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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

jeudi 17 janvier 2013

Hans et Sophie Scholl - morceaux choisis

Je lisais récemment les "Lettres et carnets" de Hans et Sophie Scholl, ces jeunes frère et soeur allemands exécutés le 22 février 1943 pour avoir élaboré et distribué 6 tracts du réseau de résistance "la Rose Blanche". Lui avait 25 ans et elle 22. J'en suis à la moitié du bouquin et dès les premières lignes, j'ai eu l'impression de retrouver Anne Franck. J'avais lu le journal d'Anne Franck au collège, comme beaucoup j'imagine, et j'avais été très marquée par cette lecture. J'ai gardé le livre à côté de moi plusieurs mois après l'avoir terminé, posé sur mon bureau ou par terre près du lit, jusqu'à ce qu'il soit digéré je pense. Je ne pouvais pas me séparer du bouquin parce que je ne voulais pas l'oublier. Son journal m'avait énormément apporté à l'époque. Anne était devenue ma copine et je pensais très souvent à elle. 
Loin d'être glauque ou douloureuse, c'est une lecture pleine de fraîcheur, de dynamisme et d'enthousiasme. Malgré l'adversité et l'horreur de l'époque.


Je propose içi quelques passages des Lettres et Carnets des jeunes Scholl. Je les ai choisi principalement pour leur rapport à la nature, omniprésente dans leur réflexion alors que le pays entre en guerre. 


Sophie à sa soeur Inge, le 8 juillet 1938:

« C’est drôle d’être si petite quand les arbres sont si grands. […]
Je ne dessine pas beaucoup ces temps-ci. Nous apprenons très bien à dessiner à l’école, même si notre professeur est moyenne et encore très jeune.[…] J’aimerai poursuivre comme notre professeur. Je dois cesser de me poser tant de questions. J’apprends, c’est l’essentiel. Le reste viendra tout seul, n’est-ce pas ?Je n’ai pas le sentiment d’une vocation ni rien de tel, mais qui veut devenir un artiste doit être avant toute chose un être humain. De fond en comble. Je vais essayer et travailler sur moi. C’est très dur. Je suis terriblement superficielle … »


Hans à ses parents, le 8 novembre 1938:

« Je suis à nouveau pris par la routine. […]Chaque jour apporte quelque chose de nouveau, […]quand on fait brièvement le point dans sa tête, on comprend qu’on a acquis encore une nouvelle expérience , absorbé une nouvelle image, rencontré de nouvelles créatures – oui, et par-dessus tout la nature, qui fait de nous des gens plus mûrs. »


Hans à ses parents, le 17 avril 1939:

« Si je disais à mes camarades tout ce à quoi je me suis inscrit, ils me traiteraient de fou […] mais ça en vaut vraiment la peine. Savoir, c’est pouvoir. » 

Journal de Hans, septembre 1939:

«Je me suis plongé dans des réflexions sur le rapport de l’homme à la nature, ou mieux : la nature est-elle vraie ? Je dois scruter au fond de moi et essayer d’explorer toutes les causes premières. Voici un an,  je disais à Lisa : à l’automne, la forêt fait étalage de coquetterie parce qu’elle sait qu’elle tendra bientôt ses branches nues et noires dans le ciel glacé de l’hiver. Ce n’est pas vrai : la nature ne connait pas la coquetterie. Ce sont les hommes qui la lui attribuent. Les hommes, qui regardent le monde de leur point de vue et en tirent des conclusions ».

Sophie à son ami Fritz, avril 1940:

« Si tu n’étais pas loin, je t’enverrais des scilles, des anémones, des tussilages, des fleurs de coucou et des violettes. Mais elles ne pourraient que faner. Cueille-t’en quelques unes. […] Je préférerais te raconter des histoires de printemps. Imagine-les toi-même. Sur les bois, les champs et nous deux. Et quoi que tu fasses, ne deviens pas un lieutenant arrogant et indifférent. Pardon ! Mais c’est si facile de devenir insensible, et je crois que ce serait fâcheux. »


Hans à sa sœur Elisabeth, le 29 avril 1940:

« Je ne sais pas ce qu’il adviendra de moi par la suite. Au fond, ça n’a pas grande importance, parce que je suis moi partout où je vais, et que les arbres sont partout en fleurs, et que l’après-midi on peut déjà s’étendre sur l’herbe à l’ombre d’un bouleau. L’environnement n’a pas tant d’importance. Ce qui compte, c’est ce que nous y apportons. »

Sophie à Fritz, le 16 mai 1940:

« Même ici la guerre se remarque parce qu’il ne se passe guère une minute sans que les oreilles soient assaillies par le vrombissement des avions. La pentecôte a été vraiment magnifique, cependant, et c’est vraiment merveilleux que rien ne puisse dévier le cours de la nature. Nous étions couchés dans l’herbe […], la prairie était tout empourprée par les compagnons rouges […], il y avait des centaines d’autres espèces de fleurs et d’herbe qui poussaient dans les près et les forêts. Un oiseau chantait dans l’arbre au-dessus de nous et un autre lui répondait depuis la forêt par la même délicieuse mélodie. […] Pense un peu à autre chose que ton travail. Trouves-tu parfois le temps de lire ? Je voudrais tant que tu survives à cette guerre sans en être la créature. Nous avons tous nos échelles de valeurs en nous, mais nous ne les consultons pas assez souvent. Peut-être parce que ce sont les échelles les plus rudes. »

