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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

mercredi 5 octobre 2016

Vive le Nez


Aujourd’hui, en milieu d’après-midi,  j’ai été prendre un café avec une copine. Il faisait beau et doux et nous avons décidé de nous retrouver à une petite terrasse en ville, après qu’elle ait déposé son fils de 8 ans à son cours de batterie.
« Je suis habillée comme je sais pas quoi aujourd’hui, j’ai mis un truc ample pour aller au yoga ce matin et un truc chaud en haut parce qu’il commence à cailler, je me suis pas changée…  mais bon, on s’en fout non ? dit-elle.
- Biensûr qu’on s’en fout.
- Alors on s’en fout. »
Après avoir fait le tour des derniers épisodes émotionnellement pertinents des derniers jours et avoir vidé nos tasses de café respectives, nous allons ensemble récupérer le fiston à la sortie de son cours. Le pas est léger, le cœur aussi. Nous rions de nos faiblesses, de nos bêtises, de nos espoirs.
-On raccompagne Marie chez elle, ok ? dit-elle à son fils.
Toutes à notre conversation, suivies de près par le jeune homme qui s'amuse dans les feuilles mortes rassemblées sur le bord du trottoir, nous passons devant chez moi et ne nous arrêtons pas. Arrivées devant chez elle, elle dit :
- Du coup, c’est toi qui nous a raccompagnés. Tiens, est-ce que tu aimes les figues, y’en a plein le jardin, si tu en veux…
Je la suis chez elle, dans le jardin. Son téléphone sonne et elle répond pendant que je cueille quelques figues.
- C’était pour le boulot. Je devais jouer demain mais c’est annulé.  
- Ah bon ? mais pourquoi…
- Je devais jouer demain à Grenoble, à l’hôpital des enfants. Y’en a un qui vient d’être admis dans l’unité de fin de vie, et comme je devais juste faire un remplacement dans leur équipe, que je ne connais pas cet hôpital, ils ont préféré m’éviter de vivre ça. Pour une première fois dans un nouvel endroit, c'est un peu rude.»
Le souffle coupé, j’arrache la figue qui résistait sur sa branche alors que la maturité la présentait comme prête à tomber.
Aujourd’hui, j’ai pris un café avec Rosalie, clown en milieu hospitalier, clown auprès des personnes âgées atteintes d’Alzeimher, clown auprès des enfants malades.
Je suis profondément touchée par ces personnes qui ressentent cette vocation, celle d’être là pour  ceux qui n’ont plus rien et qu’on rassemble dans des hospices en attendant la fin. Les clowns sont des gens extraordinaires et je tiens à leur rendre hommage. J’ai eu la chance, grâce à Rosalie, de pouvoir observer de près leur travail. De les suivre dans l’intimité des chambres d’hôpital. Ce qu’ils arrivent à toucher chez le patient alité est tout bonnement merveilleux. Ils obtiennent un contact. Un déridement , un soulèvement de sourcil, une perplexité, un décalage qui fait réagir, sourire, qui anime l’être occupant la chambre. Par la légèreté, par leur culot, leur provocation toute en douceur, ils permettent de briser les barrières de compassion convenue qui est celle que le bien-portant ressent presque par obligation quand il est face à un malade. Là, non. Il n’y a plus de malade. Il y a Huguette, Jérôme, Jaques, Antoine, Mélanie. Il y a les parents auprès de leurs enfants, et tout le monde réagit face à la maladresse du clown, sa familiarité, sa douceur. Le clown capte l’attention. Par sa présence, ses chansons, son affirmation, son arrogance volontaire, toujours adaptée à la seconde près face à ce que renvoie la personne pour laquelle il fait le clown, il est comme un cheveu hirsute  qui tombe sur la soupe froide. Il dérange gentiment. Il relègue au dernier plan la tristesse. Il Anime, il apporte le vivant là où le vivant semble s’effacer naturellement derrière la maladie et la fin de vie.
C’est un métier difficile. Pouvez-vous imaginer combien il faut être fort pour surmonter l’ambiance qui règne dans un hôpital, pour surmonter son propre émoi face à un enfant mourant qui a l’âge de son propre fils,  ou face à une vielle femme qui a l’âge de sa propre mère ? Combien il faut surmonter ses propres émotions pour donner de la joie, apporter de la vie et s’oublier soi-même ?
Vraiment, pour l’avoir vu de mes propres yeux, les clowns font un travail extrêmement important auprès de leur public hospitalisé. Les parents des enfants malades en témoignent, le personnel hospitalier aussi, et la présence de ces Trublions de la vie devrait se généraliser dans tous les hôpitaux. C’est un métier difficile et ceux qui ont choisi la voie du Nez en milieu hospitalier ne l’ont pas choisie par plaisir et légèreté, mais par vocation, répondant à un appel profond de compassion profonde pour leur prochain. Ils défendent, consciemment ou non, le fait que toute vie est bien vivante tant qu’elle n’est pas morte. Que jusque au dernier moment, l’amour et la joie doivent s’imposer sur la tristesse et la fatalité. Ils méritent tous nos encouragements, notre reconnaissance, notre soutien.  Ils sont trop souvent incompris et jugés à l’aune de critères faux.
Combien de fois avons –nous vu un mourant, quel que soit son âge, réconforter son proche qui va lui survivre ? Le clown incarne l’étincelle de vie qui brûle le bois jusqu’au dernier atome de matière consumable. Il est une respiration, un souffle léger, une caresse, qui embrase ce qui reste de vivant en toute personne, aussi malade soit-elle. Le clown fait le choix de la vie et ce choix l’amène à se questionner sur sa propre personne, ses propres craintes, sur sa foi en la vie, son rapport à la mort, à la douleur, à l’injustice. Le travail qu’il fait sur lui-même pour être capable d’intervenir dans ces milieux difficiles  est extrêmement lourd. Le clown n’est pas inconscient, il est au contraire bien plus conscient et malgré son image encore incomprise par beaucoup tant elle est à contre courant de la bien-pensance qui s’afflige devant le malheur, il  déploie son énergie pour apporter l’étincelle de joie là où le besoin s’en fait le plus sentir, c’est-à dire dans les hôpitaux, mouroirs, lieux de Fin.
A nous qui sommes en bonne santé, le clown apporte aussi un message. Tout comme le mourant nous en apporte un. Surmontons nos craintes, notre tristesse, acceptons que les choses aient une fin et tant qu’elles ne sont pas finies, efforçons-nous d’être dans la joie. Laissons-notre peine de côté et accompagnons l’autre, jusqu’au bout, jusqu’au bout du voyage, et célébrons la vie avec lui tant qu’un souffle émane de sa personne. Si nous tenons la main de notre proche alors que la vie le quitte, souhaitons-nous qu’il soit contrit de nous voir accablé et détruit ? Lui doit partir, contre sa volonté, il n’a pas le choix, alors voulons-nous lui faire sentir cette injustice ? Ou préférons-nous lui faire sentir que nous sommes là, forts, profondément tristes mais dignes et capables de dire au revoir, que nous acceptons son départ et ne l’oublierons jamais ? Au-delà de la peine que ressentent ce qui restent, il est infiniment important qu’une personne parte en paix, sans culpabiliser  du fait qu’il doive mourir. Le mourant doit savoir que nous nous en sortirons. Ses proches doivent faire ct effort insurmontable d’accepter le départ. C’est cet effort que font les clowns quand ils  entrent dans un hopital.  Qu’ils voient sur le visage de chaque patient celui d’un proche. Qu’ils le voient sourire. Ils se disent : «  si ça avait été mon père, j’aurais été content qu’il vive ça. »

Vive le Nez.

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