En cette fraîche période de l'année, voici les messages que l'on commence, comme chaque année depuis trop longtemps, à entendre.
« Dernière semaine de Novembre, début des collectes alimentaires.
Donnez une petite partie de vos courses ».
Parlons un peu de charité puisqu'on nous sollicite sur ce sujet.
1 UN ELAN DE COMPASSION
Encore une fois, bien que l’on prenne les individus pour des moutons
ignares, c'est à eux que l’on fait appel pour « aider l’humanité dans
le besoin » avec des dons caritatifs. On fait appel à leurs impôts pour « sauver les banques » touchées par
la crise. C’est encore à nous de donner pour la recherche scientifique, alors
que des milliards de dollars circulent virtuellement chaque seconde.
Cela me révolte, comme beaucoup de citoyens.
La révolte n’est que vaine agitation si elle ne conduit pas à la
réflexion et à des propositions.
Alors réfléchissons.
Face à la détresse de certains, on se donne facilement bonne conscience
en donnant une pièce ou un paquet de pâte, dans un élan de charité.
Les associations caritatives sont des pansements qui permettent de
tolérer la pauvreté matérielle et alimentaire de bon nombre de nos semblables.
Je pense que nous avons perverti la notion de solidarité.
Il existe en chaque homme, à divers degrés, une propension naturelle à
compatir. Elle est maladroitement
exploitée au sein de notre modèle de société.
On apaise notre propension à compatir en laissant des associations, ces
« prêts-à-agir », se charger, petitement, du problème de la pauvreté.
On légitime le fonctionnement de notre société qui réciproquement, nous
valorise individuellement en nous
offrant des moyens de manifester notre élan caritatif, à travers certains
canaux.
On offre ainsi aux gens un moyen de se sentir concerné par la triste
condition qui touche bon nombre de nos semblables.
Mais plutôt que de passer par ces « prêts-à-agir » - fort
utiles au demeurant, malgré les suspicions de corruption, de détournement-, sortons
des sentiers battus.
Biensûr que l’on doit s’aider les uns les autres, intervenir pour aider
une population touchée par une catastrophe naturelle, une population en crise
(conflit politique, débâcle financière, anarchie économique…), de la même
manière que l’on aide parfois une personne âgée à traverser la route, à
attraper un pot de confiture placé trop haut pour elle sur un présentoir de
supermarché.
En matière de pauvreté et d’intervention humanitaire, on doit s’aider en
attendant que notre société relève la tête du guidon, reconnaisse ses erreurs,
prenne ses responsabilités et accepte de «changer».
2 LE DRAME ALIMENTAIRE ET ECOLOGIQUE
En matière de crise alimentaire et de modèle agricole, Marie-Monique Robin et Pierre Rabhi, entre
autres, ouvrent la réflexion. Il faudrait que leur message soit entendu par le
plus grand nombre de nos concitoyens.
Le travail de ces deux auteurs nous permet de comprendre ce qui suit.
La sous-alimentation qui ravage l’Afrique par exemple provient souvent d’une
inadéquation des techniques à un milieu particulièrement compliqué ( aridité des sols, période de
moussons, etc). Les techniques développées sont à la croisée syncrétique de
procédés ancestraux et de techniques modernes et séduisantes par la promesse de
productivité (relation entre l’effort fourni et le résultat obtenu) le concept
retenu de productivité étant d’ordre quantitatif et non qualitatif.
Ces techniques (emploi de pesticides, monocultures, etc) sont
occidentales.
Comme dans de très nombreux domaines (politique, économique, agricole),
notre tempérament colonialiste ou impérialiste nous pousse à imposer ce qui est
parfois « bon chez nous », aux autres. Nous dictons aux
autres comment « bien » faire, comment « bien » vivre.
Nous uniformisons le monde à notre image – occidentale,
judéo-chrétienne, capitaliste, etc.
Nous sommes trop butés pour accepter que ça ne marche pas. Des millions
de gens meurent de faim : serait-ce la faute à la fatalité ? Non,
c’est une conséquence.
Nous avons créé, alors, un système parallèle pour tenter de rendre
tolérable, en surface, une réalité affligeante, honteuse, inhumaine,
dégradante, irrespectueuse, irresponsable et déshonorante et au final nous nous empêtrons dans nos contradictions.
On est en droit de s’interroger sur nos intentions politiques:
Sommes-nous vraiment solidaires ? Souhaitons-nous seulement l’être ?
Ne pensons-nous pas, plutôt, que, comme l’illustre la théorie de l’évolution,
les plus forts s’en sortent ? Donc tant pis pour ceux qui sont nés
ailleurs, car nous sous allons bien, forts que nous sommes grâce à notre
matérialisme, à notre technologie, à nos hypermarchés. Nous sommes trop
nombreux sur cette planète pour nourrir tout le monde comme nous pensons qu’il
doit être nourri ? Qu’à cela ne tienne, la pauvreté exterminera le
surplus, au même titre que les maladies pour lesquelles nous estimons qu’il
n’est pas rentable de chercher un vaccin.
Le problème se résoudra de lui-même, d’une façon ou d’une autre.
Essayons de voir les choses en face.
Nous avons du sang sur nos mains.
Nous tuons nos enfants en laissant aux générations futures une planète
aux sols épuisés, à l’air pollué.
