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Petite épistémologie de la créativité - première partie

(Sous-titre provisoire: De la contrainte nécessaire.) Une des choses qui font de l’Homme un être vraiment étonnant est sa capacité à in...

samedi 15 décembre 2012

Bye Bye Big Bang



Au début du 20ème siècle, alors que la physique classique est en plein essor et que la physique quantique connaît ses premiers développements, de nombreux scientifiques se penchent sur la question de l’origine de l’univers. Bien que cette question ait tracassé les hommes de tout temps, c’est à cette époque que la science fait un grand bond en avant.

I - Origine de la théorie du Big Bang

L’univers a-t-il toujours existé ou bien est-il sorti de nulle part, ou de quelque chose, mais quoi… Lorsque l’on s’arrête sur ces considérations, on est confronté à une question métaphysique, insoluble évidemment, qui est celle-ci : quelque chose peut-il avoir TOUJOURS existé ? Ou bien si ce n’est pas le cas, quelque chose peut-il être sorti du NEANT ?  Le TOUJOURS renvoie à la question de l’infini, de l’éternité inconcevable ;  le NEANT est quant-à lui tout aussi inconcevable.

Plusieurs visions s’opposent alors : pour faire simple disons que soit l’univers est stable et son origine se perd dans l’infini, soit il est en mouvement, en expansion, et on peut remonter à « l’atome primordial » d’où il est issu. L’idée d’un atome primordial ne répond pas à la question de savoir d’où vient cet atome, on le pense alors soit hors du temps ou comme ayant « toujours » été là… Bref on spécule.

D’après Gilles Cohen-Tannoudji , physicien – article paru dans philosophie magasine, novembre 2012 :

La théorie du Big Bang consiste en ceci : à l’origine, tout l’univers était contenu dans une particule de densité infinie (pas au sens propre du terme, mais infinie dans le sens où la densité était au-delà de ce que l’on peut concevoir, seules les mathématiques postulent un infini infini). Il y aurait eu une explosion – peut-être sous l’effet d’une trop forte densité- et toute la matière se serait éloignée de son centre originel pour aller dans toutes les directions sous l’effet de l’explosion. Pendant la première seconde après le BB les premiers atomes se seraient formés pour créer des particules d’abord simples puis plus complexes,  donnant naissance à l’énergie, la matière et le temps[i].

La théorie du Big Bang s’impose dans la seconde moitié du 20ème siècle suite à plusieurs observations. D’abord, on confirme que les galaxies d’éloignent les unes des autres, elles s’éloignent de plus en plus vite, et plus elles sont éloignées, plus elles fuient rapidement. C’est ce qu’on appelle l’accélération de l’expansion de l’univers. Elle se traduit par l’effet Doppler, le décalage du bleu vers le rouge de la « couleur » des galaxies observées. (Effet doppler que l’on connait dans notre quotidien lorsqu’une sirène de pompier approche : au loin domine le son aigu qui devient plus grave à l’approche. Cet effet Doppler est perceptible en termes de température, de son et de lumière). Si l’expansion s’accélère, on est en droit de supposer que par le passé, elle était moins rapide, et que les galaxies étaient donc plus proches les unes des autres. En extrapolant, on finit par concevoir que toute la matière de l’univers était à l’origine, il y a 13.7 milliards d’années, concentrée en un point d’une densité infinie.

Ensuite, on observe que la matière –observable et plus particulièrement les particules légères- est repartie de manière uniforme dans l’univers. Cette répartition est expliquée par la théorie de l’inflation : après une explosion gigantesque, toute la matière contenue dans notre point originel se serait répartie dans toutes les directions.

Enfin, il y a la découverte du rayonnement cosmique, appelé aussi le fond diffus cosmologique. C’est l’empreinte qu’aurait laissé l’explosion initiale dans la trame de fond de l’univers. Ce fond diffus cosmologique témoignerait de la température infinie qui régnait à l’origine au cœur de notre atome primordial. Cette température originelle infinie, sans cesse en refroidissement depuis, rend compte de l’effet Doppler mentionné ci-dessus.  

II - Limites de la théorie

Les théories postulaient approximativement l’existence de ces phénomènes et l’observation les a confirmées. Cependant, gardons à l’esprit que lorsque l’on fait une expérience scientifique pour valider ou invalider une théorie, bien souvent le fait de chercher quelque chose de plus ou moins précis influence notre interprétation des résultats de l’expérience. Ainsi on trouve ce que l’on cherche, ou son contraire.

Ce qui ne veut pas dire que l’expérience et l’interprétation de ses résultats  n’ont pas de valeur mais qu’il faut rester prudent et bien travailler ses hypothèses de départ.

Il est intéressant de souligner que notre principal « accès » à l’univers passe par la lumière : c’est en étudiant celle-ci que l’on définit la composition chimique des éléments de l’univers. Or la lumière est un phénomène qui pose encore pas mal de questions sans réponses.

La théorie du BB se confronte à un « obstacle épistémologique » qui consiste en gros en ceci : la théorie permet de remonter dans le « temps » jusqu’au moment où on tombe brutalement sur un mur, un mur infranchissable, le temps zéro…or le temps zéro, eh bien, il nous pose plus de question qu’il n’en résout !
Le temps zéro est appelé le « mur de Planck ». L’observation ne nous permet pas de remonter au-delà de ce moment qui serait celui de l’explosion primordiale, il est de 10 –42  secondes. Après ce moment déjà excessivement précis et lointain ? Plus rien, on ne sait pas. C’est la naissance du temps et avec lui, de l’espace et de la matière.

On peut théoriser sur l’état des choses avant ce moment, et une théorie sympathique est celle de l’état KMS, par exemple (KMS pour renvoyer aux auteurs de cette théorie). Ce n’est pas, me semble-t-il, une théorie qui fait l’unanimité parmi la communauté scientifique, mais aucune ne la fait à ce stade. Selon cette théorie, pour faire simple, on considère que dans le point primordial, le temps n’existe pas. Il existe un temps « imaginaire », comme en mathématique il y a des nombres imaginaires, et que l’énergie, sous forme « imaginaire » elle aussi, existe sous forme d’ « information ». L’explosion du point aurait entrainé la naissance du temps et le développement de l’information en énergie. Un peu comme un DVD : le disque en soi contient le film en puissance, mais il faut un lecteur pour que l’information contenue se déploie dans le temps, pour devenir un film. Ce serait à peu près la même chose avec le Big Bang, qui marquerait alors le début du film de l’univers. C’est une théorie qui fait appel à des hypothèses relevant de la physique quantique, ce qui paraît légitime puisque l’on considère qu’au « commencement », l’univers était un « atome ».

Je ne vais pas m’étendre sur les incompatibilités qui existent entre physique quantique et physique classique, mais elles sont fondamentales. Il est facile, de plus, d’en avoir un aperçu[ii].

Ce qui m’intéresse, c’est que la question métaphysique de l’origine de l’univers est tributaire- nécessairement- de la question du temps. Et le temps – qui a fait l’objet d’un autre article sur ce blog- est relatif à notre capacité de perception.

Einstein a bouleversé de nombreuses idées reçues sur le caractère potentiellement absolu des notions de temps et d’espace. Ses théories de la relativité restreinte et générale mettent en avant le fait que ces notions sont relatives à la position de l’observateur.

La théorie de la relativité générale est une théorie de la gravitation. Elle rend compte des phénomènes que provoque  la force gravitationnelle. Le phénomène décisif provoqué par la gravitation est celui-ci : la présence de masse, de matière dense, provoque une modification de l’espace-temps. Une courbure de la dimension spatio-temporelle s’opère à l’approche d’un corps massif. Le temps se dilate avec l’éloignement par rapport au corps massif ; le corps massif attire la matière moins massive, d’autant plus fortement que la matière moins massive est proche du corps massif.

L’espace, le temps et la matière sont intimement connectés, dans un jeu d’inter-rétroactions complexes.
Le mathématicien et physicien Alexandre Friedman a travaillé sur les théories d’Einstein. Il a démontré que les hypothèses de la géométrie euclidienne (« deux droites parallèles ne se rencontrent jamais », par exemple) ne sont valables que dans notre espace-temps, sur notre bonne terre. Elles s’écroulent lorsqu’on les transpose dans un autre espace temps soumis à une force gravitationnelle différente.

Concernant l’expansion accélérée de l’univers : il semblerait que cette expansion entre en contradiction avec la forcé gravitationnelle théorisée par Einstein. Si la force gravitationnelle fait que les objets de masses différentes dans l’univers sont attirés les uns par les autres, proportionnellement à leur distance, comment se fait-il que les galaxies s’éloignent les unes des autres ? Pour réduire cette contradiction, on a postulé l’existence d’une force antigravitaionnelle, que l’on nomme aussi « constante cosmologique » pour reprendre le terme qu’Einstein avait établi dans sa théorie. (Bien que non convaincu que l’univers soit en expansion, pour « faire tenir » ses équations, il avait pressenti l’existence d’une « constante cosmologique », sans y être attaché puisqu ‘elle contredisait sa conviction d’un univers stable.)

Une force antigravitationnelle contrebalancerait la force gravitationnelle. Ce sont les recherches menées sur ce sujet qui ont mis en évidence l’existence d’une énergie sombre. On voit en cette dernière notre potentielle force antigravitationnelle.

N’oublions pas non plus ce point : environ 90% de ce qui compose l’univers nous est inconnu…

III - Relativité

L’espace, le temps et la matière seraient apparus avec le Big Bang, c’est ainsi que l’on voyait les choses.

Voici un passage de Gilles Cohen-Tannoudji :

 « Personnellement, j’ai tendance à faire une distinction très nette entre ce que j’appelle l’univers et l’Univers. Avec un u minuscule, ce mot ne renvoie pour moi qu’à l’univers observable. Mais cet univers qui nous est observable ne peut pas coïncider avec l’Univers dans son entier.[…]L’univers qui nous est observable, étant borné par un horizon dont nous sommes le centre, est anthropocentré. Attention, je ne dis pas que nous sommes au centre de l’Univers, mais étant inclus dans l’Univers, nous ne pouvons le saisir de l’extérieur. »
Nos connaissances sont donc toutes des connaissances « pour nous », de notre point de vue, c’est en ce sens que nous sommes au centre de notre univers.

Il cite un mathématicien suisse, Ferdiand Gonseth :

« Les connaissances que nous avons ne sont jamais autre chose que des connaissances relatives à un horizon de connaissance, les réalités les plus ultimes que l’on connaisse ne sont jamais autre chose que des horizons de réalités ».

Il semble alors que toute nos connaissances soient relatives, tributaires de nos capacités à percevoir, raisonner, interpréter.

On a d’abord cru que la terre était plate, puis on a compris qu’elle était ronde. On a cru que notre planète était au centre de Tout et que les astres tournaient autour de nous, puis on a compris que non, c’était notre planète qui tournait autour du soleil. On a cru que le système solaire était au centre de l’univers, et puis non, on a découvert que notre galaxie n’était qu’une petite galaxie perdue parmi des centaines de milliards d’autres galaxies. Même notre soleil s’avère être une étoile plutôt petite. Sans cesse nous nous rendons compte que notre place dans l’Univers est plus « éloignée », confuse, que ce que nous pensons premièrement.

Etant donné que la science, en avançant, ne fait que nous révéler la relativité de nos postulats, il est raisonnable de penser que ce que nous appelons temps, espace et matière est encore loin d’être connu. Il est dans ce cas un peu précipité de croire que nous sommes en mesure de comprendre comment l’Univers fonctionne. Comme le dit Gilles Cohen-Tannoudji, ce que nous sommes en mesure de comprendre, c’est comment fonctionne l’univers, de notre point de vue.

Le fait d’affirmer que les lois mathématiques forment le langage universel de l’Univers est un peu présomptueux, nécessaire pour avancer, mais présomptueux.  Les maths sont à mes yeux, notre moyen de lire le monde, l’expression magnifique de notre rationalité, mais c’est un moyen qui permet d’appréhender UNE des manifestations du fonctionnement de l’Univers.

Trop souvent ai-je lu et entendu de la part des grands scientifiques que la raison humaine et les mathématiques étaient l’outil absolu, l’outil qui permettait de comprendre, de plier la nature aux règles qu’on lui découvrait. Cette idée reflète l’enthousiasme que l’on éprouve face à la capacité heuristique des mathématiques, et je pense que cet enthousiasme légitime masque les limites de cette discipline. Cela devient plus clair lorsque l’on dissèque finement les procédés qui sous-tendent la « méthode scientifique ». Sans dévaluer notre méthode, une telle dissection permet de RELATIVISER.

« Relativiser » est un terme que j’emploie beaucoup mais je ne défends pas un relativisme qui mènerait au nihilisme. Je défends une posture d’humilité, de questionnement, de prise en compte des contours fragiles de nos perceptions, une prise en compte de nos « limites ». J’entends par « relativiser », garder à l’esprit que toute chose est en relation nécessaire et irréductible avec d’autres choses.

A suivre...



[i] Voici un bouquin très bien fait et surtout –très important à mes yeux – accessible à tous les curieux qui veulent en savoir plus sur le BB et les mystères de l’univers :
« Une belle histoire du temps » de Stephen Hawking qui reprend tout l’historique de l’astronomie.

[ii]  Autre bouquin très accessible : « Les énigmes mathématiques du troisième millénaire » de Keith Devlin : le chapitre deux « Les champs qui nous composent », comme le titre ne le montre pas, expose avec une grande pédagogie les tenants et les aboutissants de la physique quantique et de la physique classique, expliquant la recherche actuelle d’une théorie unifiée de la matière.


2 commentaires:

  1. Attention " comme en mathématique il y a des nombres imaginaires," tu devrais retirer cette phrase, elle n'appuie pas ce que tu cherches à démontrer...
    les nombres imaginaires en math, sont des nombre complexe ( 2 dimensions : une partie réelle et une partie imaginaire ),

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  2. C'est vrai, tu as raison :) pour le coup j'aurai bien du mal à définir "imaginaire" au sens où je l'entends, qui finalement est la partie imaginaire d'un nombre complexe, comme √-1 est un nombre qui n'existe pas mais qui n'existe !

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