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lundi 10 décembre 2012

Russell et Kony


J’étais en train d’essayer de travailler un peu mais comme la neige ne cessait de tomber, je n’arrivais pas à me concentrer suffisamment. Je préférais regarder par la fenêtre.

J’ai ouvert une page internet et je me suis connectée à facebook, pour voir d’un œil distrait les derniers postes sur le fil d’actualité. Je suis tombée sur une vidéo partagée dont le titre m’a interpelée et je l(ai regardée.

Il s’agissait d’un film d’une trentaine de minutes relatant un mouvement qui a été créé en vue de mobiliser l’opinion sur Joseph Kony, en Ouganda. Kony  dirige un groupe, le LRA ( Lord’s Resistence Army) qui enlève des enfants pour en faire des soldats ; des petites filles pour en faire des esclaves sexuelles.

L’auteur du film, Jason Russell, raconte comment il a été touché par le discours d’un de ces enfants, Jacob, qui avait vu son frère mourir et qui pleurait en disant qu’il préférait se faire tuer que de continuer à vivre comme cela. Russell a décidé de s’engager dans une lutte visant à faire tomber Kony.

Il a créé un mouvement, « Invisible Children » et a cherché à mobiliser la communauté internationale à ce sujet. 

Comprenant que les dirigeants des USA ne s’intéressaient pas au problème pour la simple raison  que Kony ou l’Ouganda ne représentait pas une menace pour la sécurité américaine, Russell a décidé de trouver d’autres moyens d’agir. Il a utilisé les réseaux sociaux pour faire connaître Kony et dénoncer ses crimes. Il cherche à rendre Kony aussi célèbre qu’une star internationale, partout, pour que l’opinion fasse pression sur les politiques pour se débarrasser du criminel. Il interpelle des célébrités pour qu’elles passent le message et fassent ainsi réagir les politiques, pour qu’ils décident d’une intervention militaire. Le mouvement a pris une grande ampleur et approche de son but.

A la fin de la vidéo, Russell nous dévoila sa stratégie : propagation de la vidéo sur internet et appel au don.
Le film était plein d’enthousiasma, comme les américains savent le faire quand il s’agit de se mobilise rpour une cause juste. Russell montrait qu’il voulait laisser à son fils un monde meilleur, que nous avions le devoir de façonner l’histoire de l’humanité, etc… un tantinet messianique sans que cela ôte toute la légitimité de l’entreprise.

Avant tout commentaire intérieur ou prise de position, j’ai « googelisé» les différents protagonistes de la vidéo : Kony, Russell et Invisible Children…

Je n’ai pas été voir toute l’histoire de l’Ouganda et du LR qui, de toute évidence, est bien plus complexe que ne le laisse entendre le résumé de Russell. Je voulais voir ce que je pouvais trouver sur le mouvement Invisible Children, de l’extérieur.

Je suis tombée sur un article du Guardian traitant de Russell. Ce dernier aurait récemment et momentanément  « pété un cable ». Il aurait été arrêté dans la rue, nu, en train de se masturber et de taper le sol à coups de poings.

Ce qu’il dit, après coup, au guardian :

« My mind couldn’t stop thinking about the future – I literally thought I was responsible for the future of humanity. It started to get into the point where my mind finally turned against me and there was a moment that click, I wasn’t in control of my mind or my body.”

En gros, la notoriété aurait retourné le cerveau de notre jeune père de famille à force de se prendre pour le sauveur de l’humanité qu’il n’est apparemment pas.

Sur de nombreux forums, les points de vue se multiplient.
Certains pensent que son action est louable et que le gouvernement américain a cherché à le décrédibiliser. D’autres estiment que Jason est un charlatan qui, via son organisation « Invisible Children » cherche à financer l’armée ougandaise pour tuer Kony et critiquent alors sa stratégie d’ingérence militaire sous couvert d’humanitaire. D’autres encore montrent que Jason s’est énormément enrichi grâce à son projet.