Nous tuons nos enfants en les nourrissant de
produits toxiques.
Nous versons une larmichette sur les cadavres de nos semblables morts
de faim. Nous ne nous scandalisons pas. Les tempéraments sont bridés.
Qu’y a-t-il derrière les appels à la mobilisation que lancent nos
gouvernants et les associations humanitaires ?
S’il y a de la sincérité dans la préoccupation qui les anime, et il y
en a, elle ne masque que partiellement une autre réalité.
Nous prenons de plus en plus conscience des erreurs que nous avons
commises. Nous réalisons que les valeurs de notre société, depuis 200 bonnes
années, ne sont peut-être pas les plus judicieuses pour l’ensemble de la
société. Cependant, parce qu’elles donnent une réponse facile à la question de
la richesse et du bonheur – être riche c’est accumuler des biens matériels- ces
valeurs nous gouvernent et sont devenues indétrônables. Mais elles ne profitent
qu’à un petit nombre, elles engendrent plus de problèmes bien réels qu’elles
n’en résolvent de manière illusoire.
Au lieu de nous remettre fondamentalement en cause, on bricole des subterfuges
pour pallier au plus urgent, tant bien que mal.
On se cache derrière le pan de légitimité
charitable de nos intentions politiques et individuelles.
On crée des ONG, on veut être plus solidaires de nos pauvres, des handicapés,
des personnes âgées, tout cela pour pérenniser un système dont on a peur de se défaire.
Pour apaiser la mauvaise conscience qui ne manque pas de poindre pour
peu que l’on regarde autour de soi.
Nous sommes hypocrites car nous savons pourquoi ces millions d'individus meurent de faim. Nous n'avons pas envie de changer les choses.
On s’accroche aux « avantages » de notre système et on en
minimise les dégâts «épiphénoménaux» que l’on tente de « corriger ».
L’Etat providence est un bel édifice mais nous nous cachons un peu trop
souvent derrière sa jolie façade de solidarité. C’est un édifice sur lequel
repose la Vème république et nous n’osons, par déférence, le remettre en cause.
Nous enjolivons les encornures, nous repeignons les bords de fenêtres. Certains
souhaitent le voir disparaitre intégralement, ce qui n’est pas une solution non
plus.
3- ECOUTONS-NOUS
Je ne crois pas que la charité qui consiste à envoyer des convois de
surplus de nourriture issus des hypermarchés de nos contrées soit une véritable
solution. C’est tout au plus une démarche transitoire, de dépannage pour pallier
à l’urgence. Je ne pense pas que ce soit aux citoyens, dans l’intimité de la
sphère domestique, à donner une partie de leurs courses à des organismes.
Non,
c’est aux hypermarchés, aux usines, aux grands producteurs de prendre leur
responsabilité et de donner leur surplus à des organismes. Quitte à ce que
cette pratique soit encadrée par l’Etat. Dans la mesure où l’Etat en manifeste
la volonté.
Ensuite, laissons les gens trouver des solutions, ensemble, adaptées à
leur région, leur climat, leur culture, leur histoire, leur croyance. Ils ont
souvent beaucoup de sagesse et nous devrions les écouter sans préjuger de leur
capacité à s’en sortir.
Prenons l’exemple du Push-Pull, de la Milpa, du no
labour et des tekkei du Japon, ne sont-ce pas là les manifestations de
l’universalité du bon sens ?
C’est le terme universalité qui est trompeur. Il ne veut pas dire
uniformité ou uniformisation.
En quoi consistent ces techniques agro-écologiques que Marie-Monique
Robin nous présente ?
Trois plantes, toujours différentes en fonction des régions, répondant
aux besoins primaires de l’agriculture (conservation de l’humidité des sols,
captation de l’azote de l’air, relation avec les insectes), sont cultivées
ensemble. Pas de monoculture : on respecte la nature dans son instinct de
diversité. Le résultat coule de source : ça marche très bien.
A chaque fois, les hommes ont inventé ces techniques en observant leur environnement, les particularités de leur territoire.
Ce même bon sens nous apprend que l’on doit se plier aux nécessités de
la nature. Il nous faut développer une agriculture locale, il nous faut
respecter les cycles des saisons.
Les légumes, les fruits que l’on peut cultiver, par exemple, en
octobre, au début de l’automne, sont justement ceux qui ont les propriétés
nutritives correspondant à nos besoins physiologiques en cette période de
l’année.
Pour notre santé à l’échelle individuelle, sous nos latitudes froides
en hiver, mangeons des courges, des lentilles, des pommes et des pois cassés
lorsque l’été s’en va. Nous serons contents de retrouver les tomates dans
quelques mois… bref, plions-nous aux besoins de notre organisme, prenons ce que
la nature nous donne quand elle nous le donne (tant qu’elle nous le donne
encore!).
Nous serons bien dans notre corps, nous serons bien dans notre
tête, nous serons en meilleure santé et beaucoup d'autres conséquences en découleront.
Mobilisons-nous, réfléchissons, soyons responsables et honnêtes,
discutons, partageons, écoutons-nous.
A REGARDER:
RépondreSupprimerLe documentaire de M.M. Robin "Les Moissons du futur"
http://www.youtube.com/watch?v=qq8J7H3UGAU