent d'autres: la relation entre le
temps et la vie implique une réflexion sur la relation entre le temps et la
mort, par exemple. On peut également penser les notions d'infini, de passé,
présent, futur, d'origine, etc...
A partir de là, je pouvais commencer à imaginer ma dimension
atemporelle et immanente.
[i] La lumière : encore un
passionnant sujet ! Elle est le vecteur de notre connaissance de l’univers
éloigné mais néanmoins observable ; elle inspire aussi la métaphore de la
connaissance spirituelle – philosophie des lumières, des hommes
« éclairés ». A suivre.
[ii] Exemples sur la quête d’objectivité dans la méthode scientifique : Un anthropologue
arrivant dans une tribu isolée n’influence-t-il pas le comportement des
autochtones par le simple fait de les observer ? Il lui faut en tenir
compte dans son analyse. Lorsqu’un institut de sondage interroge un panel « représentatif »
de la population sur une question de société, ne pondère-t-il pas les résultats
obtenus afin de les homogénéiser pour qu’ils se rapprochent d’un point
de vue « objectif » et général ?
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