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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 31 août 2013

Vous avez dit sapiosexualité?

Nous sommes tous susceptibles d'être attirés sensuellement par une personne de même sexe que soi, si l'on s'extrait des conventions socio-culturelles qui nous encadrent psychologiquement.
Ce qui nous attire chez une personne, inconsciemment, c'est son rapport au monde et son rapport à elle-même, quand ce rapport nous renvoie une image admirable et quelque part, familière, improbable, ou inattendue.......

Nouvel article sur l'attirance ! On est d'accord?... Pas d'accord?....

Bonne lecture :)

Attraction du genre


Il y a peu de temps, je découvrais le concept de sapiosexualité. Ce terme définit un type d’attirance entre personnes comme on peut le voir ci-dessous :

 Sapiosexuel: se dit d'une personne qui est sexuellement attirée par l'intelligence chez l'autre.

A partir de là, plusieurs questions se posent :
Qu’est-ce que l’attirance, qu’est-ce que l’intelligence, et qu’est ce que la sapiosexualité nous apprend sur les autres formes de sexualité (homo, hétéro, bi, principalement). Ce n’est pas tant la sexualité pratique qui nous intéresse ici, mais plutôt ce qui la précède.
Hétéro, homo, bi et les mots pour le dire
Ces trois termes, hétérosexualité, homosexualité et bisexualité, permettent de faire le tour des possibilités d’association entre les deux genres qui nous caractérisent, masculin et féminin. L’hétérosexualité correspond à une attirance entre deux personnes de sexe différent, l’homosexualité, entre deux personnes du même sexe, et la bisexualité définit une personne susceptible d’être attirée par l’un ou l’autre sexe. Ces trois termes sont bien pratiques et les choses sont ainsi clairement posées. A chacun de cocher la case qui lui correspond et le débat est clos. Ce n’est pourtant pas aussi simple qu’on le voudrait, la réalité est souvent bien plus compliquée.
Petite remarque liminaire : d’un côté nous pouvons considérer l’hétérosexualité, l’homosexualité et la bisexualité comme des phénomènes liés aux rapports interpersonnels (entre deux personnes) et d’un autre côté la transsexualité qui a beaucoup plus à voir avec la question de l’acceptation individuelle de son propre genre. C’est pourquoi cette dernière ne fait pas partie de cette réflexion.
Emotions et sentiments
Tout d’abord, il faut admettre que si les mots sont bien pratiques dans leur usage quotidien, ils enferment plus qu’ils ne décrivent une réalité souvent diffuse. N’importe quel mot du langage – le signifiant- renvoie à un concept –le signifié- sur lequel on s’entend plus ou moins par convention, par processus culturel. L’ensemble des mots et de la structure d’un langage correspond à une vision du monde partagée par la communauté bercée par ce langage.
Lorsque les mots sont attachés aux objets qui nous entourent, on peut arriver à se comprendre. Par exemple, lorsque l’on suit une recette de cuisine, il n’y a généralement pas matière à tergiverser sur le sens (intrinsèque) des ingrédients. Œufs, citron, vanille, filet de dinde : peu de place pour les questions d’interprétation…
Mais lorsque les mots visent à caractériser la matière humaine –les émotions, les sentiments, le psychisme- ils sont porteurs d’ambigüité et causes de troubles. Par exemple, le mot amour recouvre de nombreuses dispositions du cœur : l’amour d’un père pour son enfant, l’amour d’une personne pour une autre, l’amour fraternel, l’amour esthétique, l’amour comme enthousiasme pour une cause ou une activité, l’amour comme amitié, l’amour comme admiration, l’amour comme désir, etc…
Attribuer un mot à une partie de la réalité revient à intellectualiser une partie de cette réalité, à la conceptualiser. Or il est probable qu’une grande partie de ce qui relève de l’humain, du ressenti, ne soit pas intellectualisable…