Sophie à Fritz, le 22 mai 1940:

« Je n’arrive pas à imaginer que deux personnes puissent vivre ensemble lorsqu’elles ont un avis différent sur ces questions, ou du moins sur la manière de le traduire en actes. Il ne faut pas être ambivalent soi-même pour la simple raison que tout le reste l’est, […] sous prétexte que nous sommes nés dans un monde de contradictions, il nous faudrait nous y soumettre. Assez étrangement, cette attitude si peu chrétienne est particulièrement répandue chez ceux qui se disent chrétiens. En ce cas, comment pourrait-on attendre du destin qu’il fasse triompher une cause juste quand si rares sont les gens qui se sacrifient sans broncher à une cause juste ? Existe-t-il encore des gens qui ne se lassent jamais de concentrer totalement leurs pensées et leurs désirs sur un seul objectif ? Ce qui ne veut pas dire que je me rangerai au nombre des cœurs simples au vrai sens du mot. Il ne se passe guère une heure sans qu’une de mes pensées digresse, et très rares sont mes actions qui correspondent à ce que j’estime juste. Je suis souvent si effrayée par mes actions, qui me dominent comme de sombres montagnes, que je ne désire qu’une chose : cesser d’exister, ou devenir un grain de poussière ou un fragment d’écorce. Mais ce désir qui souvent me terrasse est mauvais parce qu’il ne vient que de la lassitude.
C’est mon fort la lassitude. Elle me fait me taire quand je devrais parler. […] Ne me crois pas bonne parce que je suis mauvaise. […] Je voulais te dire des choses gentilles et joyeuses et voici la lettre à laquelle tu as droit. […] Pardonne-moi si cette lettre te paraît embrouillée, mais je ne peux pas toujours me montrer telle que je ne suis pas. »

Sophie à Fritz, le 29 mai 1940:

«  Nous avons vraiment un temps magnifique en ce début d’été. Si j’en avais le temps, j’irai au bord de lIller pour nager, paresser et essayer de ne penser à rien d’autre qu’à la beauté autour de moi. Ce n’est pas facile de s’interdire de penser à la guerre. Même si je ne sais pas grand-chose de la politique et que je n’ai aucune ambition en la matière, j’ai ma petite idée du bien et du mal, parce que ça n’a rien à voir avec la politique et la nationalité. Et j’en pleurerais, de voir combien les gens sont mesquins, même à un haut niveau de responsabilité politique, et trahissent leurs semblables, peut-être pour un avantage personnel. Le courage ne pourrait-il pas passer par là ? […] Je suis parfois tentée de considérer l’humanité comme une maladie de peau de la terre. Mais seulement parfois, quand je suis très lasse, et que des hommes qui sont pires que des bêtes occupent tout mon esprit. Mais tout ce qui importe, au fond, c’est de savoir si nous allons nous en sortir, si nous parvenons à rester nous-mêmes au milieu de la masse, qui ne pense qu’à son profit. Pour qui la fin justifie les moyens. Elle est tellement écrasante, cette masse, et il faut être mauvais pour survivre. »

Sophie à Fritz, le 17 juin 1940:

« Il y a deux roses sur ma table de chevet. Des chapelets de minuscules perles se sont formés sur les tiges et le feuillage qui trempe dans l’eau. Quelle vue pure et belle, quelle froide indifférence il s’en dégage. Dire que ça existe. Que les arbres se contentent de pousser, et les blés et les fleurs, que l’hydrogène et l’oxygène se sont mêlés pour former ces merveilleuses et tièdes gouttelettes d’été. Il arrive que cela s’impose à moi avec une telle force que j’en suis totalement pénétrée et qu’il ne reste plus de place pour une seule pensée. Tout cela existe alors que les hommes se conduisent de manière si inhumaine au sein de la création, comme même les bêtes ne le font pas. »

Sophie à Fritz, le 19 juillet 1940:

« Cet après-midi, j’ai fais deux heures de promenade à bicyclette avec Inge. C’était magnifique, et j’en suis rentrée enrichie. C’est si bon de pouvoir prendre des choses, comme ça, sans priver personne. C’est bon que les forêts et les prairies et les nuages ne changent jamais, contrairement à nous les hommes.[…] Et même quand tu penses que tout a une fin, la lune reparaît dans le ciel la nuit suivante. Et les oiseaux continuent de chanter aussi suavement, empressés, sans s’inquiéter de savoir si ça rime à quelque chose. As-tu remarqué comment ils inclinent leurs petites têtes vers le ciel et chantent avec un abandon complet, et comme leur petite gorge se gonfle ? C’est bon que cela existe toujours. Et tu y as droit toi aussi. Cela suffit à réjouir le cœur, n’est-ce pas ? »

La suite quand j'aurai avancé dans le bouquin!



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