Au début du 20ème siècle, alors que la physique
classique est en plein essor et que la physique quantique connaît ses premiers
développements, de nombreux scientifiques se penchent sur la question de
l’origine de l’univers. Bien que cette question ait tracassé les hommes de
tout temps, c’est à cette époque que la science fait un grand bond en avant.
I - Origine de la théorie du Big Bang
L’univers a-t-il toujours existé ou bien est-il sorti de
nulle part, ou de quelque chose, mais quoi… Lorsque l’on s’arrête sur ces
considérations, on est confronté à une question métaphysique, insoluble
évidemment, qui est celle-ci : quelque chose peut-il avoir TOUJOURS
existé ? Ou bien si ce n’est pas le cas, quelque chose peut-il être sorti
du NEANT ? Le TOUJOURS renvoie à la
question de l’infini, de l’éternité inconcevable ; le NEANT est quant-à lui tout aussi
inconcevable.
Plusieurs visions s’opposent alors : pour faire simple
disons que soit l’univers est stable et son origine se perd dans l’infini, soit
il est en mouvement, en expansion, et on peut remonter à « l’atome
primordial » d’où il est issu. L’idée d’un atome primordial ne répond pas
à la question de savoir d’où vient cet atome, on le pense alors soit hors du
temps ou comme ayant « toujours » été là… Bref on spécule.
D’après Gilles Cohen-Tannoudji , physicien – article paru
dans philosophie magasine, novembre 2012 :
La théorie du Big Bang consiste en ceci : à l’origine,
tout l’univers était contenu dans une particule de densité infinie (pas au sens
propre du terme, mais infinie dans le sens où la densité était au-delà de ce
que l’on peut concevoir, seules les mathématiques postulent un infini infini).
Il y aurait eu une explosion – peut-être sous l’effet d’une trop forte densité-
et toute la matière se serait éloignée de son centre originel pour aller dans
toutes les directions sous l’effet de l’explosion. Pendant la première seconde
après le BB les premiers atomes se seraient formés pour créer des particules
d’abord simples puis plus complexes, donnant naissance à l’énergie, la matière et
le temps[i].
La théorie du Big Bang s’impose dans la seconde moitié du 20ème
siècle suite à plusieurs observations. D’abord, on confirme que les galaxies
d’éloignent les unes des autres, elles s’éloignent de plus en plus vite, et
plus elles sont éloignées, plus elles fuient rapidement. C’est ce qu’on appelle
l’accélération de l’expansion de l’univers. Elle se traduit par l’effet
Doppler, le décalage du bleu vers le rouge de la « couleur » des
galaxies observées. (Effet doppler que l’on connait dans notre quotidien
lorsqu’une sirène de pompier approche : au loin domine le son aigu qui
devient plus grave à l’approche. Cet effet Doppler est perceptible en termes de température, de son et de lumière). Si l’expansion s’accélère, on est en droit de
supposer que par le passé, elle était moins rapide, et que les galaxies étaient
donc plus proches les unes des autres. En extrapolant, on finit par concevoir
que toute la matière de l’univers était à l’origine, il y a 13.7 milliards
d’années, concentrée en un point d’une densité infinie.
Ensuite, on observe que la matière –observable et plus
particulièrement les particules légères- est repartie de manière uniforme dans
l’univers. Cette répartition est expliquée par la théorie de l’inflation :
après une explosion gigantesque, toute la matière contenue dans notre point
originel se serait répartie dans toutes les directions.
Enfin, il y a la découverte du rayonnement cosmique, appelé
aussi le fond diffus cosmologique. C’est l’empreinte qu’aurait laissé
l’explosion initiale dans la trame de fond de l’univers. Ce fond diffus
cosmologique témoignerait de la température infinie qui régnait à l’origine au
cœur de notre atome primordial. Cette température originelle infinie, sans
cesse en refroidissement depuis, rend compte de l’effet Doppler mentionné
ci-dessus.
II - Limites de la théorie
Les théories postulaient approximativement l’existence de
ces phénomènes et l’observation les a confirmées. Cependant, gardons à l’esprit
que lorsque l’on fait une expérience scientifique pour valider ou invalider une
théorie, bien souvent le fait de chercher quelque chose de plus ou moins précis
influence notre interprétation des résultats de l’expérience. Ainsi on trouve
ce que l’on cherche, ou son contraire.
Ce qui ne veut pas dire que l’expérience et l’interprétation
de ses résultats n’ont pas de valeur
mais qu’il faut rester prudent et bien travailler ses hypothèses de départ.
Il est intéressant de souligner que notre principal
« accès » à l’univers passe par la lumière : c’est en étudiant
celle-ci que l’on définit la composition chimique des éléments de l’univers. Or
la lumière est un phénomène qui pose encore pas mal de questions sans réponses.