Il est ainsi probable qu’une émotion (ou un sentiment) portant un nom, une étiquette, soit ressentie plusieurs fois sans jamais être foncièrement la même. On peut considérer qu’une émotion est une forme d’interaction entre le sujet qui ressent d’une part, et d’autre part, l’objet ou la personne qui suscite cette émotion à un moment donné. Une émotion serait une interaction circonstanciée. Quant au sentiment, qui est par définition durable, on peut dire qu’il est façonné par plusieurs émotions, plus fugaces, qui ont creusé le lit du sentiment… Par exemple, le sentiment d’amour entre deux personnes naît des émotions que suscitent des échanges répétés entre ces deux personnes. Cela étant dit, il n’est pas rare de confondre sentiment et émotion car les deux ne sont pas facilement dissociables.
Une fois que l’on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose. On a tout au plus mis à plat quelques évidences…
Si des échanges ou des contacts entre deux personnes suscitent des émotions de part ou d’autre, c’est parce qu’il y a un phénomène d’attirance entre ces deux personnes, et c’est cela qui nous intéresse ici.
Attirance, genre et « intelligence »
On considère généralement que ce qui fait naître une attirance, c’est le physique. Il semble assez évident que le physique d’une personne est lié à son genre. Dans nos sociétés, ce qui définit en premier lieu une personne c’est son genre.
Question : lorsque l’on présente une personne comme étant un homme ou une femme, décrivons-nous une caractéristique principale ou secondaire de cette personne ? Son genre nous renseigne-t-il foncièrement sur cette personne ou bien est-il un épiphénomène ?
Connaître le genre d’une personne détermine sa potentialité à exercer sur nous une attirance. L’attirance est donc subordonnée au genre. C’est précisément cette subordination que je questionne.
Voici deux exemples :
Alain se définit comme hétérosexuel. Porte-t-il le même regard sur une femme que sur un homme ? Probablement non. Toute femme qu’il croisera sera susceptible de l’attirer physiquement.
Julie se définit comme homosexuelle. Elle annonce à sa famille qui ignore son homosexualité qu’elle a rencontré quelqu’un. Elle décrit cette personne à travers ses valeurs, ses activités et prend soin d’écarter le fait que ce soit une femme jusqu’au dernier moment. Comment réagit la famille ? Avant de connaître le genre de l’amie de Julie, elle présume que c’est un homme et est ravie. Une fois lâché le mot femme, n’y a-t-il pas modération de l’enthousiasme ? (Doux euphémisme dans certains cas.)
Ces deux exemples montrent deux choses : d’abord que les conventions sociales intériorisées déterminent le comportement individuel, ensuite que la déviance est source de conflit et de névrose. Tout cela est bien connu et d’une grande évidence.
Que pour se construire l’individu ait besoin de « se poser en s’opposant », soit, mais certaines oppositions – comme celle entre hétéro et homo- ne sont peut-être pas aussi fondées qu’elles le paraissent.
Et c’est ici qu’intervient la sapiosexualité.
Ce concept implique que ce n’est pas le genre qui conditionne une attirance mais autre chose. La sapiosexualité est un concept transgenre – qui transcende la question du genre- et qui remet en cause potentiellement les trois autres formes de sexualités vues plus haut (hétéro, homo, bi). C’est un concept qui place l’intelligence d’une personne en critère déterminant. Biensûr, on peut être hétérosexuel et sapiosexuel, auquel cas, la sapiosexualité perd, à mon sens, en pertinence. C’est pourtant comme cela, en sous-catégorie par rapport à l’homosexualité ou l’hétérosexualité, qu’elle est généralement entendue.
Je propose donc de partir de ce concept pour appuyer l’hypothèse suivante : nous sommes tous susceptibles d’être attirés sensuellement par une personne du même sexe pour la simple raison que le genre n’est pas déterminant, une fois que l’on fait l’effort – compliqué- de s’extraire des conventions sociales.
Pour appuyer judicieusement cette hypothèse, il convient de repenser la sapiosexualité.
Nous allons faire cela en deux temps : un premier portant sur l’attirance, un second sur l’intelligence.
Nous avons jusque là effleuré le principe de l’attirance sans en dire grand-chose. Nous nous sommes contentés de dire que bien souvent elle était issue des attentes intériorisées en fonction du genre.
Mais il existe plusieurs types d’attirance comme le précise un psychanalyste ci-dessous :
