J’étais en train d’essayer de travailler un peu mais comme
la neige ne cessait de tomber, je n’arrivais pas à me concentrer suffisamment.
Je préférais regarder par la fenêtre.
J’ai ouvert une page internet et je me suis connectée à
facebook, pour voir d’un œil distrait les derniers postes sur le fil d’actualité.
Je suis tombée sur une vidéo partagée dont le titre m’a interpelée et je l(ai
regardée.
Il s’agissait d’un film d’une trentaine de minutes relatant
un mouvement qui a été créé en vue de mobiliser l’opinion sur Joseph Kony, en
Ouganda. Kony dirige un groupe, le LRA (
Lord’s Resistence Army) qui enlève des enfants pour en faire des soldats ;
des petites filles pour en faire des esclaves sexuelles.
L’auteur du film, Jason Russell, raconte comment il a été
touché par le discours d’un de ces enfants, Jacob, qui avait vu son frère mourir
et qui pleurait en disant qu’il préférait se faire tuer que de continuer à
vivre comme cela. Russell a décidé de s’engager dans une lutte visant à faire
tomber Kony.
Il a créé un mouvement, « Invisible Children » et
a cherché à mobiliser la communauté internationale à ce sujet.
Comprenant que les dirigeants des USA ne s’intéressaient pas
au problème pour la simple raison que
Kony ou l’Ouganda ne représentait pas une menace pour la sécurité américaine,
Russell a décidé de trouver d’autres moyens d’agir. Il a utilisé les réseaux
sociaux pour faire connaître Kony et dénoncer ses crimes. Il cherche à rendre
Kony aussi célèbre qu’une star internationale, partout, pour que l’opinion
fasse pression sur les politiques pour se débarrasser du criminel. Il
interpelle des célébrités pour qu’elles passent le message et fassent ainsi
réagir les politiques, pour qu’ils décident d’une intervention militaire. Le
mouvement a pris une grande ampleur et approche de son but.
A la fin de la vidéo, Russell nous dévoila sa stratégie :
propagation de la vidéo sur internet et appel au don.
Le film était plein d’enthousiasma, comme les américains
savent le faire quand il s’agit de se mobilise rpour une cause juste. Russell montrait
qu’il voulait laisser à son fils un monde meilleur, que nous avions le devoir
de façonner l’histoire de l’humanité, etc… un tantinet messianique sans que
cela ôte toute la légitimité de l’entreprise.
Avant tout commentaire intérieur ou prise de position, j’ai « googelisé»
les différents protagonistes de la vidéo : Kony, Russell et Invisible
Children…
Je n’ai pas été voir toute l’histoire de l’Ouganda et du LR
qui, de toute évidence, est bien plus complexe que ne le laisse entendre le
résumé de Russell. Je voulais voir ce que je pouvais trouver sur le mouvement
Invisible Children, de l’extérieur.
Je suis tombée sur un article du Guardian traitant de
Russell. Ce dernier aurait récemment et momentanément « pété un cable ». Il aurait été
arrêté dans la rue, nu, en train de se masturber et de taper le sol à coups de
poings.
Ce qu’il dit, après coup, au guardian :
« My mind
couldn’t stop thinking about the future – I literally thought I was responsible
for the future of humanity. It started to get into the point where my mind
finally turned against me and there was a moment that click, I wasn’t in
control of my mind or my body.”
En gros, la notoriété aurait retourné le cerveau de notre
jeune père de famille à force de se prendre pour le sauveur de l’humanité qu’il
n’est apparemment pas.
Sur de nombreux forums, les points de vue se multiplient.
Certains pensent que son action est louable et que le
gouvernement américain a cherché à le décrédibiliser. D’autres estiment que
Jason est un charlatan qui, via son organisation « Invisible Children »
cherche à financer l’armée ougandaise pour tuer Kony et critiquent alors sa
stratégie d’ingérence militaire sous couvert d’humanitaire. D’autres encore
montrent que Jason s’est énormément enrichi grâce à son projet.