La théorie du BB se confronte à un « obstacle
épistémologique » qui consiste en gros en ceci : la théorie permet de
remonter dans le « temps » jusqu’au moment où on tombe brutalement
sur un mur, un mur infranchissable, le temps zéro…or le temps zéro, eh bien, il
nous pose plus de question qu’il n’en résout !
Le temps zéro est appelé le « mur de Planck ».
L’observation ne nous permet pas de remonter au-delà de ce moment qui serait
celui de l’explosion primordiale, il est de 10 –42 secondes. Après ce moment déjà excessivement
précis et lointain ? Plus rien, on ne sait pas. C’est la naissance du
temps et avec lui, de l’espace et de la matière.
On peut théoriser sur l’état des choses avant ce moment, et
une théorie sympathique est celle de l’état KMS, par exemple (KMS pour renvoyer
aux auteurs de cette théorie). Ce n’est pas, me semble-t-il, une théorie qui fait
l’unanimité parmi la communauté scientifique, mais aucune ne la fait à ce
stade. Selon cette théorie, pour faire simple, on considère que dans le point
primordial, le temps n’existe pas. Il existe un temps « imaginaire »,
comme en mathématique il y a des nombres imaginaires, et que l’énergie, sous
forme « imaginaire » elle aussi, existe sous forme d’ « information ».
L’explosion du point aurait entrainé la naissance du temps et le développement
de l’information en énergie. Un peu comme un DVD : le disque en soi
contient le film en puissance, mais il faut un lecteur pour que l’information
contenue se déploie dans le temps, pour devenir un film. Ce serait à peu près
la même chose avec le Big Bang, qui marquerait alors le début du film de
l’univers. C’est une théorie qui fait appel à des hypothèses relevant de la
physique quantique, ce qui paraît légitime puisque l’on considère qu’au
« commencement », l’univers était un « atome ».
Je ne vais pas m’étendre sur les incompatibilités qui
existent entre physique quantique et physique classique, mais elles sont
fondamentales. Il est facile, de plus, d’en avoir un aperçu[ii].
Ce qui m’intéresse, c’est que la question métaphysique de
l’origine de l’univers est tributaire- nécessairement- de la question du temps.
Et le temps – qui a fait l’objet d’un autre article sur ce blog- est relatif à
notre capacité de perception.
Einstein a bouleversé de nombreuses idées reçues sur le
caractère potentiellement absolu des notions de temps et d’espace. Ses théories
de la relativité restreinte et générale mettent en avant le fait que ces
notions sont relatives à la position de l’observateur.
La théorie de la relativité générale est une théorie de la
gravitation. Elle rend compte des phénomènes que provoque la force gravitationnelle. Le phénomène
décisif provoqué par la gravitation est celui-ci : la présence de masse,
de matière dense, provoque une modification de l’espace-temps. Une courbure de
la dimension spatio-temporelle s’opère à l’approche d’un corps massif. Le temps
se dilate avec l’éloignement par rapport au corps massif ; le corps massif
attire la matière moins massive, d’autant plus fortement que la matière moins
massive est proche du corps massif.
L’espace, le temps et la matière sont intimement connectés,
dans un jeu d’inter-rétroactions complexes.
Le mathématicien et physicien Alexandre Friedman a travaillé
sur les théories d’Einstein. Il a démontré que les hypothèses de la géométrie
euclidienne (« deux droites parallèles ne se rencontrent jamais »,
par exemple) ne sont valables que dans notre espace-temps, sur notre bonne
terre. Elles s’écroulent lorsqu’on les transpose dans un autre espace temps
soumis à une force gravitationnelle différente.
Concernant l’expansion accélérée de l’univers : il
semblerait que cette expansion entre en contradiction avec la forcé
gravitationnelle théorisée par Einstein. Si la force gravitationnelle fait que
les objets de masses différentes dans l’univers sont attirés les uns par les
autres, proportionnellement à leur distance, comment se fait-il que les
galaxies s’éloignent les unes des autres ? Pour réduire cette
contradiction, on a postulé l’existence d’une force antigravitaionnelle, que
l’on nomme aussi « constante cosmologique » pour reprendre le terme
qu’Einstein avait établi dans sa théorie. (Bien que non convaincu que l’univers
soit en expansion, pour « faire tenir » ses équations, il avait
pressenti l’existence d’une « constante cosmologique », sans y être
attaché puisqu ‘elle contredisait sa conviction d’un univers stable.)
Une force antigravitationnelle contrebalancerait la force
gravitationnelle. Ce sont les recherches menées sur ce sujet qui ont mis en
évidence l’existence d’une énergie sombre. On voit en cette dernière notre
potentielle force antigravitationnelle.
N’oublions pas non plus ce point : environ 90% de ce
qui compose l’univers nous est inconnu…
III - Relativité
L’espace, le temps et la matière seraient apparus avec le Big
Bang, c’est ainsi que l’on voyait les choses.
Voici un passage de Gilles Cohen-Tannoudji :
« Personnellement,
j’ai tendance à faire une distinction très nette entre ce que j’appelle
l’univers et l’Univers. Avec un u minuscule, ce mot ne renvoie pour moi qu’à
l’univers observable. Mais cet univers qui nous est observable ne peut pas
coïncider avec l’Univers dans son entier.[…]L’univers qui nous est observable,
étant borné par un horizon dont nous sommes le centre, est anthropocentré. Attention,
je ne dis pas que nous sommes au centre de l’Univers, mais étant inclus dans
l’Univers, nous ne pouvons le saisir de l’extérieur. »
Nos connaissances sont donc toutes des connaissances
« pour nous », de notre point de vue, c’est en ce sens que nous
sommes au centre de notre univers.
Il cite un mathématicien suisse, Ferdiand Gonseth :
« Les connaissances que nous avons ne sont jamais autre
chose que des connaissances relatives à un horizon de connaissance, les
réalités les plus ultimes que l’on connaisse ne sont jamais autre chose que des
horizons de réalités ».
Il semble alors que toute nos connaissances soient
relatives, tributaires de nos capacités à percevoir, raisonner, interpréter.
On a d’abord cru que la terre était plate, puis on a compris
qu’elle était ronde. On a cru que notre planète était au centre de Tout et que
les astres tournaient autour de nous, puis on a compris que non, c’était notre
planète qui tournait autour du soleil. On a cru que le système solaire était au
centre de l’univers, et puis non, on a découvert que notre galaxie n’était
qu’une petite galaxie perdue parmi des centaines de milliards d’autres
galaxies. Même notre soleil s’avère être une étoile plutôt petite. Sans cesse
nous nous rendons compte que notre place dans l’Univers est plus
« éloignée », confuse, que ce que nous pensons premièrement.
Etant donné que la science, en avançant, ne fait que nous
révéler la relativité de nos postulats, il est raisonnable de penser que ce que
nous appelons temps, espace et matière est encore loin d’être connu. Il est dans
ce cas un peu précipité de croire que nous sommes en mesure de comprendre
comment l’Univers fonctionne. Comme le dit Gilles Cohen-Tannoudji, ce que nous
sommes en mesure de comprendre, c’est comment fonctionne l’univers, de notre
point de vue.
Le fait d’affirmer que les lois mathématiques forment le
langage universel de l’Univers est un peu présomptueux, nécessaire pour
avancer, mais présomptueux. Les maths
sont à mes yeux, notre moyen de lire
le monde, l’expression magnifique de notre rationalité, mais c’est un moyen qui
permet d’appréhender UNE des manifestations du fonctionnement de l’Univers.
Trop souvent ai-je lu et entendu de la part des grands
scientifiques que la raison humaine et les mathématiques étaient l’outil
absolu, l’outil qui permettait de comprendre, de plier la nature aux règles
qu’on lui découvrait. Cette idée reflète l’enthousiasme que l’on éprouve face à
la capacité heuristique des mathématiques, et je pense que cet enthousiasme
légitime masque les limites de cette discipline. Cela devient plus clair
lorsque l’on dissèque finement les procédés qui sous-tendent la « méthode
scientifique ». Sans dévaluer notre méthode, une telle dissection permet
de RELATIVISER.
« Relativiser » est un terme que j’emploie
beaucoup mais je ne défends pas un relativisme qui mènerait au nihilisme. Je
défends une posture d’humilité, de questionnement, de prise en compte des
contours fragiles de nos perceptions, une prise en compte de nos
« limites ». J’entends par « relativiser », garder à l’esprit
que toute chose est en relation nécessaire et irréductible avec d’autres choses.
A suivre...
[i] Voici un
bouquin très bien fait et surtout –très important à mes yeux – accessible à tous les curieux qui veulent en savoir plus sur le BB et les mystères de
l’univers :
« Une belle histoire du temps » de Stephen
Hawking qui reprend tout l’historique de l’astronomie.
[ii] Autre bouquin très accessible :
« Les énigmes mathématiques du troisième millénaire » de Keith
Devlin : le chapitre deux « Les champs qui nous composent »,
comme le titre ne le montre pas, expose avec une grande pédagogie les tenants
et les aboutissants de la physique quantique et de la physique classique,
expliquant la recherche actuelle d’une théorie unifiée de la matière.
Attention " comme en mathématique il y a des nombres imaginaires," tu devrais retirer cette phrase, elle n'appuie pas ce que tu cherches à démontrer...
RépondreSupprimerles nombres imaginaires en math, sont des nombre complexe ( 2 dimensions : une partie réelle et une partie imaginaire ),
C'est vrai, tu as raison :) pour le coup j'aurai bien du mal à définir "imaginaire" au sens où je l'entends, qui finalement est la partie imaginaire d'un nombre complexe, comme √-1 est un nombre qui n'existe pas mais qui n'existe !
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