Bref, ce que je vois, moi, c’est qu’on ne sait plus que croire tant les informations prolifèrent. Il faut redoubler de vigilance et consacrer un temps fou à dépiauter les données quand on cherche un peu d’objectivité.
Ce que je crois, par contre, est relatif.
Si Jason a pété un câble, et apparemment c’est le cas, c’est son explication qui m’intéresse. Pris dans l’engrenage d’une cause juste qui l’a touché profondément parce qu’il a été en contact direct avec un enfant soldat, Jacob, notre homme s’est senti investi d’une mission. Un peu comme quand une prise de conscience nous tombe sur le coin de la tête, nous fait voir des étoiles et nous impose de réagir.

Lorsque cela arrive dans un pays où la culture est percluse de bonne volonté messianique et de puritanisme,  les réactions sont démesurées. Le tempérament américain est effectivement propice à susciter ce genre d’envolée psychologique à saveur messianique.

L’intention de Jason a été dépassée par la puissance des moyens qu’il a mis en œuvre, et il n’a pas réussi à gérer la visibilité qu’il a soudainement gagnée.

Ensuite, sur le projet lui-même, je n’adhère pas à l’ensemble de la stratégie. Dès que l’on demande des sous, de toute façon, je suis sceptique (c’est comme le projet de James Redfield de la « Prophétie des Andes » : bouquin intéressant, intention sympathique de l’auteur, mais complètement décrédibilisée par sa conclusion qui confine au prêche, à l’aumône et à la sectarisation).

Faire connaître au plus grand nombre de citoyens, par les moyens existants, qu’un criminel tue impunément des enfants, oui, biensûr, c’est une bonne démarche.
Savoir, c’est pouvoir. Qu’un individu se mobilise pour une cause, là aussi, tant mieux. Il y a tant de causes à défendre, tant de profiteurs qui tuent, d’une manière ou d’une autre mais toujours impunémnt. Par contre, la violence n’est jamais une solution. Et créer une association qui, certes, construit une école mais qui vise avant tout à mettre à mort un criminel, je suis sceptique.
Des centaines d’organisations existent qui ont montré patte blanche, c’est vers elle qu’il faut se tourner. Demander de l’argent pour offrir aux concitoyens un moyen de sentir qu’ils participent à une cause juste ne résout rien.
Des stratèges entrainés à résoudre ces problèmes d’atteintes à la vie et aux droits des hommes sauront comment mettre un terme aux actions de Kony. On sait que les Etats ont en leur possession plus de moyens qu’on ne le saura jamais pour atteindre un but militaire, géopolitique – pour peu qu’il y ait des intérêts  économiques importants en jeu.

La question de l’ingérence militaire est une question qui ne devrait plus être pertinente de nos jours. Envoyer l’armée d’un état ou d’une organisation pour guerroyer dans un autre état, c’est une erreur.
Prendre contact avec quelques structures civiles pour envoyer une aide humanitaire, c’est plus raisonnable. De nos jours, la transnationalisation des structures rend obsolètes les stratégies interétatiques. Les organisations extrémistes, fondamentalistes, sont quasi invisibles si on ls cherche géographiquement. Il faut chausser les lunettes de la virtualisation des mouvements pour voir quelque chose. Et quand on voit quelque chose, un flux, un point, encore faut-il savoir quoi faire de cette information.

Bref ce que je retiens, c’est comment on peut tomber sur une vidéo qui va susciter un grand engouement, puis comment on trouve ensuite sur des forums et sur des sites internet des avis tous plus contradictoires les uns que les autres, créant ainsi plus de confusion, créant  à la suite – et légitimement- un désabus des gens. Ce qui m’intéresse, c’est la manière très « américaine » dont la vidéo souligne un tempérament messianique efficace, jouant sur le levier de l’émotion. Et ce qui m’intéresse, c’est ce qui a pu se passer dans la tête de Jason Russell.

Pour voir la vidéo

Un article du Guardian

Un forum

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