Bref, ce que je vois, moi, c’est qu’on ne sait plus que
croire tant les informations prolifèrent. Il faut redoubler de vigilance et
consacrer un temps fou à dépiauter les données quand on cherche un peu d’objectivité.
Ce que je crois, par contre, est relatif.
Si Jason a pété un câble, et apparemment c’est le cas, c’est
son explication qui m’intéresse. Pris dans l’engrenage d’une cause juste qui l’a
touché profondément parce qu’il a été en contact direct avec un enfant soldat,
Jacob, notre homme s’est senti investi d’une mission. Un peu comme quand une
prise de conscience nous tombe sur le coin de la tête, nous fait voir des
étoiles et nous impose de réagir.
Lorsque cela arrive dans un pays où la culture est percluse
de bonne volonté messianique et de puritanisme, les réactions sont démesurées. Le tempérament
américain est effectivement propice à susciter ce genre d’envolée psychologique
à saveur messianique.
L’intention de Jason a été dépassée par la puissance des
moyens qu’il a mis en œuvre, et il n’a pas réussi à gérer la visibilité qu’il a
soudainement gagnée.
Ensuite, sur le projet lui-même, je n’adhère pas à l’ensemble
de la stratégie. Dès que l’on demande des sous, de toute façon, je suis
sceptique (c’est comme le projet de James Redfield de la « Prophétie des
Andes » : bouquin intéressant, intention sympathique de l’auteur,
mais complètement décrédibilisée par sa conclusion qui confine au prêche, à l’aumône
et à la sectarisation).
Faire connaître au plus grand nombre de citoyens, par les
moyens existants, qu’un criminel tue impunément des enfants, oui, biensûr, c’est
une bonne démarche.
Savoir, c’est pouvoir. Qu’un individu se mobilise pour une
cause, là aussi, tant mieux. Il y a tant de causes à défendre, tant de
profiteurs qui tuent, d’une manière ou d’une autre mais toujours impunémnt. Par
contre, la violence n’est jamais une solution. Et créer une association qui,
certes, construit une école mais qui vise avant tout à mettre à mort un
criminel, je suis sceptique.
Des centaines d’organisations existent qui ont montré patte
blanche, c’est vers elle qu’il faut se tourner. Demander de l’argent pour
offrir aux concitoyens un moyen de sentir qu’ils participent à une cause juste
ne résout rien.
Des stratèges entrainés à résoudre ces problèmes d’atteintes
à la vie et aux droits des hommes sauront comment mettre un terme aux actions
de Kony. On sait que les Etats ont en leur possession plus de moyens qu’on ne
le saura jamais pour atteindre un but militaire, géopolitique – pour peu qu’il
y ait des intérêts économiques importants
en jeu.
La question de l’ingérence militaire est une question qui ne
devrait plus être pertinente de nos jours. Envoyer l’armée d’un état ou d’une
organisation pour guerroyer dans un autre état, c’est une erreur.
Prendre contact avec quelques structures civiles pour
envoyer une aide humanitaire, c’est plus raisonnable. De nos jours, la
transnationalisation des structures rend obsolètes les stratégies
interétatiques. Les organisations extrémistes, fondamentalistes, sont quasi
invisibles si on ls cherche géographiquement. Il faut chausser les lunettes de
la virtualisation des mouvements pour voir quelque chose. Et quand on voit
quelque chose, un flux, un point, encore faut-il savoir quoi faire de cette
information.
Bref ce que je retiens, c’est comment on peut tomber sur une
vidéo qui va susciter un grand engouement, puis comment on trouve ensuite sur
des forums et sur des sites internet des avis tous plus contradictoires les uns
que les autres, créant ainsi plus de confusion, créant à la suite – et légitimement- un désabus des
gens. Ce qui m’intéresse, c’est la manière très « américaine » dont
la vidéo souligne un tempérament messianique efficace, jouant sur le levier de
l’émotion. Et ce qui m’intéresse, c’est ce qui a pu se passer dans la tête de Jason
Russell.
Pour voir la vidéo
Un article du Guardian
Un forum
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