A la Une

Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

lundi 11 novembre 2013

Chaud devant: les états de la matière

En regardant tomber les premiers flocons de neige de la saison, pas longtemps, juste quelques minutes, le temps de réaliser que l’hiver arrivait, j’ai été prise d’un doute. Un doute très diffus. J’ai quitté des yeux la fenêtre pour m’adresser d’un coup d’un seul à mon ami voisin de table, docteur en biologie, le seul voisin surement capable d'encaisser mes questions pas toujours très digestes:

-     Combien d’états de la matière connaissons-nous ? Par exemple l’eau peut être solide, liquide ou gazeuse, mais est-ce généralisable à toute la matière que nous connaissons ? Une chose est-elle forcément solide, liquide ou gazeuse? 

Mon voisin a gentiment éclairé ma lanterne :

-        Il y a trois états principaux de la matière comme tu viens de le dire, solide, liquide et gazeux, mais on en connaît d’autres ( Plasma, super-fluides...). La matière change d’état en fonction principalement de la température et de la pression. La température de fusion de l’eau est d’environ 0° C et l’eau bout à environ 100°C .
-        Fusion ? Tu veux dire le phénomène de solidification ?
-        Non, l’autre, quand elle passe de l’état solide à l’état liquide.
-        Tiens donc, et comment s’appelle-t-on le changement d’état liquide à état solide ?
-        Solidification, tout simplement, et on appelle sublimation le passage de l’état liquide à gazeux ou solide à gazeux.
-        C’est très intéressant cela, parce que ces termes sont très évocateurs philosophiquement. Fusion, sublimation…
-        Mais ce qui est surtout intéressant, c'est que ces états principaux sont des états dits stables, et que pour passer d’un état stable à un autre état stable, la matière passe par une multitude d’états intermédiaires. Il existe aussi des états dits « métastables », lorsque par exemple, on trouve de l’eau liquide à – 40°C, on parle alors de surfusion. Les facteurs que sont la température et la pression ne sont pas les seuls qui entrent en compte dans les « transitions de phase ».

Nous y voilà : transitions de phase, état et processus, état stable et instabilité, thermodynamique et entropie, et maintenant métastabilité. Tu m’étonnes que le doute ait été diffus. Des concepts, plus que des phénomènes, ô combien intrigants.


1 - la notion de changement d’état 

Lorsqu’on parle d’état de la matière, on suppose une stabilité de la matière, et définir des états stables nous permet de catégoriser la matière en fonction des formes dans lesquelles elle se manifeste (la roche est solide, le lait est liquide, etc). 

On peut considérer que la stabilité d’un état est relative à notre perception et à notre préhension cognitive. Pour passer d’un état théoriquement stable à un autre, la matière transite par de nombreux états intermédiaires que nous ne voyons pas toujours. L'eau ne passe pas de l'état solide à l'état liquide en un claquement de doigt, mais tout au long d'un processus de solidification. Aussi, il existe différents types de solidité, de liquidité, de « gazéité » (pour employer des termes barbares). Un cristal, comme un flocon de neige, n’est pas la même chose qu’un bloc de glace. Une substance colloïdale (gel) n’est ni « vraiment » solide, ni liquide. Mais qu’est-ce que « vraiment » solide veut dire, il y a du solide plus solide que du moins solide, et c’est toujours plus ou moins « solide » par rapport à des éléments extérieurs.

Ce que l’on cherche, ce sont des formes qui ne varient pas beaucoup en fonction de l’environnement extérieur, des formes stables. Imaginons que la roche se mette à fondre dès qu’il fait plus de 30°C, nos montagnes auraient fière allure. Notre quête de stabilité a deux conséquences importantes : d’abord elle nous fait voir l’instabilité comme « mauvaise », porteuse de risque et d’insécurité, une faille dans notre maîtrise de l’environnement ; ensuite, entre stabilité et instabilité, il y a un monde intermédiaire qui n’on ne pense pas à regarder (sauf si on est un scientifique, je veux dire).

C’est lorsque l’on va voir un peu plus en profondeur les secrets de la matière, que l’on constate la relativité des observations et des premiers développements théoriques que les observations ont inspirés. Pour faire simple : l'homme a observé du dur, du moins compact, du liquide, de l’air, puis il a théorisé les différents états répertoriés. C’est ainsi que la science a commencé, par un répertoire d'observations, puis une réflexion qui tente de rendre compte de ces observations.

Aujourd’hui, on pense la matière comme étant « finie », dans le sens « limitée » à ces trois types de manifestations, ou comme pouvant, quoi qu’il arrive – si par exemple, on découvre d’autres formes de matière, on en connaît déjà plus de trois - être catégorisée selon sa forme en états distincts les uns des autres. Distincts dans le sens où l’on fait abstraction des états intermédiaires, des processus. Distincts dans le sens où l’on évacue toute idée d’une continuité de la matière. Une continuité bien évidemment très subtile, latente.
Si l'on "met de côté" les aspects liquide, gazeux, solide et surfusionné de l'eau, que reste-t-il? Dans quel état est notre eau ? La matière est continue dans ses changements d'état, et l'état dans lequel un chose nous apparaît, est en fait l'état le plus visible à nos yeux, parce que plus stable.

Pour en revenir à ma matière « étatistique » (encore un mot barbare), je dirais que nous avons une tendance générale à réifier la matière et que cette tendance devrait être questionnée. Si l’on découvrait par exemple qu’au niveau macroscopique, ou mésoscopique – bref à l’échelle de notre interaction directe (via nos sens) avec la matière- celle ci n’était pas aussi déterminée, voire déterminable, objectivable, discrète, qu’on le pense et qu’on le souhaite, cela inviterait à repenser sérieusement le matérialisme dans toutes ses dimensions (notamment sociologique).