« Il convient de différencier les attirances plutôt gouvernées par le ça freudien – c’est-à-dire par les pulsions inconscientes, ces forces inconnues et antérieures à toute maîtrise possible, qui nous font dire après coup : « Ç’a été plus fort que moi », forces à l’origine des coups de foudre – des attirances qui tombent sous l’emprise du surmoi. Celles-ci sont dominées par une sorte de juge interne qui fait que l’individu se conduit à partir de règles intérieures, se limite dans ses engouements pour rester conforme à une morale, ou à des idéaux hérités de sa famille, de la société, auxquels il reste fidèle de fait. (Norbert Chatillon, psychanalyste, membre de la société française de psychologie analytique et ancien président du groupe d'Etudes C.G. Jung.)
Que veut-il dire… D’un côté, certaines attirances ont lieu sans que l’on puisse leur donner sens, leur effet nous submerge et nous sommes troublés. D’un autre côté, d’autres attirances, que l’on pourrait décrire comme « convenables » ont lieu et si elles sont, elles-aussi causes de trouble, ce trouble en est moins « désorientant ». Le trouble causé par le premier type d’attirance peut être étouffé, nié, rationnalisé, c’est-à-dire intégré à une échelle individuelle de principes (par réduction de la dissonance cognitive par exemple, cf. article « Foi et religion »[i]) ou bien il peut passer inaperçu en fonction de la sensibilité des individus.
Le second trouble est jugé « normal » par rapport aux conventions sociales et l’on sait s’en accommoder tant bien que mal.
Ce qui est intéressant, c’est que ces deux types d’attirance reposent sur une même chose, si l’on essaye d’être à l’écoute du trouble.
Ce qui attire chez une personne, au-delà de son physique ou son genre, est lié à sa personnalité. Plus encore, ce qui attire, ce qui séduit chez une personne, c’est le rapport que cette personne a à elle-même, et le rapport que cette personne a au monde qui l’entoure. Ce peut être une touche de naïveté, ce peut être de l’assurance, ce peut être un ensemble de certitudes, c’est en tout cas l’univers qu’elle véhicule. Cet univers particulier « correspond » à et avec l’univers auquel l’autre aspire ou que l’autre possède.
C’est souvent parce qu’il y a correspondance entre deux univers mentaux que les corps frémissent et parfois, les corps peuvent frémir avant même que la correspondance mentale soit envisageable. Parfois, un corps peut frémir avant l’autre ; la question de la réciprocité est alors toute autre.
Il est probable que notre corps ne cesse de nous envoyer des signaux auxquels nous ne prêtons pas attention. Il est probable qu’en matière de sexualité, il en soit ainsi.
Une attirance sensuelle n’a biensûr pas vocation à être concrétisée, mais simplement acceptée. (C’est là qu’interviennent la responsabilité, la sagesse et toutes ces choses qui mettent du temps à être domestiquées…)
Si l’on accepte de ressentir ce que notre corps ressent, on est tout simplement plus serein avec soi-même, ce qui n’est plus aussi évident.
Lorsque la sapiosexualité parle d’intelligence, elle limite considérablement la portée potentielle du concept qu’elle représente. En effet, l’intelligence, en soi, ne veut rien dire. Pire, elle n’existe peut-être pas. L’intelligence (concrétisée par un nombre de diplômes, par un verni de culture…) n’a jamais été synonyme de sagesse et de responsabilité. L’intelligence est bien souvent une illusion fort courante dans notre société. Plus que l’intelligence, ce qui fait le charme d’une personne, c’est, comme nous l’avons dit un peu plus haut, le rapport qu’elle entretient avec elle-même et avec son monde, et ce, peu importe que ce soit une femme ou un homme. On peut entendre intelligence comme une forme d’intelligibilité, comme une lecture que fait une personne d’elle-même, de ce qui l’entoure et de l’appropriation qu’elle fait ensuite de sa propre « intelligence », de sa propre sapience.
Nous sommes donc tous susceptibles d’être attirés par la sapience de l’autre pour l’unique raison que nous sommes, a priori, tous homosapiens…



[i] La théorie des « modes de réduction de la dissonance cognitive » explique comment un individu fabrique, bricole, mentalement, inconsciemment  une explication légitime à une situation qui ne correspond pas à ce qu’il attendait, souhaitait, prévoyait, pensait ; une situation qui entre en contradiction avec ce qu’il comprend, interprète.


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