2) L’homme cherche la stabilité au moyen de la métrie, plus que de la mesure.

On pourrait parler d’une "métrication" de la matière, d’une "métrication" des phénomènes, une "métrication" dont l’étalon de mesure est toujours, nécessairement, proportionnel à la condition anthropique. Plus clairement : c’est en rapport avec des observations faites par l’homme que sont établis les étalons de mesure. Par exemple : la thermométrie (mesure de la température).

Je vous raconte et vous me direz.

Je reprends mon voisin de table :

-        Tu me dis donc que la matière change en fonction de la température notamment.
-        Oui, et à des températures proches du zéro absolu, on observe des phénomènes de super-fluidité, ce qui est un autre état de la matière.
-        Le zéro absolu, c’est -273 degrés n’est-ce pas ?
-        C’est ça, - 273,15 degrés Celsius, ou 0 kelvin (0°K), c’est une limite de froid approximative, un peu comme le mur de Planck.
-       Je vois.

Ce que je vois, c’est que nous avons des chiffres étranges pour parler températures. Avant de me jeter sur internet pour avoir des infos sur je ne sais quoi, je réfléchis. Voyons. Degrés Celsius, degrés kelvin, Fahrenheit, et il y en a sûrement d’autres.

Étrangement, l’eau gèle à 0° Celsius et bout à 100 degrés Celsius. Ce ne peut être un hasard. 

Se peut-il alors qu’on ait arbitrairement pris des phénomènes observés (solidification de l’eau, évaporation) et décrété du poing sur la table que l’un déterminerait une « température » de 0° et l’autre de 100° ? Ensuite par rapport à ces deux bornes, on aurait établi une graduation s’étendant entre et au-delà des bornes, exactement comme on trace une droite passant par deux points A et B, posant A= 0 et B=100, divisant le segment « interponctuel » en 100 sous-parties égales et prolongeant la graduation au-delà des limites du segment, en respectant la « taille » des sous-parties.

Dans ce cas, la taille d’une sous-partie, autrement dit, la taille d’un degré, a quelle valeur ?

Il a une valeur et une valeur certaine : c’est un moyen, un instrument à notre disposition pour mesurer une dimension de notre environnement (dans le but de contrôler et de comprendre cet environnement, etc…) mais en dehors de « nous », la valeur d’un degré est simplement…. hors de toute considération. 

Ensuite j’ai cherché des infos sur le degré Celsius et j’ai été surprise de voir que notre bon monsieur Celsius a procédé, ainsi que ses confrères thermomètres (dans le sens spécialistes de la thermométrie bien sûr), comme je l’imaginais : d’après l’observation de phénomènes. Chaque thermomètre choisissant ses phénomènes, puis se conformant ou non à la coutume centigraduelle. (Fahrenheit avait choisi pour ses bornes 0° F et 12°F, avant de multiplier par 8 ses degrés, établissant les bornes à 0° et 96°F) Notons que Celsius lui-même avait, à l’origine, créé une échelle de mesure inversée, c’est-à-dire que plus on allait vers le froid, plus les nombres augmentaient… C’est un bel exemple de la place qu’occupe la « convention » : le froid est égal à moins, le chaud à plus, mais pas nécessairement.

Amusons-nous un instant:
Si la température la plus froide qui existe est de -273,15 degrés Celsius. Qu'on ait décidé d'en faire le point de départ d'une autre échelle (celle de Lord Kelvin par exemple).  On aurait pu prendre la température du soleil comme borne supérieure (5526°C) on additionne les deux 5526 + 273.15= 5800 (arrondis) Si on veut garder notre symétrie entre positif et négatif on divise par deux et hop, le soleil a une température de 2900 degrés Bellefleur, le zéro absolu est de -2900, l'air printanier frôle les 150° B. Bien sûr, dans ce cas, la valeur d'un degré est la même que pour l'échelle de Celsius ou pour l'échelle de Kelvin. On peut donc faire un bazar plus important en choisissant par exemple que seuls les nombres premiers sont marqueurs de degrés, et que l'écart thermique entre chaque nombre est le même quelque soit la "valeur" de l'écart numérique. On peut faire ce qu'on veut, encore faut-il que le système international soit convaincu de la praticité de votre échelle et qu'elle ne bouscule pas trop les conventions. Ce qui sera commun à toute échelle, a priori et jusque preuve du contraire, c'est son arbitraire, lié au fait que ce sont des "phénomènes physiques à notre portée" qui conditionnent l'échelle.
On sait quelle est la température la plus froide pour l'instant, en dessous de laquelle on ne peut pas descendre, par contre on peut monter très haut, peut-être même approcher de manière asymptotique un infini potentiel! Si l'on considère alors que les températures sont finies, avec un minimum et un maximum, on constate que nous sommes plus près de fond du bocal que du couvercle. Cela en théorie, car la majorité de l'univers baigne dans un froid glacial.

Voici un tableau qui illustre la relativité du degré par rapport à l’homme :











Donc, la température, qu’est-ce que c’est si ce n’est une manifestation diffuse d’énergie sous forme de sensation calorifique (froid, chaleur !) que nous nous sommes amusés à graduer ? 

Le degré n’existe pas dans la nature. Et ce qui est valable pour la thermométrie est sans doute valable pour toute métrie. Cela bien sûr, n’invalide en rien les disciplines et les pratiques de mesure, mais cela les relativise, et cette relativité mérite d’être pensée.


Quelques articles croisés sur internet:
Degré Celsius sur Wikipédia

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire